Courrier des lecteurs

Le verdict pour Deborah Dangla révèle la faillite institutionnelle entre deux Etats

  • Publié le 17 mars 2013 à 04:24

Suite au verdict de la Cour Suprême condamnant Deborah Dangla à une peine de 17 ans de réclusion, l'association AIDE - Assistance & Informations aux Détenus Etrangers - exprime sa préoccupation du fait que les jugements prononcés jusqu'ici tendent à renforcer la perception que les passeurs de Subutex seraient des trafiquants de drogue. Compte tenu de la sévérité des peines et eu égard à la vulnérabilité des sujets, cette absence de distinction révèle le caractère inadéquat de la législation.

La seule classification du Subutex à la liste des drogues dures, notamment de la Cédule II à la Cédule I du Dangerous Drugs Act (la loi sur les stupéfiants à Maurice), est une erreur coupable des parlementaires mauriciens qui n’ont fait qu’accroitre le nombre de " mules " utilisés par les trafiquants basés en France qui eux ne sont pas du tout inquiétés. Couplé à l’incapacité des autorités françaises d’encadrer la délivrance thérapeutique de ce produit, qui vaut à la Sécurité sociale en France d’enregistrer des pertes budgétaires conséquentes dues aux dérives dans le corps médical et pharmaceutique, le trafic du Subutex se présente en réalité comme la plus grosse faillite institutionnelle que doivent concéder les deux Etats.

Le reclassement du Subutex (Buprénorphine) fut effectué dans un contexte bien particulier, notamment dans le sillage de la fuite, entre le 27 et le 29 juin 2009, du ressortissant français Christophe Laurent Louis Caterino, membre du personnel navigant d’Air France arrêté le 14 mai 2007 avec 51,863 comprimés de Subutex. L’exploitation partisane de cette fuite ainsi que des liens que certains parlementaires auraient pu entretenir avec des personnes mêlées de près ou de loin avec le trafic de Subutex, fut loin de contribuer à un examen serein de la problématique de l’importation du Subutex.

Le Buprénorphine, tout comme la Méthodone, est utilisé comme un substitut à l’héroïne dans le cadre thérapeutique et les deux produits sont classés dans la liste des produits psychotropes établie par la direction de l’International Narcotics Control Board sous la Convention on Psychotropic Substances de 1971 à laquelle la République de Maurice est signataire.


Le Buprénorphine ne fait pas l’objet, à Maurice, d’un protocole de distribution sous contrôle médicalisé comme c’est le cas pour la Méthdone, et cela, en dépit des dispositions de l’Organisation Mondiale de la Santé, auxquelles la République de Maurice est contrainte en tant que pays-signataire, et qui prévoient que les narcotiques et autres substances ayant des propriétés thérapeutiques devraient être rendus accessibles aux patients qui en nécessitent le traitement.

La politique mauricienne en matière de stupéfiants n’a fait qu’instituer le trafic à grande échelle du Subutex qui, au lieu d’être un produit thérapeutique de substitution à l’héroïne, est devenu un produit de substitution pour les narcotrafiquants qui alimentent au passage une économie parallèle. Car la faillite institutionnelle se manifeste non seulement par l’exploitation de la faille légale par les réseaux mafieux, mais aussi par l’instrumentalisation des familles des détenus par des agences qui font commerce de pétitions en ligne, de prestations d’avocats aux coûts exorbitants avec, en outre, des avocats basés en France qui facturent des prestations alors qu’ils ne sont pas assermentés au barreau mauricien et ne peuvent donc y plaider.

Pour être efficace dans son objectif de combattre le trafic de drogue, la législation aurait dû davantage se conformer aux réalités de ce trafic et, dans ce contexte, il eut été bénéfique que les juges renvoient les législateurs à leur travail incomplet. Pour faire bonne mesure, il convient de reconnaitre l’approche particulière du Directeur des Poursuites Publiques, Me. Satyajit Boolell, qui a démontré le souci de moduler la pugnacité du Parquet en fonction des cas. On lui doit, en l’occurrence, l’abandon des charges contre Katia Terminet contre qui la police n’avait pu réunir les preuves satisfaisantes pour le Parquet en dépit d’une détention provisoire de 21 mois. On lui doit également l’abandon des charges de trafiquant contre Tomas Pedraza même s’il ne fut pas suivi en cela par le juge Joseph qui infligea 14 ans de réclusion alors que la Poursuite n’en avait requis que dix. Ce sont là des approches qui sont susceptibles de faire évoluer la science juridique et qui ont une portée pédagogique essentielle à la culture des législateurs.

En l’état toutefois, dans la mesure où le judiciaire se contente de rester dans les limites du procédurier, la sentence infligée à Deborah Dangla ne fait que satisfaire la démagogie politicienne. Ce type de jugement ne fait qu’encourager des trafiquants sans scrupules à fournir des bêtes expiatoires en rabattant les personnes vulnérables qui font le lot des passeurs. Ce n’est certainement pas l’image que l’on se plait à entretenir de la justice.

Joël Toussaint
Président AIDE – Assistance & Informations aux Détenus Etrangers

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