Courrier des lecteurs de Brigitte Croisier

Oh la France, oh la France...

  • Publié le 4 avril 2013 à 07:46

Le passage à l'heure d'été de plusieurs pays européens a provoqué ici divers commentaires du genre " la métropole à 2 heures ". Tiens ! Le temps de transport St-Denis de La Réunion/Paris a été, comme par miracle, réduit grâce à un avion super-rapide ? Ou bien la distance a été soudainement abolie ? Car enfin, l'expression utilisée fait bien référence, habituellement, à la notion de temps de parcours entre deux points géographiques.

En réalité, cette formulation décalée révèle autre chose. Le cœur de sens ici est "métropole" et l’expression dit un rêve, conscient ou inconscient : celui de la fusion dans le giron de la mère patrie.

"Métropole" a une origine grecque : metro-polis signifie la cité-mère. Dans son usage religieux, ce terme a respecté sa connotation urbaine puisqu’il désignait le siège de l’archevêque "métropolitain" pour les catholiques ou du " métropolite " pour les orthodoxes.

Aujourd’hui encore, l’accent est bien mis sur le caractère urbain. Une métropole est un centre urbain de grande importance à fort rayonnement économique, politique et culturel,  au niveau d’une région ou d’une nation. Et quand ce centre prend des dimensions gigantesques, la métropole devient mégapole.

Manifestement, l’usage tellement répandu ici du terme "métropole" est d’une autre inspiration. Cela mériterait une enquête psycho-sociologique ainsi qu’une recherche historique pour déterminer à partir de quel moment ce terme a été admis aussi largement et avec quelles significations, explicites ou implicites.

De manière subjective et pleinement assumée, je noterais le flottement sémantique de ce mot que certains gratifient d’une majuscule comme pour mieux personnifier l’objet ainsi désigné.

Dans l’histoire, depuis le temps de la puissance conquérante d’Athènes, puis de Rome, la métropole désigne aussi l’Etat qui a colonisé d’autres îles ou continents. C’est alors un concept politique. Doit-on en déduire que celles et ceux qui parlent de métropole par-ci, métropole par- là ont bien en tête le rapport de dépendance coloniale, néo-coloniale ou post-coloniale ? Pas du tout ! Surtout, quand on érige cette notion en un lieu identifiable, localisable géographiquement grâce à la majuscule "Métropole". Un jeu d’écriture et le tour est joué…Mais comme, en réalité, nulle " Métropole " n’est repérable sur aucune carte, on est en droit de penser qu’il s’agit là d’une création mythique.

Dans quel espace-temps vivons-nous ?

Si on est dans le domaine symbolique, quasi-sacré, on peut alors se demander quelles sont les significations affectives attachées à ce terme. N’y a-t-il pas dans l’évocation, sinon l’invocation, de "La Métropole" une déclaration d’amour comme d’un enfant à sa mère, une mère protectrice dont on attend tellement ? Finalement une partie du sens grec originaire fait retour et la cité-mère antique s’habille en mère-patrie.

D’où cette expression qui sonne comme un soulagement : "la métropole à 2 heures". Certes, telle ou telle émission pourra être regardée un peu plus tôt sans trop empiéter sur notre sommeil : petit avantage pratique. D’ailleurs, la télévision a sans doute contribué à nous tourner toujours un peu plus vers le Nord, l’écran nous proposant une image identificatoire. Les manifestations culturelles se sont également inscrites dans nos calendriers de manière décalée : le Printemps des poètes a lieu en mars ; la Fête de la Musique qui, en France, se déploie lors de la nuit la plus courte, se déroule ici à la fraîche. Et ainsi de suite.

Du coup, on peut se demander dans quel espace-temps nous vivons, dans quel lieu et en quelle saison nous nous pensons, à moins de chanter comme jadis Joséphine Baker "J’ai deux amours, mon pays et Paris" ! Sans occulter la visée universelle de toute existence humaine, la construction de notre rapport au monde s’instaure d’abord ici et maintenant, dans l’échange charnel entre notre corps sensible et les paysages où il inscrit son activité. Bien sûr, tout un chacun imagine autre chose, rêve d’ailleurs, l’horizon visible n’étant que la promesse d’un nouveau monde à découvrir, une invitation à briser les frontières.

Mais, quand là-bas prend la place d’ici, quand le lointain est plus familier que le proche, qu’il l’occulte ou qu’il l’écrase, quand on attend tout ou presque de dehors, là, on ne sait plus trop où on en est et qui l’on est.  

Brigitte Croisier

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