Le Front national "premier parti de France"'

Le trompe-l'oeil des européennes

  • Publié le 27 mai 2014 à 05:00

Si le FN semble devenir le premier parti de France, ce n'est point tant par la place qu'il tient réellement dans l'opinion que du fait de l'effondrement des partis dits de gouvernement : un PS tétanisé par l'échec de François Hollande et une UMP qui ne s'est jamais remise de la pseudo-retraite de Nicolas Sarkozy. La crise se perpétuant, et le chômage avec, le seul vote qui mobilise aujourd'hui est synonyme de protestation... pour être poli.

Au lendemain du scrutin européen, si le Front National est crédité d'une victoire inédite, force est de constater que ce même FN n'a pas progressé dans l'opinion, nonobstant sa première place avec 24,96% des suffrages, exprimés, et non point des 44 millions d'inscrits. Alors certes, la représentation FN à Strasbourg passe de trois à 24 députés, un brillant résultat obtenu avec 4 147 212 voix contre 1 091 691 suffrages en 2009, mais en net recul par rapport aux 6,4 millions d'électeurs qui avaient voté Marine Le Pen pour le premier tour de la présidentielle 2012.

Les limites de la relativisation sont posées par les différences qui séparent ces scrutins, l'un étant clair dans ses enjeux, scrutin majoritaire uninominal et suffrage universel direct, l'autre des plus obscurs, avec un découpage en huit grandes circonscriptions improbables ; la plus surréaliste étant l'ultramarine, constituée de trois sections, donnant droit à un siège pour la section Atlantique, un autre pour la section océan Indien et un dernier pour la section Pacifique. Avec cette subtilité que les sièges à pourvoir sont répartis entre les circonscriptions, proportionnellement à leur population, selon la règle du plus fort reste… Trois sièges sur 74 et une circonscription circum planétaire !

Il va sans dire que les Français éprouvent quelque difficulté à se passionner pour des élections lors desquelles on sait à peine pour qui l'on voterait, sur la base de circonscriptions qui ne correspondent ni aux régions ni aux départements, en fonction d'enjeux et de compétences aussi impénétrables que peuvent l'être ceux du parlement européen…

La démission de Michel Rocard

Or donc le recul de l'abstention entre 2009 (59,37%) et 2014 (56,5%) serait quasiment miraculeux, s'il ne se redoublait d'une grave désaffection des partis de gouvernement que sont l'UMP et le PS, sans oublier leurs auxiliaires centristes, écologistes, divers gauches plus ou moins extrêmes.

Si l'on reconduit à l'endroit de ces grandes maisons politiques les comparaisons appliquées au FN, il apparaît que le Parti Socialiste qui avait déjà été flageolant lors des européennes de 2009, avec 2 838 160 voix et 16,48% des suffrages exprimés, pour 14 élus, s'est encore enfoncé dimanche dernier en n'obtenant que 13,88% des suffrages soit 2 214 581 voix. Moins de 14%… Un résultat plus mauvais que les 14,49% qui avaient provoqué la démission de Michel Rocard, premier secrétaire du PS, en 1994.

L'ombre de cette démission se fait encore plus lourde à porter pour François Hollande si l'on compare les résultats de la dernière présidentielle - 18 004 656 voix pour l'actuel locataire de l'Elysée - à ceux des européennes. Le déficit est énorme, François Hollande et son parti ont perdu 15,7 millions d'électeur. Même punition pour l'UMP qui laisse 13,5 millions de voix entre mai 2012 et mai 2014. En revanche la déperdition est moindre par rapport aux européennes de 2009 lors desquelles l'UMP de Xavier Bertrand avait raflé la mise avec 27,88% des suffrages et 4,7 millions de voix. L'UMP séparé aujourd'hui des Centristes de l'UDI perd tout de même la bagatelle de 1,5 million de voix.

Les inconséquences de François Hollande

A ce petit jeu de qui perd gagne, c'est donc le FN, qui perd le moins, mais gagne quand même du fait de l'effondrement de ses concurrents. Le PS qui depuis Mitterrand utilisait le FN contre l'UMP en titillant son électorat avec des mesures "sociétales" ou des provocations telles que le droit de vote aux étrangers non européens subit un second retour de propagande, après la claque d'avril 2002 qui avait vu l'élimination de Lionel Jospin, par Jean-Marie Le Pen, dès le premier tour de la présidentielle. Un événement qui est lourd de sens tant le régime Hollande semble privé de perspectives, impuissant, gouvernant au jour le jour dans une effrayante improvisation.

Pour l'UMP qui a un temps voulu concurrencer le FN sur des thèmes que le mouvement de la famille Le Pen avait su s'approprier, sous couvert de "droite décomplexée", le coup est d'autant plus rude que le Parti, que Xavier Bertrand voulait populaire, ne l'est plus depuis le 18 novembre 2013 et le putsch manqué de Jean-François Copé. Pire l'UMP ne profite pas de l'échec des Socialistes au pouvoir. Et son récent succès  aux municipales n'a pas réglé le problème de leadership du parti, en proie à une guerre intestine, récemment avivée par les éclaboussures financières et judiciaires de l'affaire Bygmalion. L'échec de Jean-François Copé aux européennes s'ajoutant aux soupçons de surfacturations, aux dépens de la campagne de Nicolas Sarkozy, commis par certains des  proches du président de l'UMP, l'heure est de nouveau aux règlements de comptes.

Finalement, le FN-Bleu Marine triomphe par la grâce d'un trompe-l’œil, un faux semblant politique qui en fait ponctuellement le premier parti de France. Une situation qui pourrait passer de l'éphémère au durable si les inconséquences de François Hollande dont la cartouche Valls a fait long feu se perpétuent. Le président est en première ligne. Or le jeu dangereux qu'il semble vouloir jouer avec une réforme territoriale improvisée, qui servirait de paravent à une redécoupage régional bien arrangé, la relance de thématiques de campagne "clivantes" telles que l'octroi du droit de vote aux étrangers non européens, sont autant d'adjuvants à la croissance de l'électorat FN, en sus de l'aggravation continue du chômage. A trop vouloir éliminer l'UMP qui le ferait bien toute seule, le PS pourrait s'effacer lui-même.

Philippe Le Claire pour www.ipreunion.com

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