Prise en charge des personnes âgées dépendantes

Comment bien s'occuper de nos gramounes

  • Publié le 30 mai 2017 à 02:59

Malades et en fin de vie... Les seniors réunionnais dépendants sont parfois rejetés. Pourtant, des dispositifs existent afin d'accompagner ces personnes âgées. Allocations, établissements spécialisés ou familles d'accueil, le bon choix s'impose pour le bien être de nos anciens

Dans sa case, située à proximité d’une ravine à Saint-Paul, Roger passe ses journées. Allongé sur son lit médical. Il scrute par la fenêtre et écoute Radio Freedom. Un quotidien semblable depuis son arrêt vasculaire cérébral en 2013. Le gramoune gaillard se retrouve subitement paralysé du côté droit et perd pratiquement l’usage de la parole. Alors qu’il est totalement autonome, il devient dépendant de ses enfants. " On ne s’y attendait pas, c’est arrivé brutalement ", se remémore Maria, l’aînée. Depuis ce jour, c’est elle qui s’occupe de Roger et veille à ce qu’il ne manque de rien. " Papa et maman ont tout fait pour moi quand j’étais petite. Je ne les ai pas abandonnés quand ils ont eu besoin de moi ", explique la quinquagénaire. Tous les jours, à 6h, elle quitte sa maison, située à deux minutes, pour aller chez Roger. Elle le réveille, allume sa radio, lui donne son petit déjeuner et elle commence son travail.

"C'est fatiguant"

Employée par le Conseil Départemental, Maria est aide-à-domicile. Elle est payée 500€ pour effectuer des tâches quotidiennes d’entretien dans la maison de son papa. Une fois le ménage terminé, elle rentre chez elle pour s’occuper de son domicile. Puis, à 12h, elle revient donner le repas à Roger. Un repas qu’elle prépare spécialement pour le senior puisqu’elle a une obligation alimentaire envers lui. L’après-midi, la mère de famille rentre à nouveau chez elle pour finir son ménage, puis revient chez Roger à 16h30 et reste jusqu’au coucher du gramoune. Des journées que Maria consacre pratiquement à son père.

D’ailleurs, même si elle " adore son travail ", elle regrette de ne plus avoir assez de temps pour se reposer : " C’est fatiguant de devoir s’occuper de son malade quand on a notre propre foyer à entretenir ". Aujourd’hui, son emploi du temps ne lui permet plus de consacrer autant de temps à ses enfants et surtout à son fils de 15 ans, lycéen. Elle le voit très brièvement le matin et le soir. " Il sait que c’est pour le bien de son pépé ", lâche l’aide-à-domicile. 

Le dispositif du Conseil Département dont bénéficie Roger, lui permet d’obtenir les aides nécessaires à l’accomplissement des actes essentiels de la vie. Cette aide, réservée aux personnes âgées de plus de 60 ans et en perte d’autonomie, permet ainsi le maintien à domicile. Une chance pour Roger qui peut ainsi rester chez lui tout en ayant une personne pour l’aider au quotidien.

"La justice tranchera"

Fanny, elle, n’a pas eu cette chance de rester à sa case. La gramoune, originaire de Salazie vit désormais chez sa fille, Gilberte. Atteinte de la maladie de Parkinson depuis 10 ans, son état de santé se dégrade en 2015. Sans réfléchir, Gilberte prend sa mère et l’emmène chez elle, à Saint André. " Je pense que si je l’avais laissé dans le cirque elle ne serait plus là aujourd’hui ", explique la fille aînée. En effet, les conditions de vie de Fanny, n’étaient pas favorables à son état de santé : " À Grand Ilet, il n’y a pas de kinés, de médecins, d’infirmières, comme à dans les bas ".

C’est avec le soutien de son mari et de ses deux enfants qu’elle a pu prendre cette décision " murement réfléchie ". Mais depuis 2015, en voulant donner une vie meilleure à sa génitrice, elle a mis la sienne " de côté ". En plus d’avoir la charge de la séniore, Gilberte travaille à temps plein. Elle est agent de secteur à la SHLMR de Saint-André. Ses journées sont surchargées et l’obligent à " payer des gens pour jardiner et faire le ménage ". Une fatigue qui l’a rendue malade, elle aussi : " J’ai fait une dépression. Je devais me reposer dans centre spécialisée mais je ne pouvais pas... Qui allait s’occuper de maman ? ", s’inquiétait-t-elle. En effet, l’employée peut compter sur très peu de gens pour prendre soin de sa mère. Depuis plusieurs mois, les relations avec ses frères et sœurs se sont dégradées. " Sur les neufs enfants, seuls trois se " préoccupent " de l’état de santé de Fanny. " Maman est plus proche des infirmières que de ses propres enfants ". Une situation qui aurait pu être évité selon un des petits-fils de Fanny. Il estime que si sa grand-mère résidait toujours dans le cirque, les relations entre les membres de la famille auraient été épargnées.

"Pas assez de places en EHPAD"

À défaut de ne pas recevoir de visite de sa famille, la gramoune salazienne reçoit quotidiennement une infirmière et une aide à domicile embauchée dans le cadre de l’APA. Fanny est totalement dépendante. En plus d’être atteinte de la maladie de Parkinson, elle souffre d’une fracture du dos et de l’ostéoporose. Du coup, le week-end, Gilberte n’a d’autres choix que de rester chez elle, avec son mari, pour s’occuper de sa génitrice.

Une situation qu’elle ne regrette pas mais qui joue sur son moral autant que sur celui de sa mère : "Elle me dit qu’elle me gâche la vie, qu’elle est une charge pour moi". Malgré tout, l’agent de secteur n’a pourtant pas l’intention de ramener sa mère à Salazie. Cependant, elle envisage, avec le soutien de deux de ses frères, de la placer dans un établissement spécialisé : "Les démarches sont longues puisqu’il n’y a pas assez de places". Ces procédures nécessitent tout de même l’accord de tous les enfants de Fanny. "Si certains ne veulent pas, la justice tranchera ", conclue la première fille de Fanny, déterminée.

"La politique de santé et le maintien à domicile"

A La Réunion,  seuls 4% des 75 ans et plus vivent en établissement à la Réunion, contre 10% en métropole. Avec un tarif moyen de plus de 2500 € pour un mois d’hébergement et de dépendance, cela représente un coût non négligeable pour les familles. " Les seniors dépendants de l’île sont très peu en institutions car ils n’en n’ont pas les moyens ", explique Armelle Klein, doctorante en sociologie.

Selon l’INSEE, 42% de la population réunionnaise vit sous le seuil de pauvreté. Toujours d’après l’INSEE, 92 personnes âgées dépendantes sur 100 vivent à domicile, même en cas de dépendance lourde. La politique de santé réunionnaise souhaite d’ailleurs conserver les séniors dépendants chez eux. En 2030, ils seraient estimés à 26 700, soit le double de 2012. " Le défi pour les pouvoirs publics est de prendre en charge la perte d’autonomie dans un contexte budgétaire de plus en plus difficile ", souligne la future sociologue.

Pour cela, le Département intervient en proposant des aides sociales telles que l’APA et des structures de maintien à domicile (MAD) et d’hospitalisation à domicile (HAD). Ces dispositifs permettent ainsi aux personnes âgées de conserver leur bien-être en restant chez eux. Mylène Mémorin, infirmière libérale, côtoie quotidiennement les personnes âgées : " Dans leur maison, il y a leurs photos de famille, toutes leurs habitudes, c’est là où ils ont fait grandir leurs enfants, c’est toute leur vie ". La professionnelle s’est rendue compte de par son expérience que les personnes âgées vivent moins bien le fait d’être déplacé dans un établissement. Une solution alternative existe lorsque les enfants ne peuvent pas ou plus prendre en charge leur gramoune : les familles d’accueil.

"Comme ma famille"

Daisy est accueillante familiale depuis cinq ans. Elle vit dans les hauts de Saint-Paul, au Bel Air, avec son mari, deux personnes âgées et un jeune adulte trisomique. Un choix qui était pour elle une sorte d’évidence. Alors qu’elle exerce en tant qu’aide-soignante à la Croix Rouge depuis 13 ans, Daisy démissionne. "J’ai toujours eu cette idée derrière la tête. J’ai construit ma maison il y a 10 ans dans la perspective de pouvoir accueillir des personnes âgées", lâche-t-elle.

En 2012, avec le soutien de son conjoint, récemment licencié, la quinquagénaire entame les démarches pour obtenir un agrément du Département : "La procédure dure 5 à 6 mois. On nous fait passer des entretiens avec des assistantes sociales, des psychologues. C’est très long", se rappelle-t-elle. Daisy n’a plus de place chez elle pour accueillir d’autres personnes dépendantes puisqu’elle en héberge trois, le nombre maximum. Elle et son mari partagent leur grande case blanche avec Mimose, Jean Claude et le petit nouveau de 30 ans, Rudy. Des individus auxquels Daisy s’est attachée : " Je les considère comme ma famille ".

"700 euros par personne accueillie"

Mimose et Jean-Claude, 63 ans, sont arrivés chez la Saint-Pauloise en 2013. "Au départ, je ne voulais pas des personnes trop âgées, ni grabataires. Je voulais pouvoir sortir avec eux sans trop de difficultés", se souvient-elle. Le rôle de Daisy, en tant que famille d’accueil, est de faire vivre les personnes dans les meilleures conditions. Une bonne relation entre les membres est donc nécessaire : "On a le droit de choisir qui on veut et ils peuvent choisir s’ils veulent rester aussi".  Daisy a déjà fait face à un malade psychiatrique " violent " qu’elle a renvoyée.

Au quotidien, Daisy ne se charge pas des soins. Des infirmières passent deux fois par jour pour les faire. Chaque mois, la famille d’accueil perçoit environ 700 euros par personne sans compter les aides sociales : " On est payé par rapport à une grille d’évaluation qui détermine le degré d’autonomie de la personne ". Sur une échelle de dépendance, graduée de 1 à 5, Mimose est au stade le plus élevé. Les deux hommes, eux, sont au niveau 3 de la dépendance.

Des pathologies différentes chez les trois individus mais qui ne les empêchent pas de bien vivre d’après Daisy. Pour la Saint-Pauloise, les familles d’accueil permettent aux malades de se sentir mieux au quotidien. En effet, le dispositif, " pas assez répandu à la Réunion ", propose un confort, un espace de vie aux personnes âgées dépendantes. Il faut savoir que ces gramounes sont placés car ils n’ont pas été accueilli par leur propre famille. " On ne connait pas l’histoire de la personne et on accepte ce qu’elle est aujourd’hui ", déclare Daisy. Aujourd’hui, la femme au foyer n’a aucun regret. Elle se réjouit de pouvoir donner aux accueillis plus qu’un lieu de vie, une famille.

Les dispositifs de prise en charge des personnes âgées dépendantes à la Réunion ne manquent pas. Le but étant de conserver le maintien de la solidarité intergénérationnelle. Pourtant, même si on assiste à une augmentation de la décohabitation, Armelle Klein, doctorante affirme que " les solidarités familiales restent vivaces. Le rôle de la famille et des aidants proches dans la prise en charge des personnes dépendantes demeure fondamental ".

de/www.ipreunion.com

guest
0 Commentaires