Son épouse, Sylvie, est décédée d'un cancer

"Tumeur changeante", le coup de gueule d'un veuf face à l'indifférence

  • Publié le 15 octobre 2018 à 02:59
  • Actualisé le 15 octobre 2018 à 12:16

De ces huit années passées dans l'antichambre de la mort, celle de son épouse Sylvie, Dominique Maraval de Bonnery, journaliste de son état depuis de nombreuses années à La Réunion, a tiré un livre. Pas de ceux qui font pleurer Margot dans la chaumière, même si on perçoit au fil des pages l'émotion, le désespoir même parfois, qui ont été les compagnons d'infortune de l'auteur. Ce livre est un pamphlet élégant, écrit avec une plume trempée dans l'acide d'un humour caustique bien mesuré. Certains en prennent pour leur grade, d'autres, qui se reconnaîtront, en sortent reconnus pour leur humanité.

C’était un jeudi.  Noir. Comme en 1929, lors du krach. A chacun le sien, souligne Dominique Maraval. Ce fameux jeudi noir d’octobre 2006, un petit homme en blanc convoque Dominique dans le hall de l’hôpital. " Venez seul ", lui avait-il dit. Foin des consultations en couple, qui prévalait jusqu’ici dans le douillet bureau dudit petit homme en blanc.
C’est face à lui-même et surtout face à la nuque baissée et au regard fuyant du médecin que Dominique va apprendre que son épouse adorée, "jolie métisse chinoise", est condamnée. Elle avait pourtant été opérée cinq ans auparavant d’une tumeur grosse comme une orange. Mais voilà, la rémission avait décidé de tirer sa révérence. La tumeur, certes réduite à la taille d’une mandarine, était de retour. Mais cette fois le pronostic vital était engagé. Point barre.

Quid du secret médical ?

Annonce violente, dans un cadre qui ne prêtait pas à la confidence, de surcroît.  Qui plus est, le lendemain, un ami de longue date, " beauf " du médecin, vient remonter les bretelles à Dominique pour délit de non acceptation de diagnostic, dixit le médecin à ce tiers. Et là, l’auteur pose la première interrogation de son long questionnement : quid du secret médical ?
Avant de faire un bon en arrière sur les cinq années écoulées, depuis la découverte de la tumeur à l’opération et ses suites non dépourvues, loin s’en faut, de dommages collatéraux. Dont une infection qui renvoie la jeune mère de famille sur le billard huit jours plus tard. " Deux opérations coup sur coup, avec son lot d’anesthésie et ses curetages à proximité des centres vitaux, ne restent jamais sans conséquences pour le patient ", écrit Dominique Maraval. Avec pudeur, tout au long de son livre, il évoquera à mots couverts ces séquelles et autres effets secondaires.

Plus fin, tu meurs…

L’auteur n’aura pas la même délicatesse pour évoquer les maladresses des écervelées, non médecin sinon épouse de… ou travaillant dans le secteur médical, qui poseront sans fard des pronostics devant la malade. Tel le mari d’une amie, biologiste de son état, qui expliquera entre la poire et le fromage à la jeune femme que la moyenne de la rémission, face à cette tumeur appelée oligodendrogliome, dont souffre son invitée, n’excède pas sept années. Plus fin, tu meurs…

Les mois passent. Les pertes de mémoire, les crises d'épilepsie, rendent la vie compliquée. Puis c'est le retour de la chimio, avec son lot de vomissements. En recherche de soutien, Dominique fera le tour des chapelles, s’arrêtant par hasard au temple réformé, dans le quartier de la Source, à Saint-Denis. Pèlerinage qui lui permettra d’apprécier de plus près l’ouverture d’esprit de cette confession minoritaire qui l’avait déjà interpellé lors de précédents reportages. Et leurs beaux cantiques polyphoniques, dit-il. Etape qui ne l’empêchera pas non plus d’arpenter la salle d’attente d’un acupuncteur un peu médium dont, écrit-il, " la bonne société réunionnaise et nombre de (ses) confrères étaient adeptes ".

Dans l'enfer de la maladie au stade terminal

Puis vient dans le récit le moment où la belle Sylvie ne peut plus rester seule. L’époux discret passe rapidement sur les candidatures qui, une fois brieffées sur l'état de santé de la mourante, se déclarent finalement indisponibles, sur les amis qui jouent l’Arlésienne.  Heureusement, arrive Hélène, une aide-malade si douce, tellement indispensable. En opposition totale au personnel médical peu empathique, au point de l'envoyer balader quand il demandait des nouvelles de son épouse dans le coma. Sauf en soins palliatifs où opèrent des professionnels de santé, très attachés à leurs malades". Heureusement, dans cet enfer de la maladie au stade terminal, il s’en trouve.

Une nécessaire remise en question

En guise de prologue, Dominique Maraval de Bonnery, pour lui rendre son total patronyme, se lancera en toute lucidité dans un questionnement sur le manque d'empathie du corps médical, à quelques exceptions près. " Jusqu'à ce jour la prise en charge compassionnelle du malade est toujours absente des programmes de formation des médecins", relève Dominique, fort de son expérience au cours des huit années passées.

L'Eglise ? Pas mieux notée, selon lui. Quant à "la société et les amis au sens le plus large qui soit" dont le mot d'ordre se résume à "Courage, fuyons!", ils ne s'en sortent pas mieux devant le tribunal du veuf.

Mais il serait réducteur de penser que Dominique Maraval de Bonnery, tout à sa douleur, se montre injustement à charge. Son épilogue se termine par quelques pistes constructives pour sortir les accompagnants des malades et des mourants de leur solitude.

Avec ces mots qui expliquent en une phrase la raison pour laquelle il s’est lancé  dans ce récit : " Il est temps de se pencher sur le problème de l’isolement psychologique dans lequel se noient encore aujourd’hui les malades et leurs accompagnants, car une société qui abandonne les plus vulnérables sur le bord de la route, devra un jour ou l’autre, se remettre en cause. " On ne saurait mieux dire.

Tumeur changeante, Dominique Maraval de Bonnery, éd. Le Livre Actualités, 18 euros
Page Facebook Tumeur changeante.

ml/www.ipreunion.com

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