Nouvel outil pour lutter contre les moustiques

Technique de l'insecte stérile, la nouvelle arme contre la dengue

  • Publié le 23 janvier 2019 à 02:59
  • Actualisé le 23 janvier 2019 à 10:43

La technique de l'insecte stérile (TIS) a été développée dans les années 1950 pour améliorer les récoltes partiellement détruites par les insectes. À La Réunion, depuis 2009 les équipes de l'IRD (Institut de Recherche et de Développement) avec d'autres partenaires développent cette technique afin de faire baisser la population de moustique tigre vecteur de nombreuses maladies. Des données ont été récoltées sur le moustique et son comportement dans notre environnement. Aujourd'hui, le projet est bien avancé et les scientifiques veulent lancer la phase de test dans la nature. Il reste à attendre la validation des pouvoirs publics pour voir cette technique révolutionnaire arriver en complément des actions déjà menées dans la lutte anti vectorielle sur l'île.

Les techniques traditionnelles de lutte anti-vectorielle menées contre les moustiques à La Réunion depuis 2006 montrent de plus en plus leurs limites, notamment en matière d’efficacité, mais aussi d’acceptation sociale de l’usage des insecticides. "Aujourd'hui ses méthodes de lutte ne sont plus suffisantes" rappelle Frédéric Simard, Directeur de recherche à l'IRD (Institut de Recherche et de Développement). Une autre technique développée dans les années 1950, contre différentes espèces de mouches nuisibles au bétail ou aux cultures semble aujourd’hui présenter une alternative prometteuse pour lutter plus efficacement contre les maladies infectieuses transmises par les moustiques.

La dengue à La Réunion n'est pas un cas unique dans le monde. Ailleurs dans l'océan indien ou dans l'hexagone, il y a également la présence du moustique tigre et donc les risques de transmissions de la maladie. Cet insecte originaire d'Asie n'est pas une espèce endémique deLa Réunion. Il a été introduit il y a plus de 100 ans. Cette espèce, en plus de la dengue, transmet d'autres maladies comme le chikungunya, le virus Usutu, la fièvre jaune ou le virus Zika.

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Réduire les populations

En introduisant des mâles stérile" dans les populations de moustiques, la Technique de l'Insecte Stérile permet de réduire drastiquement ces populations au cours des générations suivantes et donc de diminuer le risque de transmission d’agents pathogènes. Cette technique se réalise en 4 étapes :

1 - l’élevage en masse pour produire des centaines de milliers de moustiques en laboratoire
2 - le sexage pour séparer mâles et femelles (puisque ce sont les femelles qui piquent, seuls les mâles seront lâchés).
3 - la stérilisation par irradiation aux rayons gamma (qui préserve la vigueur et la performance sexuelle des mâles)
4 - le lâcher des mâles stériles, en quantité 5 à 10 fois supérieure à celles des mâles sauvages

Il n'y a pas de modification chimique, pas de modification génétique. La stérilisation par rayonnement est sans danger. "C'est aussi la garantie d'une efficacité, d'une sécurité pour les personnes puisqu'on stérilise les moustiques mâles pour qu'ils ne puissent pas féconder les oeufs des femelles. Aujourd'hui on utilise les mêmes techniques qui permettent de stériliser les poches de sang" indique le Dr François Chieze, Directeur de la veille et de la sécurité sanitaire à l'ARS OI (Agence Régionale de Santé, Océan Indien).

Une technique qui présente plusieurs avantages

La TIS est respectueuse des écosystèmes et de la biodiversité puisqu’elle est uniquement ciblée sur Aedes albopictus (moustique tigre), vecteur de la dengue et du chikungunya, sans risque d’impacter les autres espèces d’insectes ou d’autres animaux. La technique d’irradiation induit une stérilité uniquement sur les moustiques exposés en laboratoire, sans aucun risque de propagation de ce caractère de stérilité à d’autres moustiques ou dans le milieu naturel. Frédéric Simard précise : "Il s'agit de détruire les spermatozoïdes sans compromettre l'insecte".

Selon l'IRD, elle devrait permettre de réduire le recours aux insecticides et donc limiter considérablement les effets de ces produits (effets non intentionnels sur la faune, pollution, développement des résistances…). "Il s'agit d'une méthode complémentaire pour remplacer les insecticides" ajoute le directeur de recherche à l'IRD. Cependant il recommande la poursuite des actions en cours, comme l'élimination des gites larvaires, les opérations de démoustication et les campagnes de sensibilisation au public.

Bilan de la première phase

Ce projet nécessite plusieurs étapes avant d'imaginer sa concrétisation. Le Dr Louis-Clément Gouagna, entomologiste médical à l'IRD, a coordonné la première phase d'étude du projet TIS entre 2009 et 2014. Elle a consisté à une collecte de données sur la biologie du moustique tigre et son comportement dans le milieu naturel à La Réunion. Après cette première étape, la seconde initiée en 2016, les travaux scientifiques menés ont permis de définir la méthodologie à appliquer.

Les résultats sont "nombreux et encourageants"

• L'IRD a déterminé la méthodologie la plus efficace et rentable pour produire une grande quantité de mâles stériles.
• La méthode d'exposition aux rayons X a été calibrée pour stériliser le moustique mâle, tout en le laissant être compétitif par rapport aux mâles présents dans la nature.
• 95 à 100% des oeufs issus des pontes de femelles accouplées avec des moustiques mâles stériles n'éclosent pas.

Les Réunionnais "convaincus par cette méthode"

Une enquête d’acceptabilité sociale a également été réalisée fin 2018 par IPSOS auprès d’un échantillon représentatif de la population réunionnaise (1150 individus) :
• Les Réunionnais sont majoritairement convaincus de l’efficacité des méthodes de LAV (lutte anti vectorielle) pour lutter contre les moustiques. 68 % des personnes interrogées pensent qu’il est possible de réduire le nombre de moustiques à La Réunion.
• La TIS reste une technique relativement méconnue et qui doit être davantage expliquée aux Réunionnais. 34 % des personnes interrogées ont déjà entendu parler de cette technique.
• Les attitudes spontanées vis-à-vis de cette technique sont globalement positives à ce stade du programme : près de 2 Réunionnais sur 3 (61%), soutiennent le développement de cette méthode à La Réunion.

Le futur du projet

La prochaine étape pour les équipes travaillant sur le projet sera dédiée aux lâchers tests de mâles stériles pour la lutte contre Aedes albopictus (moustique tigre) en milieu naturel. Il faut attendre la validation des autorités locales compétentes et sera soumis à un arrêté préfectoral. La réalisation de cette phase permettra ainsi de lever les derniers verrous scientifiques et réglementaires pour envisager l'utilisation de la TIS à plus grande échelle à La Réunion.

Cette étape fournira de nouvelles données techniques précises sur la mise en œuvre de la TIS sur le terrain, son efficacité sur le moustique cible et les éventuels impacts sur l'environnement. La population sera également sondée pour voir l'acceptabilité sociale et le ressenti des habitants sur la mise en place de cette technique dans leur quartier. Frédéric Simard conclue : "Il faut le soutien de la population sur un projet aussi ambitieux".

jb/www.ipreunion.com

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