Discrimination, racisme...

Polémiques en chaîne et toujours la haine qui attise la haine

  • Publié le 6 juin 2019 à 11:30

Les propos de la chroniqueuse Christine Angot ne sont pas passés inaperçus samedi 1er juin 2019 sur le plateau de "On n'est pas couché". Comparant, pourtant sans vouloir le faire dit-elle, les souffrances des juifs pendant la Seconde guerre mondiale et celle des esclaves noirs, l'écrivaine s'est attiré les foudres des internautes et d'une bonne partie de la classe politique. On apprendra ensuite qu'elle ne sera plus chroniqueuse de l'émission à partir du mois de septembre, une décision soi-disant indépendante de la polémique née de ses propos... Christine Angot n'est que l'illustration d'une tendance bien trop réelle : la hiérarchisation de la violence. Par ces scandales sans fin, la discrimination et la peur de l'autre ne font que perdurer, entraînant toujours plus de discrimination. Toujours plus de polémiques, toujours plus de haine. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Faites ce que je dis, pas ce que je fais… C’est un peu ce qu’il s’est passé ce samedi 1er juin 2019 sur le plateau de "On n’est pas couché" sur France 2. Car Christine Angot, chroniqueuse de l’émission – du moins jusqu’en septembre –, s’est permis de dire tout et son contraire ce soir-là. D’un côté, ne mettons pas en concurrence les horreurs de notre histoire. De l’autre, il faut reconnaître, selon elle, que juifs et esclaves noirs n’ont pas souffert de la même manière...

"Le but avec les juifs pendant la guerre, cela a bien été de les exterminer, c'est-à-dire de les tuer". Une "différence fondamentale" avec l'esclavage des noirs selon elle… "L'idée c'était qu'ils soient en pleine forme, qu'ils soient en bonne santé, pour pouvoir les vendre et qu'ils soient commercialisables." Les esclaves noirs en bonne santé ? La sortie a fait grincer plus d’une dent… Peut-être est-il temps d'arrêter avec la concurrence de la vicimisation ? La course aux morts ? La compétition de la souffrance ?

Rappelons que lors de son échange houleux avec Sandrine Rousseau, ancienne porte-parole de EELV et victime d'agression sexuelle, Christine Angot elle-même victime de viol avait tenu à imposer sa vision des choses : une femme doit pouvoir se débrouiller toute seule. Le traumatisme vécu par l'écrivaine, victime d'inceste, est d'une violence inouïe, mais cela méritait-il nécessairement une comparaison avec l'agression sexuelle dont témoignait Sandrine Rousseau ? Doit-on nécessairement hiérarchiser la violence ?

"Tous unis contre la haine"

Les propos tenus sur l'esclavage samedi dernier, elle a dit les regretter depuis, à travers des excuses bancales : "je m’excuse" - formule étrangement inexacte pour une écrivaine – jugeant avec du recul ses propos "absurdes". Toujours est-il que le mal est fait.

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Plus de 900 signalements ont été faits au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Annick Girardin a rejoint les rangs des indignés en affirmant avoir "saisi le président du CSA afin qu’il instruise ce dossier". "Tous unis contre la haine" va jusqu’à tweeter la ministre des Outre-mer…

La haine oui, c’est bien le problème dans cette affaire. Car il est extrêmement facile de lancer une bombe du haut de sa tour d’ivoire, de se contenter ensuite de deux lignes d’excuses puis de retourner à son train-train quotidien comme si de rien n’était. Ces propos ont un impact, ils blessent. Les peuples d’Outre-mer sont outrés.

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Car encore une fois il semble que l’on puisse parler de façon légère de l’esclavage sans peur des représailles, sans crainte des conséquences. Comme si, justement, ces propos n’avaient aucune conséquence. Mais ils en ont. Encore une polémique, encore des phrases dures, des mots qui touchent, un verbe destructeur, comme cette tirade outrancière de Brigitte Bardot sur les "sauvages" ou "dégénérés" qui vivent sur notre île. Combien de polémiques encore faudra-t-il endurer, combien d’injures puis d’excuses, pour prendre conscience des choses ?

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Christine Angot se positionne comme une intellectuelle. Une femme qui écrit, qui réfléchit, qui débat. Une intellectuelle pourtant qui ne semble pas maîtriser les outils du langage. "Je n'ai pas su trouver les mots" a-t-elle dit avec précision. Et c’est bien dommage pour une femme de lettres…

La peur de l'autre

Alors aussitôt on s’excuse (sic) et on tourne la page comme on changerait de chapitre. Mais les conséquences restent. Et qui se sent blessé, réagit à vif, c’est le cas de n’importe quel Réunionnais qui s’est senti outragé avec les propos de Brigitte Bardot, c’est à nouveau le cas pour tous les descendants d’esclaves qui vivent sur l’île. Et les plus indignés de dire parfois, tristement : "encore une zorey qui ne sait pas de quoi elle parle". Car la haine attise la haine, ce n’est pas une nouveauté.

Et si parfois nous levons le poing devant des propos aussi discriminants, nous pouvons facilement tomber à notre tour dans la discrimination. Un étrange paradoxe qui arrive bien souvent.

Ce fut le cas avec Damien Rieu, figure de l’extrême droite identitaire, qui s’est approprié une photo illustrant le vivre ensemble réunionnais pour en faire une polémique sans saveur. Il s’agissait on le rappelle, d’une photo prise à la mosquée de Saint-Joseph sur laquelle on voit des gendarmes et des policiers attablés pendant le Ramadan. Oui ce cliché a été pris durant l'iftar, la traditionnelle rupture du jeûne célébrée chaque soir par les musulmans pratiquants. Oui les représentants des autorités faisaient partie des invités. Et ? Ce mélange des cultures et des cultes est chose courante à La Réunion, pourquoi en faire un pseudo scandale ?

Or les internautes n’ont pas attendu longtemps avant d’épingler le "zorey" en question. Mais "zorey" n’est pas la question. La question c’est bien l’extrême droite et la personnalité politique qu’est Damien Rieu : un homme aux opinions extrêmes, symbole du mouvement identitaire en France, grand partisan du FN, anti mariage homosexuel et adepte de la théorie du "grand remplacement"… Un homme formidable, en somme, synonyme de tolérance bien sûr...

Un vivre ensemble déjà fragile

A l’évidence oui, ce type d’individu ne peut comprendre le mélange des religions pourtant bien implanté dans le quotidien des Réunionnais. Car si les cloches des églises, les processions tamouls et les appels à la prière résonnent dans la même journée, cela ne choque personne.

Mais voilà autant de polémiques qui fragilisent le vivre ensemble réunionnais, déjà bancal dès qu’une situation de crise intervient. Car il est très facile de perdre son calme et d’en appeler aux injures racistes. Et ce type de scandale ne fait qu’alimenter une haine de l’autre, quelle qu’elle soit. La tolérance est une chose rare, préservons-là.

mm/www.ipreunion.com/redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
strop
strop
4 ans

D'un côté une maladresse regrettable, de l'autre côté, une hypertrophie de la sensibilité qui s'écrie du moindre à côté... Cela ressemble à jeter de l'huile sur le feu tout en prétendant vouloir l'éteindre.

Rivière
Rivière
4 ans

A propos des propos de Mme ANGOT : est-ce du racisme ? L'expression d'une concurrence des mémoires que l'auteur prétend combattre ? Est-ce encore l'exposé d'un impensé colonial français qui a décidément du mal à considérer comme égaux les anciens colonisés ?
Sans doute tout cela à la fois... mais cela nous interroge tous sur les attentes, ressentiments et blessures identitaires que nous portons à des degrés divers. Qu'aurions-nous dit si ces propos avaient été tenus par un intellectuel sud-africain noir, ou blanc ? Que ressentons-nous en apprenant que l'auteure est de filiation juive ?
Que dirait un auteur chinois ou indien sur cet art de comparer le sort historique des humains suivant leur confession ou couleur de peau ? Allons-nous désormais juger d'un propos en fonction de l'origine ethnique ou de la confession de son auteur ?
Tout en assumant nos racines et filiations, comment nous en émanciper pour assumer notre "identité" en tant que membre de la "famille humaine".
Beaucoup de dérives actuelles, indigénistes ou autres, ne s'inspirent-elles pas de pareils préjugés ? A l'instar des suprémacistes blancs, n'en voit-on d'autres surgir ? Fraternité.