L'aide de l'Etat "en débat" selon Annick Girardin

Sans les 28 millions du gouvernement, la filière canne - sucre est menacée de disparition

  • Publié le 20 juin 2019 à 03:00
  • Actualisé le 10 juillet 2019 à 12:17

La filière canne-sucre est plus que jamais menacée. Les mondes agricole et politique sont en émoi après l'intervention d'Annick Girardin à l'Assemblée devant les députés. Et pour cause, la ministre des Outre-mer a indiqué que le maintien de l'aide annuelle de l'Etat allant aux producteurs de sucre était en "débat" pour l'année prochaine. Or si cette somme - 28 millions d'euros par an - disparaît, les planteurs le disent clairement : c'est la catastrophe assurée, et assurément la fin de la filière canne. La Chambre d'Agriculture est plus modérée de son côté. Optimiste, elle estime que l'enveloppe de l'Etat sera conservée l'année prochaine, et que la filière canne peut de toute façon, au fil des années, laisser place à d'autres cultures. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Les termes étaient prudents mais ils ne sont pas passés inaperçus. Ce mardi 18 juin 2019, la ministre des Outre-mer répondait à une question d’Huguette Bello sur la possible disparition de l’aide de l’Etat allouée aux producteurs de sucre. "Sachez que le projet de loi de finances pour 2020 est en préparation et que ce sujet est, bien évidemment, débattu entre les différents ministères – faut-il renouveler cette aide à une transition ? Sachez que le Gouvernement est mobilisé, que cette question est au coeur des préoccupations du ministre de l’agriculture et au coeur des miennes, vous le savez. (...) Vous aurez une réponse très prochainement."

Cette somme de 38 millions d'euros au total (28 millions pour La Réunion, 10 millions pour la Guadeloupe), votée en 2017, visait à compenser la fin des quotas sucriers. Protégé jusqu’à maintenant, le sucre de canne réunionnais s’est retrouvé confronté à la libéralisation du marché européen. Il a dû faire face à la concurrence, notamment celle du sucre de betterave en métropole.

Lire aussi : Filière sucrière - 38 millions d'euros pour les entreprises de La Réunion, Guadeloupe et Martinique

Cette aide de 28 millions d'euros à La Réunion est essentielle pour les planteurs qui estiment aujourd’hui ne pas pouvoir s’en passer. Pourtant, on le voit, rien de moins sûr concernant sa reconduction l’année prochaine...

Du côté de la Chambre d’Agriculture, on ne veut pas s’alarmer. "Ce ne serait pas responsable de la part de l’Etat de supprimer cette aide maintenant", estime le vice-président de la chambre, Bruno Robert. Plutôt confiant, celui qui est également à la tête des Jeunes agriculteurs, estime qu’il n’y a "pas d’inquiétude à avoir".

Emmanuel Macron s’était pourtant engagé…

Du côté des élus réunionnais, c'est la levée de boucliers. "L'Etat organise-t-il la fin de la filière canne à La Réunion et en Guadeloupe ?" s’interroge le député LR David Lorion. Il pointe du doigt les engagements non tenus du président de la République lors de sa campagne en tant que candidat en 2017. "Lors de [son] déplacement à La Réunion le 25 mars 2017, celui-ci avait fait des promesses précises aux acteurs économiques de la canne à sucre."

Emmanuel Macron avait en effet déclaré vouloir aller "au bout de l’enveloppe des 38 millions d’euros d’aide"... "j’en prends l’engagement" avait-il ajouté.

Julie Pontalba, membre du PCR, surenchérit. La question du maintien de cette aide "ne doit pas se poser. Car l’État s’est engagé à verser cette aide tous les ans jusqu’en 2021."

"La non-reconduction de ce dispositif compensatoire aurait des conséquences néfastes alors que la filière canne-sucre participe au rayonnement culturel, économique et sociale des territoires ultramarins", s’inquiète de son côté la députée Nadia Ramassamy.

Le Département de son côté demande officiellement à l'Etat de maintenir cette aide. "Les élus du Conseil départemental demandent que la filière canne, un pilier de l’agriculture réunionnaise, soit préservée et soutenue. L’arrêt brutal de ce soutien national aurait des conséquences désastreuses pour notre territoire. Par cette motion, nous demandons à l’Etat de maintenir l’aide nationale de 28 millions d'euros par an en faveur de la filière canne en veillant à une répartition équilibrée et concertée de cette aide", a déclaré le président du Conseil départemental Cyrille Melchior.

Une "catastrophe totale"

La canne à sucre, c’est "la filière pivot" de l’agriculture à La Réunion, nous dit Bruno Robert de la Chambre d'Agriculture. Là-dessus, tous les acteurs accordent leurs violons. Quant aux risques encourus, ce n’est pas le même son de cloche partout. Car si la Chambre d’Agriculture paraît sereine, en affirmant que des solutions de compensation existent, les syndicats sont beaucoup moins tranquilles.

Du côté de la Confédération générale des éleveurs et planteurs de La Réunion (CGPER), supprimer cette aide mène à une "catastrophe totale" selon les mots du vice-président, Jean-Michel Moutama.

"Les propos de la ministre des Outre-mer sont inadmissibles, d’autant plus à ce moment précis, alors que la campagne sucrière de 2019 va commencer", estime-t-il. Les mots sont durs mais sans doute réalistes, sans l’aide de l’Etat : "ce sera la fin de la filière canne à La Réunion".

Les agriculteurs se découragent. Chaque année, on en compte environ 90 de moins. Selon Dominique Clain, le président du syndicat Unis pour nos agriculteurs (UPNA), les planteurs abandonnent peu à peu. "Il y a une petite dizaine d’années, on comptait environ 3.500 producteurs de canne à sucre sur le territoire, aujourd’hui nous sommes à 2.800 environ."

Une filière "en train de mourir"

Ce n’est plus un secret pour personne : la filière de la canne à sucre est en grande difficulté sur l’île, même avec l’enveloppe annuelle venant de l’Etat. "Techniquement on est déjà en train de mourir", explique Dominique Clain. "Même avec 28 millions d’euros, on ne tiendra pas jusqu’en 2021, c’est une certitude." La fin des aides ne ferait alors que précipiter la chute d’une filière déjà vouée à disparaître.

Tous les canniers qui se lancent dans la campagne sucrière 2019 "ont déjà des dettes". La terrible campagne sucrière de l’année dernière, perturbée entre autres par la série de cyclones qui a frappé l’île, était la plus mauvaise depuis 50 ans : moins de 1,5 million de tonnes de cannes livrées alors que les années les plus fructueuses avoisinaient les 2 millions, comme en 2015.

Lire aussi : La campagne sucrière a été catastrophique

Les syndicats attendent une vraie réaction de la part de l’usinier Tereos : "il faut trouver des solutions, renégocier les prix, on attend beaucoup de leur part", ajoute le président de l’UPNA. A ce stade, la direction de Tereos n'a pas donné suite à notre demande d'interview.

Car c’est effectivement par Tereos que passe la stratégie sucrière de La Réunion. L’usinier a d’ores et déjà annoncé d’importantes pertes à cause de la baisse du prix du sucre. Le prix référence de la tonne de canne est aujourd’hui de 40,07 euros. Avec les aides, il monte à 83,74 euros.

Dans le cas d'une suppression des aides, comment réagira le groupe sucrier ? Les planteurs redoutent un changement drastique des prix, voire un abandon total des usines. "C'est sûr, ils mettront la clé sous la porte", parie Dominique Clain. 18.300 emplois seraient alors menacés si aucune reconversion n'est envisagée.

La coupeuse péi difficile à maîtriser

La filière canne a d’autant plus souffert que la coupeuse péi, machine vantée par les usiniers, est devenue la bête noire des planteurs l’année dernière. "Que du volume et finalement très peu de sucre" résume Dominique Clain.

Lire aussi : Campagne sucrière 2018 - La coupeuse péi divise la filière canne sucre

Dans l’Est surtout, les agriculteurs ont peiné à s’adapter à ce nouvel outil, qui ne coupait que les cannes longues, ramassait beaucoup de terre, et a fait chuter la richesse des cannes coupées. Alors que le pourcentage de richesse attendu dépasse les 13%, de nombreux planteurs obtenaient un résultat autour des 9-10%... C’était pourtant l’une des rares solutions pour faire face à la pénurie de main d’oeuvre.

La canne peut-elle être remplacée ?

La Chambre d’Agriculture, on l’aura compris, plus optimiste, voit déjà d’autres chantiers pour arriver à un "plan de démantèlement sur le moyen terme", nous explique Bruno Robert. Car l’on reste lucide malgré tout : si la canne à sucre n’est selon eux pas menée à disparaître tout de suite, il faudra bien trouver des cultures de substitution un jour ou l’autre pour remplir les 24.000 de champs de canne aujourd’hui menacés. "La canne pourrait un jour servir à un but énergétique, en produisant de la biomasse locale", estime Bruno Robert.

Un pari utopique selon les syndicats qui sont unanimes sur le sujet : c’est une bonne idée, cela dit elle ne sera pas opérationnelle avant des années. Peut-être pas avant 2030-2035… Dans l’immédiat, si la filière canne meurt, la solution n’est donc pas viable.

"D’autres valorisations sont possibles", continue Bruno Robert, "comme la vanille, amenée à se développer, ou l’ananas. Le pivot canne est important mais d’autres cultures peuvent compenser en contrepartie. On ne remplacera pas nécessairement les 24.000 hectares de canne tout de suite, mais on peut gagner en diversification".

Une nouvelle fois, les syndicats sont sceptiques. La CGPER n’est pas dupe : "Si un planteur a toujours fait de la canne, il ne va pas faire de la vanille ou de l’ananas du jour au lendemain."

La diversification des cultures a donc ses limites : "nous ne sommes pas assez concurrentiels, il n’y a pas d’autre culture assez forte, qui puisse vraiment fonctionner avec le climat réunionnais", estime pour sa part Dominique Clain. Planter d’accord, mais pour quel volume de vente derrière ? Quelle rentabilité ? C’est là que les agriculteurs s’interrogent.

Nouveau préfet, nouvel espoir ?

Jacques Billant l’a bien fait comprendre lors de sa prise de fonctions lundi 17 juin : l’agriculture est une priorité à ses yeux. Ancien directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, il a de lui-même abordé la question de la filière canne-sucre lors de sa présentation officielle à la presse. Pourtant il l’admet : concernant l’aide aux Outre-mer de 38 millions d’euros, "les arbitrages n’ont pas été rendus".

Celui qui semble prendre très à coeur les inquiétudes des agriculteurs réunionnais saura-t-il alors les défendre dans ce dossier ? Même les syndicats "veulent y croire". "On parle d’un enjeu pour plus de 18.000 emplois, on espère que le nouveau préfet nous écoutera", explique Dominique Clain.

"On lance un appel, on espère vraiment qu’il aura un poids dans cette affaire", nous confie pour sa part Jean-Michel Moutama de la CGPER. "Ce n’est pas seulement le ministère de l’Agriculture qui est concerné ici, on parle du Plan de finances 2020 : il faut que le préfet mobilise les autres ministères."

Si ce n’est pas le cas, les syndicats se disent prêts à répliquer. "On ne restera pas les bras croisés, on est déjà en train de se mobiliser entre syndicats", explique Jean-Michel Moutama. De là à bloquer la préfecture à l’aide de leurs camions, il est trop tôt pour le dire... Mais si l’Etat vient à "sucrer" l’aide aux planteurs, la réaction risque d'être violente.

mm/www.ipreunion.com/redac@ipreunion.com

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5 Commentaires
Bruno, depuis son mobile
Bruno, depuis son mobile
4 ans

Au départ ce n'est pas 38 millions ? ...

GERARD97460
GERARD97460
4 ans

Vivement qu'on supprime cette aide qui ne sert à rien, quand est ce qu'on se penchera sur l'agriculture pour amener la Réunion à l'autosuffisance légumineuse et ne pas aller s'approvisionner à MADAGASCAR comme ils le font depuis toujours.Ce sera un grand chamboulement dans le monde agricole, car là il faudra vraiment travailler et du courage pour suivre ce genre de plantation, ce ne sera pas comme la canne à sucre qui demande juste une surveillance et empocher la monnaie des aides qui viennent de toute part.Cela va faire du bruit dans le monde de la canne à sucre, il fallait arrêter cette culture depuis fort longtemps car non rentable pour la Réunion.Prendre exemple sur l'île sÅ"ur qui va abandonner cette agriculture qui elle ne bénéficie pas des aides comme la Réunion et pourtant elle est beaucoup plus compétitive que la Réunion.Il y a longtemps qu'il fallait supprimer cette agriculture sur le sol de la Réunion qui est aidé de partout depuis sa plantation jusqu'à la vente du sucre, il faut que les créoles regardent comment fonctionne vraiment le Brésil sur cette culture, la Réunion est vraiment à cÃ'té de la plaque concernant la canne à sucre.Les réunionnais croient tout savoir sur cette plante et alors qu'ils ne savent rien, c'était une culture coloniale juste pour occuper les sols de la Réunion et pas plus..Il faut changer l'agriculture sur les sols de la Réunion, cela aurait du être fait depuis fort longtemps je pense..Mais comme on a des ânes politiques qui nous gèrent et nous dirigent à la Réunion sur eux il ne faut pas compter, ce ne sont pas des spécialistes de l'agriculture qui dirigent la Réunion.Alors à quand le changement!!

BA
BA
4 ans

C'est très bien. La main d'oeuvre devient de plus en plus dure à trouver, beaucoup moins de glyphosates seront déversés dans les sols et l'océan (rappelons que la Réunion est l'un des plus gros consommateurs parmi les départements français...), moins de gaspillage d'eau. Une activité qui ne survit que par les subventions et non par elle-même ne peut perdurer.

Portoise
Portoise
4 ans

Il faudra se demander comment fait Maurice qui n a aucune aide et produit ses cannes, thé...

KUNTA KINTÉ
KUNTA KINTÉ
4 ans

Il serait temps qu'on se diversifie , en commençant par l'autosuffisance alimentaire à faire pousser des légumes , des fruits avec un label . Subventionner la canne pourquoi pas mais à qui profite réellement ces 38 millions d'euros ...
Celles et ceux qui roulent en 4X4 , ou encore dans des tracteurs climatisés sur les champs , il est temps qu'on se réveille pour ne pas subir cette importation à outrance alors que MADAGASCAR peut devenir semble t-il le grenier de l'IndianOcéanie !!!