Livraison rapide de repas

Uber Eats débarque à La Réunion, son modèle économique décrié aussi

  • Publié le 7 octobre 2019 à 03:00
  • Actualisé le 7 octobre 2019 à 07:06

Uber, c'est ce géant américain de la technologie spécialisé dans le service. Au départ une application pour mettre en relation un utilisateur et un conducteur réalisant un service de transport. Une révolution et surtout, une opération couronnée de succès pour la start-up. La multinationale ne s'est pas arrêtée en si bon chemin, elle a lancé Uber Eats, une plateforme de livraison de repas à domicile. Arrivée en mars 2016 dans l'hexagone, Uber Eats a bousculé les habitudes de consommation des métropolitains. Uber Eats devrait débarquer à La Réunion d'ici la fin de l'année. Mais au delà de l'aspect pratique, le géant de la tech sera scruté à la loupe notamment sur les conditions de travail de ses livreurs. Depuis plusieurs années, Uber Eats et ses concurrents sont dans le collimateur de la justice en raison de certaines de leurs méthodes. Explications

Des précédents

En métropole, une flotte de milliers de coursiers livrent des millions de clients chaque jour pour le compte d’Uber Eats. Des salariés ? Non, des travailleurs indépendants. Ceux que la société américaine qualifie de " coursiers-partenaires " sont considérés comme des prestataires par le géant de la tech. Et c’est bien là, le problème.

Le 28 novembre 2018, un cas a fait jurisprudence. La Cour de cassation a estimé que les livreurs à vélo enregistrés comme auto-entrepreneurs qui travaillaient pour la défunte start-up Take Eat Easy, une société de livraison de repas, étaient des salariés susceptibles de bénéficier de tous les droits propres à ce statuts.

En janvier 2019, le Conseil des Prud’hommes de Nice a ordonné l’indemnisation de six anciens livreurs qui travaillaient pour Take Eat Easy estimant qu’il s’agissait là de travail dissimulé. Cette décision découle de celle de la Cour de cassation.

L’arrêt de la Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire fait donc jurisprudence. Une décision motivée par le fait qu’il existe un lien de subordination entre les livreurs et Take Eat Easy.

Cette décision inédite crée donc un précédent en France, pour les concurrents de la start-up belge qui fonctionne sur le même modèle, c’est la douche froide. Sentant le vent tourner, Uber Eats a voulu montrer sa bonne foi. Depuis octobre 2017, dans le cadre de leur partenariat avec Uber Eats, tous les coursiers utilisant l'application bénéficient automatiquement et gratuitement d'une assurance de protection sociale, une couverture santé et prévoyance en cas d'accident, d'arrêt de travail, d'hospitalisation, ou d'évènements de la vie comme l’arrivée d'un enfant. Mais cela n’élude en rien la problématique de fond.

Des suspicions de travail dissimulé

Les accusations de travail dissimulé sont basés sur plusieurs éléments : le lien de subordination entre les livreurs et l’entreprise, le fait que les coursiers soient exposés à une sanction voire une radiation en cas de refus de course, le fait qu'ils soient géolocalisés, l’exclusivité entre Uber Eats et ses coursiers. Imaz Press a contacté les services du géant américain, à chaque argument, le géant de la tech a une réponse :

• Tous les coursiers qui choisissent d'utiliser l'application Uber Eats pour effectuer des livraisons sont des indépendants. Ils peuvent effectuer les livraisons à vélo ou en scooter.
• Lorsque le compte a été créé et activé, les coursiers sont libres de se connecter quand ils le souhaitent, s'ils le souhaitant et où ils le souhaitent.
• Concrètement, les coursiers peuvent décider de s'y connecter en temps réel et ne préviennent pas Uber Eats au préalable. Le modèle d’Uber Eats c'est aussi l'absence de créneaux horaires et de clause d’exclusivité.
• Les coursiers sont libres d’accepter ou de refuser une course qui leur est proposée via l’application Uber Eats et aucune sanction n’est appliquée si le coursier décide de refuser la course.

Une action collective contre Uber Eats

Maître Christophe Leguevaques est un avocat toulousain, en juillet dernier, il a lancé une action collective contre Uber Eats. Contacté par Imaz Press, il a expliqué les raisons pour lesquelles la société américaine n’a aucun intérêt à salarier les milliers de livreurs qui travaillent pour elle en France.

"La première chose, ce sont les cotisations sociales, vous vous rendez compte, si demain les 40 000 coursiers d’Uber Eats en France étaient inclus dans les comptes de l’entreprise, cette dernière devrait payer des millions d’euros de cotisations sociales. De plus, ces salariés auraient droit à un salaire, à des prestations sociales, ils cotiseraient pour leur retraite, auraient droit au chômage en cas de rupture de contrat… Pour eux, ce serait une requalification plus juste et avantageuse, pour Uber Eats, une catastrophe économique. "

Pour maître Leguevaques, "cette entreprise bafoue le droit du travail, Uber Eats considère qu’elle n’est qu’une plateforme qui met en relation des clients et des prestataires mais c’est totalement faux, les livreux sont soumis aux ordres de l’algorithme Uber Eats, si les consignes ne sont pas respectées, ils sont sanctionnés. Ils ne peuvent pas refuser une course. Et ne savent pas en avance où ils vont livrer ni même le montant de la course. Le lien de subordination ne fait aucun doute. Tout comme le principe de travail dissimulé" s’insurge-t-il.

Pour l’avocat, les arguments de l’entreprise sont durs à entendre. "Ils jouent sur la naïveté des livreurs et sur le fait qu’ils ne puissent pas se rassembler, donc s’unir pour faire face. De plus, ils ne veulent pas perdre ce travail, aussi illégal soit-il. Pour beaucoup, il s’agit de leur seule source de revenus" indique l’avocat.

Un autre cas à La Réunion

À La Réunion, le franchisé de la plateforme de livraison de repas Please est confronté à la même problématique qu’Uber Eats. Johnny Arnachellum sait qu’il flirte avec l’illégalité. "Au début, les livreurs étaient tous en CDD de deux mois. Ce modèle ne fonctionnait pas, les charges étaient trop importantes". La quinzaine de livreurs qui travaillent pour l’entreprise ont donc pris le statut d’auto-entrepreneur. "C’est limite mais ça créé de l’emploi et c’est temporaire surtout" commente Johnny Arnachellum.

Il affirme qu’il ne veut pas être "vecteur de précarité", il aide ses coursiers à monter une Scop (société coopérative et participative). "Cela leur permettra d’être leur propre patron, de travailler à leurs conditions, ils auront un salaire, pourront avoir plusieurs clients, développer d’autres missions et moi, j’aurai un vivier de coursiers et cette fois, tout sera légal" affirme Johnny Arnachellum. Ce projet devrait voir le jour dans quelques mois.

La CGSS pas intéressée

Dans notre département, les services de la CGSS (Caisse générale de sécurité sociale) ont vu le nombre de travailleurs indépendants sous le statut d’auto-entrepreneur augmenter ces dernières années, "même si ce n’est pas aussi intense qu’en métropole" nous confie-t-on. L'arrivée d'Uber Eats ne semble pas susciter plus d'intérêt que cela... Si la Sécurité sociale affirme  qu’elle ne sera pas en alerte à l’arrivée du géant américain de la tech dans notre département ."Ce n’est pas à nous de juger, c’est à la justice de faire son travail" se dédouane-t-on à la CGSS. De fait, il relève de l'Ursaaf (Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales), de saisir la justice lorsqu'un cas de travail dissmulé est suspecté.

L’arrivée d’Uber Eats à La Réunion pourrait bien bousculer nos habitudes alimentaires et casser les codes en imposant aux Réunionnais, notamment les plus précaires, ce modèle à mi-chemin entre salariat et travail indépendant.

fh / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
Tristan
Tristan
4 ans

Je renvois les gens vers l'excellent docu, comme souvent, de cash investigation à ce sujet, passé y a une quinzaine de jours et facilement retrouva le sur yt.Nous avons du chÃ'mage certes, mais nous ne voulons ni l'esclavage ni les morts qui vont avec. Boycott uber !

Joseph
Joseph
4 ans

Avec les bouchons endémiques de cette Île, les repas risquent d'arriver gâtés !