Pyrénées-Orientales

A Rivesaltes, ranimer la mémoire de l'extermination des Roms

  • Publié le 22 novembre 2019 à 21:39
  • Actualisé le 23 novembre 2019 à 05:41

La voix tremblante, Leana, 95 ans, est submergée d'émotion en évoquant pour la première fois sa déportation: les témoignages, rares, de survivants de l'extermination nazie des Roms d'Europe de l'Est, résonnent dans une exposition au mémorial du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales).

Lors d'une rencontre à Cazabesti, en Roumanie, la vieille dame aux longues tresses blanches "m'a dit en me prenant par la main: +viens, je vais te raconter mon histoire avant de mourir+", se souvient le père Patrick Desbois, à l'origine de l'exposition.

Le prêtre français, qui a fondé l'association Yahad-In Unum (ensemble, en hébreu comme en latin), consacre depuis des années sa vie à documenter le génocide des juifs et des Roms ou la persécution des Yézidis par le groupe État islamique en Irak.

Il n'existe pas de chiffres précis sur le nombre de Roms assassinés par le régime nazi et ses alliés --entre 220.000 et 500.000 selon les historiens--, "et pour cause", soutient l'ecclésiastique. "Les Allemands détestaient les juifs mais ils méprisaient les Roms, ils ne comptaient donc même pas ceux qu'ils tuaient", dit-il.

Même chose pour les photos: "il existe beaucoup plus de photos d'exécution de juifs, pour les besoins de propagande, comme +souvenirs+ envoyés par les soldats à leurs femmes, que de Roms, car c'était moins +héroïque+ de tuer des Roms", affirme le père Desbois à l'AFP, venu inaugurer mercredi l'exposition.

- "Porter la poisse" -

A travers leur récit de l'horreur parfois difficilement formulé, Gheorghe, Alexandra, Istrate ou Leana racontent la peur, l'humiliation, la torture, le viol et la mort.

Leurs histoires, captées dans des portraits géants et des vidéos tournées chez eux en Moldavie, Roumanie ou Biélorussie, côtoient les souvenirs des milliers de juifs, Tziganes, républicains espagnols et harkis internés au camp de Rivesaltes, près de Perpignan, au cours du XXe siècle.

L'enquête qui alimente l'exposition a débuté il y a dix ans. "Nous avons interviewé plus de 300 survivants et effectué un long travail de documentation, de consultation d'archives, avec une équipe de vidéastes, photographes, enquêteurs, traducteurs et scripts" en majorité roms, raconte Costel Nastasié, coordinateur de ce projet au sein de Yahad-In Unum.

Les grands-parents de cet ex-policier ont eux-même été déportés de Roumanie vers la Transnistrie par les gendarmes roumains et non par les unités allemandes. "Le général Antonescu (qui dirigeait la Roumanie), allié des nazis, avait préféré +faire le travail lui-même+", souligne le père Desbois.

Ce génocide est peu documenté. "Souvent les gens n'aiment pas les Roms, donc un génocide d'un peuple qu'on n'aime pas, on ne s'y intéresse pas", soutient le prêtre. Et la transmission de la mémoire au sein-même de la communauté est compliquée. "Il y a une dizaine d'années, quand j'ai découvert ce qui était arrivé à ma famille, ma mère m'a dit: +on n'aime pas parler du passé car ça porte la poisse+", raconte M. Nastasié.

- "Un jour on passe à l'acte" -

"Chez nous, il est très difficile de garder des archives, quand on meurt, on brûle tout. Tout se transmet par l'oral", abonde Jojo Soler, aumônier de la communauté gitane de Perpignan, présent à l'inauguration de l'exposition.

Il se dit particulièrement ému de voir qu'une exposition sur les souffrances endurées par les Roms ait lieu dans cet endroit chargé d'histoire. "Entre janvier 1941 et novembre 1942, 1.334 femmes, hommes et enfants tziganes, venus principalement de l'est de la France, ont été internés au camp de Rivesaltes dans des conditions épouvantables" par le régime de Vichy, rappelle la directrice du mémorial, Agnès Sajaloli. "Il y avait parfois jusqu'à 10 morts par jour".

Près de 80 ans plus tard, "on sent toujours qu'on n'a pas de valeur. Quand on parle de nous, c'est toujours le +gitan+, alors qu'on est Français à 100%. On devrait dire +Monsieur untel+, comme pour tout le monde", s'exaspère Laurent Gimenez, pasteur dans la commune d'Elne (Pyrénées orientales).

Une piqûre de rappel que le père Desbois a tenu à introduire dans son exposition, en affichant des propos dégradants sur les Roms tenus par des hommes politiques européens. "On veut montrer que le rejet d'une population, rom ou autre, c'est grave, parce qu'un jour, on finit par passer à l'acte".

AFP

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