17 appareils ont été attribués

Violences sur les femmes : "je me sens plus en sécurité avec le téléphone grave danger"

  • Publié le 14 décembre 2019 à 11:26
  • Actualisé le 14 décembre 2019 à 11:31

Lors de sa venue à La Réunion, Marlène Schiappa a dressé la liste des améliorations à faire pour soutenir les femmes victimes de violences conjugales. Parmi les points abordés, les téléphones grave danger (TGD). Un dispositif qui permet pour une femme particulièrement menacée d'alerter la gendarmerie la plus proche tout en étant immédiatement géolocalisée. 25 de ces téléphones ont été attribués à La Réunion. Pour la secrétaire d'Etat, ils restent "dans un placard". Dans les faits, c'est incorrect, 17 d'entre eux sont en circulation actuellement sur le département. Mais du côté des associations et du parquet, on espère en effet que le nombre de ces téléphones sera amené à augmenter. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Marie connaît bien le téléphone grave danger pour la simple et bonne raison que c'est la deuxième fois qu'elle l'a entre les mains. Une première fois durant toute l'année 2017, la deuxième depuis le mois d'août.

Un objet qui lui permet de se sentir davantage en sécurité face aux violences physiques et psychologiques que son ex-mari lui fait encore subir aujourd'hui.

"Il n'a pas voulu accepter les termes du divorce, il aurait voulu tout garder", raconte-t-elle. "Ça a concrétisé une forme de violence qui existait déjà avant." Depuis la signature du divorce, Marie vit un enfer.  "Il m'a tout fait. Des coups oui, mais aussi une fausse tentative de suicide pour me faire culpabiliser, il m'a harcelée, il a débarqué dans l'école de mes enfants, il a défoncé la porte de la maison. Ce soir-là il s'est jeté sur moi et m'a rouée de coups" raconte-t-elle. "Une vraie sauvagerie".

Depuis l'homme est parti vivre en métropole. Leurs deux enfants restent avec leur mère : "j'ai mis du temps mais j'ai enfin obtenu la garde exclusive de mes enfants et leur père n'a plus le droit de les voir" nous explique-t-elle. "Depuis toujours je maintiens qu'un père qui bat sa femme, même s'il ne porte pas la main sur ses enfants, n'est pas un bon père." C'est l'un des points abordés dans le Grenelle contre les violences conjugales.

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Les enfants de Marie ont été durement impactés par ces violences : "l'un ne dormait plus, l'autre avait des excès de colère" raconte-t-elle.

Du harcèlement au grand danger

Même en vivant à 10.000 km, les menaces continuent. "C'est comme si on lui avait enlevé son jouet" estime Marie, "alors il me harcèle". La petite famille doit se rendre en métropole prochainement. L'ex-mari l'a su et a envoyé un texto à ses enfants : "là où vous serez, je serai".  Marie a compris : "le message est clair, c'est moi qui suis visée dans ce message".

Pour toutes ces raisons, elle a été jugée en situation de "grand danger" par le Réseau Vif, réseau de lutte contre les violences intrafamiliales. Un concept qui existe depuis 2013. C'est l'assistante sociale de la gendarmerie à laquelle Marie a eu affaire qui l'a mise en relation avec l'association.

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Référent départemental officiel pour la gestion et l'attribution des téléphones grave danger (TGD), le Réseau Vif travaille en étroite collaboration avec l'Arajufa. "C'est un binôme que nous avons formé en juin 2015" explique la présidente du réseau, Geneviève Payet. "L'Arajufa gère le côté juridique et judiciaire, et nous agissons sur la partie victimologie, nous évaluons la personnalité de la victime, parfois aussi celle de l'auteur."

Ce sont ces deux associations qui de concert demandent l'attribution d'un téléphone auprès du parquet. Celui-ci étudie le dossier et décide d'attribuer ou non le TGD, en s'appuyant sur les recommandations du Réseau Vif. "Il arrive aussi que certaines femmes refusent le téléphone, car elles estiment ne pas en avoir besoin", explique Geneviève Payet. 

Comment définir la situation de grand danger ? "C'est très complexe bien évidemment", admet la présidente de l'association. Il existe une grille avec de nombreux critères : criminologique (réitération des faits, armes, menaces de mort), sanitaire (dépression, alcool, impact éventuel sur une grossesse, hospitalisation), social (déménagement, précarité), et tout ce qui est lié à la famille.

17 téléphones attribués en ce moment

Lors de son passage à La Réunion, la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa a estimé qu'il fallait "généraliser les téléphones grave danger. (…) Il y en a 25, financés, mais qui sont dans un placard, qui ne sont pas attribués".

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Dans les faits, 17 téléphones sont actuellement en circulation. "Sur Saint-Denis, nous en avons actuellement 8 attribués, le dernier l'a été ce vendredi" nous indique le procureur Eric Tuffery. Le parquet Saint-Pierre en a attribué 9 autres. Sur l'ensemble de l'année, 26 femmes ont bénéficié de ces TGD à La Réunion. L'année dernière elles étaient 14.

Le téléphone est ensuite attribué pendant 6 mois, avec un renouvellement possible en fonction de la situation de la victime.

Géolocalisation et réaction immédiate

Marie n'a pas encore eu l'occasion d'actionner son téléphone volontairement, "mais j'aurais dû" nous dit-elle. "Un jour je me suis retrouvée face à mon ex-mari qui cherchait à m'agresser. J'ai vu des gendarmes au loin et j'ai couru vers eux. Mais j'aurais quand même dû actionner le téléphone pour mettre en place la procédure."

Depuis le 4 août 2014, une loi officialise le dispositif des TGD. Un simple bouton sur le côté du téléphone permet de prévenir les gendarmes et de localiser la victime, immédiatement géolocalisée. Si la victime est apte à parler, elle est mise en relation avec un centre d'appels qui prend toutes les informations nécessaires : que s'est-il passé exactement, dans quel état est la victime, a-t-elle des proches à proximité chez qui elle peut se rendre, où est l'agresseur, etc.

Marie a déjà constaté l'efficacité du dispositif, lorsque son TGD s'est actionné tout seul dans son sac. Enseignante, elle se trouvait à la plage avec ses élèves : "j'ai vu débarquer la patrouille, je leur ai expliqué que c'était une erreur". C'est ce qui différencie ce téléphone des autres appareils classiques : pas besoin de parler, il suffit pour la victime d'appuyer sur le bouton si celle-ci n'est pas en mesure de discuter.

"Cela peut arriver que l'on soit tétanisée ou en danger au point de ne pas pouvoir sortir le téléphone de son sac" ajoute Geneviève Payet du Réseau Vif. Surtout quand, dans le cas de Marie, le conjoint devient violent au point de se précipiter sur la victime pour fracasser son téléphone… "Ça m'est déjà arrivé, en plein tribunal" se souvient-elle.

"Ne me tenez plus la main, je sais marcher toute seule"

Pour Geneviève Payet, le TGD est aussi une manière pour ces femmes "d'être actrices dans la démarche de prise en charge". Les victimes évaluent elles-mêmes la situation. "Un jour, l'une d'elle m'a rendu le téléphone avant la fin en me disant : 'Ne me tenez plus la main, je sais marcher toute seule'. Avec ce type de dispositif, les femmes se disent : moi aussi je peux me protéger, repérer les choses. C'est une façon de gravir à nouveau cette échelle qu'elles ont dégringolée".

Marie le dit, "je me sens plus en sécurité avec le téléphone grave danger". Bien qu'elle réclame davantage de travail sur l'éloignement géographique du conjoint violent et l'interdiction de territoire. "Si j'apprends que mon ex-mari revient à La Réunion, j'aurai sans doute envie de quitter l'île. Mais le téléphone me rassure, ne serait-ce que quand je vais mener les enfants à l'école".

Les enfants sont d'ailleurs intégrés au dispositif. "On en voit certains qui veillent à ce que leur mère n'oublie pas le téléphone, ou que celui-ci soit toujours chargé" raconte Geneviève Payet.

Encore plus de téléphones à l'avenir ?

Aujourd'hui c'est le réseau qui gère le stock de téléphones. Tous les acteurs espèrent que le nombre de TGD sera amené à augmenter. "Tous les attribuer serait très dangereux", estime le procureur Eric Tuffery. "Imaginez qu'une femme en ait besoin de toute urgence, il faudrait aller le reprendre à une autre victime ? Impossible." L'attribution peut être très rapide, moins de 24 heures.

"Si le cadre juridique évolue, il faudra plus de téléphones" ajoute le procureur. "Il y a déjà eu une belle évolution, on en comptait 15 il y a 3-4 ans, contre 25 aujourd'hui." A Saint-Pierre aussi "on espère plus de téléphones étant donné la recrudescence du nombre de plaintes", explique Emilie Petitjean, vice-procureure au parquet de Saint-Pierre et référente violences conjugales.

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Au 1er octobre on comptait 1.670 affaires contre 1.513 l'année dernière, soit une augmentation de 10%. Les victimes étaient au nombre de 1363 l'année dernière et passent à 1492 cette année. En moyenne, six femmes sont donc victimes chaque jour de violences conjugales à La Réunion.

mm / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
hardcore
hardcore
4 ans

AT webmaster ; la moyenne de 6 femme victimes de violence par jour est fausse sauf si l agression n'est faîte qu une seule fois. Sur les 1492 victimes combien vivent des violences quotidiennes. La moyenne quotidienne est sÃ"rement plus proche de 1000 victimes par jour.

hardcore
hardcore
4 ans

1 dix sept téléphones ne sont pas suffisants.
2 un journaliste d ipreunion pourrait il enquêter sur pourquoi 95 /100 des ordonnances de protection sont refusées par les juges locaux alors que cette procédure fonctionne très bien en métropole ? Les juges locaux considèrent ils qu il n'y a pas d urgence à protéger les victimes de violence localement ?