Bangkok

"Plaque du Peuple", demande de réformes: les manifestants thaïlandais défient la monarchie

  • Publié le 20 septembre 2020 à 08:23
  • Actualisé le 20 septembre 2020 à 09:08

Installation d'une "plaque du Peuple" pour dire que le pays n'appartient pas au roi, demande de réformes en profondeur de la royauté: des milliers de manifestants rassemblés près de l'ancien palais royal à Bangkok ont défié dimanche la monarchie, un sujet jusqu'ici tabou.

La manifestation a débuté samedi et réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la soirée. Il s'agit du plus grand rassemblement depuis le coup d'Etat de 2014 qui a placé au pouvoir l'actuel Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, légitimé depuis par des élections controversées. Au coeur des revendications: la réécriture d'une Constitution plus démocratique, la dissolution du Parlement et la démission du chef du gouvernement.

Une partie des contestataires ose aussi se confronter ouvertement à la monarchie depuis quelques semaines, mais le ton s'est durci ce week-end. Dimanche matin, des activistes ont cimenté une plaque à Sanam Luang, une place royale proche du Grand Palais dans le centre de la capitale, devant plusieurs milliers d'opposants encore présents. "A cet endroit, le peuple a exprimé sa volonté: que ce pays appartient au peuple et n'est pas la propriété du monarque", est-il écrit. "La nation n'appartient à personne, mais à nous tous", a renchéri Parit Chiwarak, dit "Penguin", l'une des figures de la contestation. "A bas la féodalité", a-t-il ajouté.

- "Défi immédiat" -

Le geste est très symbolique: une plaque, installée depuis des années dans le centre de Bangkok pour célébrer la fin de la monarchie absolue en 1932, avait été retirée dans des conditions mystérieuses en 2017, peu après l'accession au trône de Maha Vajiralongkorn.

C'est "un défi immédiat" à la royauté, a relevé Paul Chambers, politologue basé à l'université de Naresuan, en Thaïlande. "Le durcissement de la contestation (sur la famille royale, ndlr) pourrait conduire à une violence étatique à l'encontre des manifestants". Les opposants se sont ensuite rendus pour présenter leurs doléances près des bureaux du très influent Conseil privé, qui assiste le souverain dans ses fonctions. "C'est une première victoire (...) le peuple s'est déjà réveillé", a estimé Napassorn Saengduean, un étudiant de 20 ans.

Sollicité, le Palais royal n'était pas disponible dans l'immédiat pour commenter. Se confronter ouvertement à la monarchie est inédit en Thaïlande, où, en dépit des renversements successifs de régimes (12 coups d'Etat depuis 1932), la royauté, défendue par les élites et l'armée, restait jusqu'ici intouchable.

Les demandes des contestataires sont audacieuses: ils réclament la non-ingérence du roi dans les affaires politiques, l'abrogation de la très sévère loi sur le lèse-majesté et le retour des biens de la Couronne dans le giron de l'Etat, des revendications jugées inacceptables par le gouvernement. "Notre objectif n'est pas de détruire la monarchie, mais de la moderniser, de l'adapter à notre société", souligne Panusaya Sithijirawattanakul, dit Rung, autre figure du mouvement d'opposition. Le souverain thaïlandais, bien au-delà de son statut de monarque constitutionnel, dispose d'une influence considérable qu'il exerce le plus souvent dans l'ombre.

- Un roi à personnalité controversée -

Maha Vajiralongkorn, monté sur le trône en 2016 à la mort de son père, le vénéré roi Bhumibol, est une personnalité controversée. En quelques années, il a renforcé les pouvoirs d'une monarchie déjà toute puissante en prenant notamment directement le contrôle de la fortune royale.

Ses très fréquents séjours en Allemagne, même en pleine pandémie de coronavirus, ont aussi soulevé des interrogations sur les réseaux sociaux alors que l'économie du pays, très tributaire du tourisme, est en pleine récession et que des millions d'emplois sont menacés.

Les contestataires, qui défilent dans les rues quasi quotidiennement depuis l'été, regroupent des jeunes, des étudiants et des citadins. Mais d'autres militants, appartenant au mouvement des "chemises rouges", proche de l'ex-Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra, se sont joints à leurs actions ce week-end.

Plusieurs milliers de policiers ont été déployés aux abords du palais. Les forces de l'ordre ont "reçu pour consigne de faire preuve de patience. Les manifestants peuvent se rassembler, mais pacifiquement et dans le cadre de la loi", avait indiqué samedi le porte-parole du gouvernement, Anucha Burapachaisri. Mais, sur le terrain judiciaire, depuis le début de la contestation, plus de vingt militants, dont Penguin et Rung, ont été inculpés de "sédition", un crime passible de sept ans de prison.

AFP

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