Travail de mémoire

Enfants de la Creuse : une reconnaissance qui passe par l'enseignement de l'histoire

  • Publié le 6 décembre 2020 à 17:16
  • Actualisé le 6 décembre 2020 à 17:33

Sous les regards de 70 ex-enfants de la Creuse, réunis à l'hôtel de ville ce samedi 5 décembre 2020, l'Etat par la voix du préfet a voulu insister sur l'importante reconnaissance de ce qu'ont vécu ces petits Réunionnais exilés de force dans les années 1960 à 1980. Si une plaque commémorative devrait être posée à l'aéroport d'Orly, cette réparation passe aussi et surtout par l'enseignement dispensé aux enfants de La Réunion. Ainsi les programmes scolaires vont davantage intégrer ce pan de l'histoire de l'île et des supports culturels supplémentaires sont en préparation (Photos rb/www.ipreunion.com)

"Reconnaissance, justice et réparation" : c'est ainsi que la maire de Saint-Denis Ericka Bareigts a résumé la commémoration nécessaire des "enfants de la Creuse", en trois étapes distinctes. Un cheminement capital pour aller vers la "réconciliation", le thème de cette grande conférence organisée ce samedi 5 décembre à l'hôtel de ville.

Y étaient présents les 70 ex-enfants de la Creuse, arrivés sur l'île en début de semaine. Certains d'entre eux posaient le pied pour la première fois sur leur île natale. "C'est une réconciliation que l'on espère entre vous et la terre réunionnaise et l'Etat" a précisé Ericka Bareigts au micro.

Consciente des difficultés pour renouer avec ses racines lorsque l'on a été justement déraciné de force, l'élue dionysienne a reconnu : "nous n'avons pas eu à lutter comme vous pour la reconquête de votre dignité".

L'occasion de relire en intégralité la tribune tenue devant l'Assemblée nationale le 18 février 2014. Ce jour-là, Ericka Bareigts, alors députée PS, présente un texte dur et violent sur la réalité des enfants de la Creuse et demande une résolution reconnaissant la "responsabilité morale" de l'Etat. Le texte est finalement approuvé par 125 députés de gauche.

"Nous n'oublierons jamais" récite alors la députée qui rappelle les violences subies par ces mineurs réunionnais : "le froid de l'hiver, l'arrachement aux familles, la tristesse, le manque…" Une souffrance menant souvent à la dépression, parfois à la violence, "la prostitution, l'échec scolaire", liste la maire de Saint-Denis.

Ces enfants "brisés, écrasés par un choix politique et une machine administrative", reviennent chez eux. "Vous êtes chez vous et nous sommes très heureux de vous accueillir chez vous".

- Une plaque à Orly et des projets éducatifs -

Au micro, le préfet Jacques Billant a rappelé la triste réalité des chiffres. "plus de 2.000 enfants furent déplacés par l'Etat vers l'Hexagone pour repeupler les territoires ruraux. Une idée simple mais pourtant terrible de par ses conséquences. Cette histoire est la nôtre, traumatisante pour certains, grave pour nous tous."

Les Réunionnais "de la Creuse" n'ont pas été envoyés que dans ce département, 82 autres sont concernés. Espérant "une démarche constructive pour nous réconcilier" le préfet a profité de cette prise de parole, au nom du ministre des Outre-mer, pour faire quelques annonces.

Ainsi un projet de plaque mémorielle est en cours pour être installée à l'aéroport d'Orly et "faire œuvre d'histoire et de mémoire". Mais c'est surtout sur l'aspect éducatif que l'Etat souhaite miser. Des stages de formation ont été organisés pour les enseignants. Un film sur les enfants de la Creuse sera également bientôt diffusé via le réseau éducatif national Canopée. "Des discussions sont à venir, et les propositions qui seront faites seront transmises au secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance (Adrien Taquet, ndlr)".

Un travail d'éducation essentiel que note également la Fédération des enfants déracinés des DROM (FEDD). Parmi les projets à venir : un ouvrage sous format court publié aux éditions Le Cavalier bleu avec les questions les plus fréquentes posées sur ce pan de notre histoire. Sa sortie est prévue au premier trimestre 2021 comme d'autres ouvrages.

Autre mise en valeur avec le dessinateur Téhem et la réalisation d'un roman graphique, après sa BD "Priments Zoizos", un récit des enfants de la Creuse mis en perspective. Des classes de lycée travaillent déjà sur cette bande dessinée.

Enfin un éditeur national souhaite actuellement raconter l'histoire de La Réunion, indique la FEDD. "L'épisode des enfants de la Creuse pourrait être un fil conducteur sous la forme de voyage initiatique" révèle alors la fédération.

- Renouer, réparer -

Ces propositions sont pour les enfants de la Creuse une forme de réparation salutaire. Pour saluer son travail pour faire reconnaître ces anciens exilés, Valérie Andanson, ex-enfant de la Creuse et chargée de la communication de la FEDD, a reçu un trophée pour la remercier de ses actions. C'est elle qui est à l'origine de ce voyage vers La Réunion cette semaine.

"Ici nous sommes chez nous. Nous avons besoin de nous réconcilier avec notre histoire, de réhabiliter nos familles, nous avons besoin d'aller vers le chemin de la résilience" a-t-elle déclaré au micro, bientôt rejointe par Jean-Philippe Jean-Marie, représentant de l'association Rasinn Alèr.

Celui-ci a voulu parler racines à travers une métaphore. "A l'époque où j'étais un petit pied de goyave, on a voulu greffer quelque chose d'autre pour faire un goyave de France. Je suis arrivé en France entouré d'autres goyaves avec de belles feuilles. Mais en rentrant à La Réunion, je n'ai pas jeté ces feuilles. Je les ai transformées (…) Laissez-vous envahir par La Réunion."

La FEDD a également présenté lors de cette conférence les grandes lignes d'un rapport de 680 pages réalisé sur les enfants de la Creuse. Ainsi on y apprend que 30% avaient moins de 6 ans. Sur les plus de 2.000 enfants déportés (répertoriés), on compte 56% de garçons, 44% de filles.

Un enfant sur cinq seulement a bénéficié d'une adoption. Sur l'ensemble des ex-mineurs, 20% sont revenus dans l'île, et la moitié a aujourd'hui 60 ans et plus.

La FEDD souligne évidemment le "problème éthique et moral" de cet épisode de notre histoire : "l'enfant n'avait aucun droit, c'est un être vulnérable qui doit être protégé. Mais chaque étape de la transplantation a été ne occasion de souffrance".

Ce dimanche 6 décembre, les enfants de la Creuse poursuivent leur travail commémoratif à travers un kabar organisé en leur honneur. L'occasion de renouer, plus que jamais, avec leurs racines réunionnaises.

mm/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

guest
6 Commentaires
Ex pupilles RUN
Ex pupilles RUN
3 ans

Ces 70 ex pupilles ont accepté la convention entre le ministère des Outre Mer et l'UDAF de l'île de la Réunion. Et les autres 3c pupilles où sont ils??????

Babeuf
Babeuf
3 ans

Les responsables de cette déportation ont en eu certainement l'idée en copiant le dictateur Franco en Espagne qui avait retiré les nouveaux nés à leurs parents légitimes, parents soupçonnés d'être des opposants au régime .Les bébés étaient placés ou adoptés par des familles opposées à la dictature!A l'heure actuelle trois cent mille espagnols(es) sont à la recherche de leurs parents!!!

Bilimbis
Bilimbis
3 ans

Cette histoire est vraiment dingue. On croirait entendre le récit d'un livre d'histoire ou celui d'un roman de Victor Hugo. Dans les deux cas ça semble fou que l'Etat ait pu prendre la décision de faire qqchose d'aussi inhumain.

Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
3 ans

J ai effectivement apprécié la clarté du livre de Gauvin sur Debre et l'île de la réunion.
Par contre je n ai pas lu la bande dessinée.
De voir ces personnes revenir chez eux est très émouvant.

Jacques
Jacques
3 ans

A Alfred :c'est tellement plus plaisant de jouer les vierges effarouchées, d'accuser l'Etat Colonialiste, et de déculpabiliser les vrais irresponsables !

Alfred
Alfred
3 ans

Pourquoi ne pas citer en référence l'excellent travail de Gilles Gauvin qui donne une vision scientifique et bcq plus nuancée de cette situation ? Oubli volontaire ... ?