La Cinor est le nouveau gestionnaire (actualisé)

Port de Sainte-Marie: travaux pharaoniques, attentes et crise de confiance

  • Publié le 29 mars 2019 à 09:45

Ce samedi 30 mars 2019à midi pile, la Cinor devient officiellement l'heureuse gestionnaire du Port de Sainte-Marie succédant ainsi à la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion (CCIR). Et c'est un défi de taille ! Fin janvier dernier, Ibrahim Patel, le président de la chambre consulaire exprimait - de manière très théâtrale - son soulagement de ne plus être à la tête de la zone portuaire. Car la gestion du port de Sainte-Marie a toujours été houleuse, pour les usagers comme pour le gestionnaire. Manque de communication, d'investissement, infrastructure vieillissante, inadaptée, qui après avoir essuyé plusieurs cyclones a été ensablée durant des mois. Les plaisanciers en colère, la CCIR, impuissante, un dialogue de sourds qui n'a fait que compliquer davantage une relation déjà tumultueuse entre les deux parties. Aujourd'hui la Cinor se lance dans un chantier conséquent mais l'intercommunalité devra d'abord gagner la confiance des usagers et des commerçants du port et là, ce n'est pas gagné.

Des restaurateurs désabusés 

Nous le rencontrons un peu avant le service de midi, ce restaurateur - qui souhaite garder l’anonymat - est installé depuis plusieurs années sur le Port de Sainte-Marie. Le restaurant est beau, la nourriture bonne, le cadre idéal pour déjeuner et profiter de l’air marin. Avec le temps, le restaurateur s’est constitué une base solide d’habitués. Mais avec les travaux, le déménagement etc, le trentenaire ne sait pas s’il pourra garder ses clients ni même ses salariés.

Car d’ici fin mai, le restaurateur qui jouit d’une surface plutôt confortable aujourd'hui devra déménager dans un module temporaire le temps des travaux d’extension et de réaménagement du port, soit un an et demi. " Pour le moment, on n’en sait pas plus, on entend tout et son contraire, il n’y a pas de communication de la part de la Cinor. On nous a dit que les modules temporaires faisaient 30 m2 et que le loyer serait à 1000 euros par mois, bien plus que ce que je paie ici " souffle-t’il la mine triste.

Le chef d’entreprise désespère et imagine déjà le pire " on va devoir licencier deux ou trois personnes, notre chiffre d’affaire va chuter, ça nous pénalise dans tous les sens. Il y a eu zéro concertation, ils sont déjà en train de construire les modules temporaires, on n’a pas le choix. Le pire, c’est que j’aie appris que le déménagement et la démolition de notre restaurant seront à nos frais. " Le restaurateur est plus inquiet que jamais surtout que ce qu’il relate, c’est du bouche à oreille, selon lui, la Cinor n’a donné aucune information.

Ce que confirme son voisin, restaurateur, lui aussi. L’homme est bourru et ne veut pas s’étaler sur le sujet… Du moins au début. Il finit par causer " moi, j’ai pas envie de m’emballer sur cette histoire, c’est vrai que depuis décembre dernier, on a tous les sons de cloche mais jamais rien d’officiel. Je me dis qu’il faut attendre de savoir ce qu’il en est exactement avant de partir dans tous les sens ". Il faut dire que c’est un vieux de la vieille, l’un des plus anciens restaurateurs du port. Il en a vu passer des polémiques, des embrouilles, des blocages, des manifestations sur le quai, depuis, il prend du recul. " De toute façon, ça ne sert à rien de se faire du mouron tant que rien n’est annoncé, après, on verra " finit-il.

Les plaisanciers dubitatifs

Côté usager, on est sur la même longueur d’onde. Il fait du ménage sur son bateau pendant que nous discutons " vous savez, je n’ai plus confiance en personne, on a trop joué avec nous, ce port, c’est une catastrophe, des travaux sont nécessaires. Mais seront-ils à la hauteur de ce qu’on nous vend ? Je n’en suis pas sûr. S’ils vont au bout du projet, ce sera royal, on aura enfin un port digne de ce nom mais bon, on connaît les gars, c’est magouilles et compagnie, ils parlent beaucoup mais il n'y a pas grand chose derrière… " explique-t’il en jetant un seau d’eau sur le pont avant de retourner à ses activités en sifflotant.

"On aurait dû s'y prendre autrement"

À la Cinor, on admet qu’il y a eu une erreur de communication. En janvier dernier, il y a eu une réunion d’information à l’initiative de l’intercommunalité et l’ambiance a été explosive. Yves Ferrières, le vice-président en charge de l’aménagement et des finances à la Cinor n’était pas présent mais il a eu les échos. "Ça ne s’est pas très bien passé, c’était une réunion explosive, notre erreur a été de ne pas avoir les informations, les réponses aux questions des commerçants, on aurait dû s’y prendre autrement".

Pour l’élu, tout va rentrer dans l’ordre ce vendredi 29 mars, une rencontre avec les commerçants, et la Cinor se tiendra sur le chantier des modules temporaires, Yves Ferrières compte bien mettre les choses à plat "concernant ces modules temporaires, ils font effectivement 30 m2, mais c’est 30 m2 de cuisine, pour le reste de l’espace, les commerçants feront ce qu’ils voudront avec leur surface, je ne vais pas freiner leur envies, ils pourront mettre des terrasses, aménager et s’approprier les lieux, les travaux vont durer un an et demi, ils seront chez eux."

Sur la rumeur des 1000 euros de loyer, l’élu part dans un fou rire "les commerçants ont deux choix, soit on leur donne une année de bénéfice puis ils reviennent un an après, à la fin du chantier, soit on les reloge dans ces modules temporaires, avec un loyer moins cher que ce que leur proposait la CCIR et trois mois de gratuité au début."

Et le déménagement et la démolition des restaurants, aux frais des patrons ? "Non, non" s’insurge l’élu "on va les accompagner, on mettra de la main d’oeuvre et du matériel à leur disposition pour le déménagement et pour la démolition des restaurants, soit le restaurateur choisit de le faire à ses frais s’il veut récupérer des matériaux soit on le fait au bulldozer".

"Notre objectif, c'est de créer de l'emploi et de l'activité, tout ce que je dis, je le fais, on est conscient que les restaurateurs vont sans doute perdre du chifffre d'affaire le temps des travaux mais il faut voir les choses sur le long terme" précise Yves Ferrières. 

Un chantier à 18 millions d’euros

Ce projet est aussi complexe qu’il est ambitieux. Il mêle aérien, maritime et terrestre, ce qui nécessite toutes sortes d’autorisations. Le marché a été signé avec GTOI le 18 décembre 2018 et le chantier est composé de deux phases. La première, c’est le réaménagement du bassin existant, le port sera dragué, l’eau et l’électricité amenés ce qui permettra d’ajouter 30 places supplémentaires.

Une fois les autorisations environnementales signées par le préfet, place à la deuxième phase du chantier. Un deuxième bassin sera créé, la digue sera prolongée et des bâtiments seront construits. La fin du chantier est prévue pour août/septembre 2020.

Un projet à 18 millions d’euros. 2,5 millions seront versés par l'Europe via le fonds européen de développement régional (Feder). Le reste, sera investi par la Cinor. "Notre objectif est de multiplier par trois le chiffre d’affaire du port en attirant une clientèle qui viendra de Saint-Denis à Saint-André. Il y aura 21 restaurants au lieu des 6 actuels, une école de voile, de la vente de poisson frais à la criée, on proposera des prestations haut de gamme aux plaisanciers et la cerise sur le gâteau, ce sera l’accueil de croisiéristes. Le port de Saint-Marie deviendra un incontournable touristique" s’enthousiasme Yves Ferrières.

Ce projet, cela faisait longtemps que Bertrand Baillif, le président du comité des pêches, l’attendait "ce qui est proposé est historique pour la pêche artisanale. Une criée avec du poisson labellisé, une machine à glace sur le quai, des box… c’est tout ce que l’on demande depuis toujours. Ce sera l’un des seuls ports avec un quai professionnel." se réjouit le pêcheur même s’il reste prudent "j’espère que ça va se concrétiser, je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois" termine-t’il.

Beaucoup d’attentes côté pêcheurs et plaisanciers, les restaurateurs, eux, sont moins confiants, l’année et demi dans les modules temporaires va être éprouvante.

L’enquête publique sur le projet de réaménagement et d’extension du port de plaisance et de pêche de Sainte-Marie commence ce vendredi 29 mars et se terminera le 30 avril prochain, "toutes les idées sont les bienvenues" invite la Cinor.

fh/www.ipreunion.com

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