Polémique

Enseignant sommé de ne pas parler créole ou irrespect de la hiérarchie : deux versions s'opposent

  • Publié le 24 mai 2019 à 11:25
  • Actualisé le 24 mai 2019 à 11:28

Un enseignant a-t-il reçu l'ordre d'arrêter de parler en créole par un inspecteur de l'éducation nationale sous peine de sanction ? La fédération pour les langues régionales dans l'enseignement public (Flarep) en est certaine, les faits se sont bien produits. En face, le rectorat confirme qu'il y a bien eu un coup de colère mais qu'en aucun cas il n'a été question de la langue créole, l'"attitude agressive" de l'enseignant serait au centre du débat. Deux versions très éloignées. Imaz Press a essayé d'y voir plus clair dans cette affaire qui pourrait être un véritable retour en arrière pour la langue créole si la version de l'enseignant est avérée ou alors une simple anicroche entre un professeur des écoles et son supérieur si celle du rectorat se confirme (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Ce que l’on sait

Les faits se déroulent le 11 décembre dernier au sein de l’école élémentaire Laurent Vergès au Port. Une réunion de l’équipe pédagogique est en cours suite à l’agression de la directrice de l’établissement. L’inspecteur de l’éducation nationale de la circonscription est à l’origine de ce rendez-vous. Le personnel enseignant fait le point sur l’incident. Un enseignant prend alors la parole, il s’exprime en créole. À partir de là, deux versions s'opposent.

Lire aussi : Le Port : une pétition en faveur d'"un enseignant sanctionné pour avoir parlé créole"

La version de l’enseignant par l’intermédiaire de la Flarep

La Flarep (fédération pour les langues régionals dans l'enseignement public) est une structure regroupant les principales associations ou fédérations de parents d’élèves et/ou d’enseignants œuvrant au développement des langues régionales dans le service public d’éducation. C'est cette assocation a lancé une pétition en soutien à l’enseignant mis en cause. Cette pétition est accompagnée d’un texte qui détaille les faits et leurs conséquences. Selon la Flarep, ce 11 décembre 2018, l’enseignant est coupé net dans son discours "l’inspecteur présent interdit à l’enseignant de poursuivre en créole, lui intime de continuer en français et le menace de sanction s’il continue à s’exprimer dans sa langue" indique la structure.

La Flarep, dénonce "une situation inadmissible" et ne s’arrête pas là dans son récit, car l’histoire continue "en avril dernier, l’enseignant est convoqué par le Rectorat et se voit infliger un "avertissement solennel" pour refus d’obtempérer face à son supérieur hiérarchique qui lui intimait de s’exprimer en français et refusait de l’entendre dans sa langue maternelle et langue de la Réunion."

Un bond en arrière 

Cette version a suscité une vague d’indignation à La Réunion. Et pour cause, si cet enseignant a été menacé de sanction pour avoir parlé créole, c’est un bond en arrière. Le retour d’un combat que beaucoup pensaient avoir gagné, qui n’était plus d’actualité. Et pourtant… 

Interdire le créole, cela nous renvoie aux années sombres, celles où notre langue régionale n’était pas admise, pas reconnue, ne faisait pas partie de l’histoire. Cette époque où l’on se cachait pour parler créole, honteux. Cette période où causer créole était mal vu en société et réservé à cette couche de la population jugée illettrée et inculte.

Le créole enseigné à l'école 

Si ces faits sont avérés, c’est aussi un déni de l’entrée des langues régionales dans l’Éducation nationale. Un combat de longue haleine mené par de fervents militants pour faire entrer officiellement et durablement le créole dans les établissements scolaires. En 2001, l’État accède enfin à leur requête, une circulaire relative à l'enseignement des langues et cultures régionales est diffusée, le créole arrive (officiellement) dans les salles de classe de l'île. Plus qu’une reconnaissance, une décision qui tombe sous le sens, le créole est la langue maternelle de 80% des élèves du territoire.

Toutefois, l’enseignement du créole est très encadré. Des temps spécifiques et bien identifiés lui sont consacrés, le mélange français/créole est interdit, les professeurs qui l’enseignent sont dûment habilités à le faire par le rectorat après avoir suivi eux-même un enseignement.

La version du rectorat

Le rectorat, se défend avec véhémence et s’insurge. Pour l'institution, le créole à l'école n'a à aucun moment été remis en question.

Très rapidement après les faits, l’inspecteur de l’Éducation nationale a donné sa version de l'histoire à sa hiérarchie. "Effectivement, après que l’enseignant ait pris la parole en créole, l’inspecteur lui a demandé de parler en français dans un souci de compréhension, une demande faite sans aucune animosité " explique Jean-François Salles, inspecteur d’académie adjoint au recteur.  Le ton serait ensuite monté, du moins du côté de l’enseignant a affirmé l’inspecteur de l’éducation nationale "l’enseignant a répondu de manière très agressive, d’ailleurs, tout cela s’est passé devant témoins, des enseignants qui pourront témoigner de la véracité de la version de l’inspecteur" poursuit Jean-François Salles.

Pour le rectorat, c'est bien l'attitude de l'enseignant envers son supérieur hiérarchique qui pose problème, rien d'autre. "Cette attitude agressive est un manquement grave à l’éthique professionnelle" commente l’inspecteur d’académie.

Quant à la sanction que dénonce la Flarep, là encore, les versions divergent "ce qu’on appelle un ‘avertissement solennel’, ce n’est pas une sanction. Cet enseignant a bien été convoqué au rectorat, il est venu avec un représentant syndical, un rappel à l’éthique et à la déontologie professionnelle a été fait mais il n’y jamais eu de menace de sanction ou de sanction tout court" déclare l'adjoint du recteur.

La polémique, le rectorat ne l’avait pas vue venir "cette pétition tient des propos calomnieux envers l’Éducation nationale, elle est pétrie de contre-vérités et de fausses vérités, c’est totalement malveillant et c’est une tentative pour créer le buzz" s’indigne Jean-François Salles. Tout en précisant que "dans la ville du Port, il y a une vraie politique d’apprentissage du milieu créolophone, de nombreux projets et événements au long cours sont développés." Le rectorat rappelle aussi que "c’est bien la première fois qu’un incident du genre arrive". 

Les zones d’ombre de l’affaire

Des détails qui interpellent :

• L’enseignant, qui jusqu’ici n’avait jamais fait parlé de lui et qui n'est pas défavorablement connu de sa hiérarchie, est décrit par la Flarep comme " un militant de l'égalité linguistique entre français et créole et pour un bilinguisme équilibré à titre personnel " peut-être "trop militant," selon certains.

• La Flarep a-t-elle été contactée par l’enseignant lui-même ou serait-ce un fait rapporté et déformé provenant d’une autre source qui n'aurait pas été vérifiée avant d'être diffusée ?

• L’inspecteur de l’éducation nationale qui aurait demandé à l’enseignant de passer au français est inspecteur au Port depuis près de huit ans et selon Jean-François Salles " il est très impliqué dans les projets autour de la langue créole". Pourtant, sa compréhension du créole est encore limitée…

• Selon différentes sources, cette ardeur que l'inspecteur mettrait à défendre le créole ne serait qu’une façade "il s’implique dans tous ces projets pour gagner des points auprès de la direction et briguer un autre poste" affirme-t-on en coulisses. De plus, cet inspecteur serait réputé pour son caractère difficile "il peut être très directif quand ça ne va pas dans son sens et fort désagréable. C’est lui qui coupe, qui tranche, qui hache."

Les suites

À l’heure actuelle, difficile de démêler le vrai du faux, chaque partie campe sur ces positions. Le rectorat indique néanmoins que l’enseignant sera de nouveau convoqué "on cherchera à déterminer s’il est à l’origine de la diffusion de l’information et si c’est bien sa version. Ce qui poserait problème, c’est que ce soit le cas, ce serait alors un manquement au devoir de réserve des fonctionnaires. Les conséquences ? Un rappel à la déontologie professionnelle, nous sommes dans la pédagogie et non dans la sanction" conclut Jean-François Salles.

Quant à l’inspecteur de l’Éducation nationale, sa parole n’est pas remise en doute par le rectorat...

fh/www.ipreunion.com

redac@ipreunion.com

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9 Commentaires
ASSOCIATION RASINE KAF
ASSOCIATION RASINE KAF
4 ans

il faut arrêter cette polémique malsaine qui est orchestrée sans doute par le rectorat et l'inspecteur pur se disculper. Un inspecteur qui travaille à la Réunion et qui est soi disant impliqué dans le développement de la langue et de la culture créole et qui prétend lui même de ne rien comprendre du créole , qui intime l'ordre à l'enseignant de ne pas parler créole en réunion de travail, alors que dans cette réunion, tous les enseignants réunionnais comme ceux qui viennent de l'hexagone sont censés comprendre le créole, ou du moins s'ils ne le comprennent pas , il faudrait qu'ils se mettent à l'apprendre très vite car comment peut-on enseigner dans un contexte créolophone sans rien comprendre de la langue des élèves et encore moins de la langue de leurs collègues de travail. On voit bien là que c'est le problème de la langue créole qui est au centre du débat et non pas d'une supposée dispute ou énervement de la part de l'enseignant . De plus il y a de quoi s'énerver quand un inspecteur vous intime l'ordre de ne pas parler votre langue en réunion de travail parce qu'il ne comprend rien à votre langue, et on nous demande d'accepter encore cela? Sommes -nous encore au temps de la colonie Monsieur l'Inspecteur , et monsieur le Recteur vous-même qui êtes un créole pure souche qu'en pensez-vous?

Monik
Monik
4 ans

Puisque il y a polémique il me semble que le Recteur devrait, dans un geste d'apaisement, diffuser une circulaire expliquant que personne n'a autorité pour empêcher quelqu'un de s'exprimer en créole au sein des établissements scolaires (que cette personne soit enfant, parent ou enseignant). Notre langue ne mérite pas de continuer à être ainsi opprimée. J'ai moi-même été impliquée dans des situations où il y avait discrimination contre la langue créole et il m'en reste un goÃ"t amer car j'ai vu des gens bien placés mentir effrontément et ce sont ceux-là mêmes à qui on a donné raison (ceux-là savent de quoi je parle et ils se reconnaîtront). Cela a toujours été le pot de fer contre le pot de terre.

naty
naty
4 ans

quel amalgame, on mélange tout. Cet inspecteur a simplement demandé à un enseignant de s'exprimer dans une langue qu'il maitrise également pour être compris de tous. LA base de la communication en somme. IL n'y a pas de volonté de malmener le créole, de sous entendre que le français est une langue supérieure .
Enfin on raconte n'importe quoi !! L'inspecteur du port est très dynamique et impliqué dans l'apprentissage du creole à l'école, la nécessité de prendre en compte le bilinguisme, la formation des enseignants y compris non créolophones. IL a ses mauvais côtés, certes, mais là on lui fait un procès d'intention totalement malhonnête. Vous trouvez normal que l'enseignant donne son avis volontairement en excluant certaines personnes de son propos car non créolophones ?
Le français était juste ce jour là la seule langue commune maitrisée de tous , c'est une question de bon sens et de respect de l'auditoire. Aucune volonté de malmener le créole , juste de quoi faire le buzz en excluant quand même le majeur problème de ce jour là : l'agression en classe d'une enseignante ( et non de la directrice comme on peut lire ça et là ) , agression dont il serait intéressant de savoir si l'enseignante aujourd'hui a obtenu réparation.
Car on sait bien comment se conduit l'administration en général .... pas de vague. L'arbre qui cache la forêt en somme.

Maleika
Maleika
4 ans

Moi je dirai l'école a la reunion cest le français pas le kreols depuis 1960 env il ni avais pas la permission de parlé kreol dans les classes le kreol cetait dans la cour . Aujourd'hui ils essaye 2 nous rabaissée avec leur kreols a l'école ps le kreols il i à moriciens.guyane.Martinique.Guadeloupe ext cest kreol different ne ce parle ni s écris pareil cest bien fait pour sa tranche vive la France on est en France ( reunion 974) ille France

Babeuf
Babeuf
4 ans

Que cet enseignant parle et écrive le Créole dans ses cours c'est entièrement légitime. Qu'il s'exprime en Créole lors d'une réunion probablement pédagogique, c'est non! Imaginez une réunion pédagogique ou un conseil de classe pendant lequel le prof d'Anglais parlerait Anglais, un autre en Espagnol ,un autre en Allemand, et pourquoi pas en Arabe!!! Il faudrait traduire à chaque intervention!!! Cet enseignant de la langue créole est un provocateur et a bien mérité une sanction que je trouve légère.

Monik
Monik
4 ans

Un inspecteur de l'Education Nationale qui demande à un enseignant d'arrêter de parler en créole au cours d'une réunion pédagogique, n'est-ce pas lui qui fait preuve d'un grand manque de respect par rapport aux habitants de l'île qui sont en grande majorité créolophones ? Il me semble qu'il veut imposer le fait qu'une langue se croît supérieure à l'autre et veut la faire plier sous couvert de sa "supériorité hiérarchique" à lui. C'est plus que malsain.

Le Sudiste
Le Sudiste
4 ans

Et oui @Thor typique de IPRéunion dernièrement. On a l'impression qu'il y a une volonté de diviser.

Thor
Thor
4 ans

"Article" rédigé sur des on-dits, suite d'un autre article qui n'a même pas pris la peine de donner la version des faits des autres protagonistes concernés, tout ça pour faire le buzz sur facebook. Le journalisme d'aujourd'hui alimente les conversations de comptoir et les conflits communautaires.... Triste.

Mano
Mano
4 ans

Par curiosité....les examens approchent....les copies rédigées en créole seront-elles prises en compte ou non....