Les journalistes manquent de volonté, paraît-il

Cher Président de La République, nous vous faisons part de notre "mauvaise humeur"

  • Publié le 26 octobre 2019 à 19:20

Durant sa visite à La Réunion, Emmanuel Macron a honoré son surnom de président "jupitérien". Bien loin des journalistes, il s'est autorisé quelques bains de foule, mais au milieu d'invités et d'habitants plus ou moins triés sur le volet. Quant à répondre à nos questions de journalistes, cela fut un véritable parcours du combattant. Quitte à être tout bonnement écartés de certaines séquences de la visite. Jusqu'ici c'était difficile. Et lors de la justification du président ce vendredi 25 octobre, c'en est devenu quasi insupportable : "je ne crois pas que quand on est journaliste on attende d'être invité pour informer" a osé déclarer celui que nous avons tenté de suivre, tant bien que mal, malgré tous les obstacles posés sur notre route. Emmanuel Macron est même allé jusqu'à qualifier notre désarroi de "mauvaise humeur" et de "mauvaise volonté". Pourtant, même pour les rendez-vous où nous étions invités, cela s'est avéré extrêmement difficile. Alors voici notre lettre ouverte au Président de La République. (Photo rb/www.ipreunion.com)

Cher Président,

Nous vous écrivons aujourd'hui car nous sommes un peu chagrinés. Il faut dire que durant votre visite présidentielle nous vous avons vu de loin, très loin, trop loin. 

Encore aurait-il fallu être convié à toutes vos séquences… Une "mauvaise volonté" dûe à une "mauvaise humeur" de notre part avez-vous déclaré, estimant que tout était su, y compris vos changements de programme intempestifs comme cette visite aux Camélias (Saint-Denis) improvisée, à laquelle nous n'avons pas été invités comme plusieurs de nos confrères locaux.

Nous avons insisté, insisté et ré-insisté pour être de la visite. En vain. "Arrangez-vous entre journalistes locaux, nous on ne va pas gérer la presse web" nous a-t-on même sèchement énoné.

Malgré cela vous dites, "je ne crois pas que quand on est journaliste, on attende d'être invité pour informer".

Si on suit votre logique, monsieur le Président, il s'agit donc de se pointer, sans accréditation, sans invitation, sans avoir été convié, pour pouvoir suivre vos déplacements et "informer" la population.

La réalité des choses est… légèrement différente.

Bien sûr nous ne remettons pas en question votre sens de la proximité. Nous savons pertinemment que vous aimez le contact. Nous vous avons vu prendre des marmailles dans vos bras, embrasser des gramoun...

Mais pour pouvoir vraiment approcher le président de La République, il faut manifestement être à peu près tout, sauf journaliste.

Car vos nombreux gardes du corps, conseillers en communication, membres de votre cabinet sont vent debout contre nous, nous regardant de haut et prenant un air dédaigneux pour dire en chuchotant entre-eux "c'est La Réunion, vous savez".

Et il y a les centaines de militaires, gendarmes et policiers qui gravitent autour de vous, de près ou de loin, dans le cortège, sur la route, aux entrées des villes, le long des nombreux points de blocage qui nous séparaient de vous à chaque séquence de votre visite présidentielle.

Que s'est-il passé depuis votre dernier passage sur l'île, en 2017, alors que vous n'étiez que candidat à la présidentielle ? Car à ce moment-là, vous aviez autour de vous une vingtaine de journalistes locaux et métropolitains en permanence, qui vous suivaient, vous interrogeaient, vous filmaient. Sans toutes ces barrières que nous avons dû braver durant vos trois jours de visite. Vos conseillers allaient même jusqu'à venir gentiment nous proposer, à nous journalistes locaux, de vous interviewer, de vous photographier.

Vous aviez l'air de tellement nous aimer... Mais tout cela c'était avant...

La gloire présidentielle vous serait-elle un peu montée à la tête depuis ?

Et malgré notre désir ardent "d'informer" même sans être "invité" il a bien fallu passer par les multiples d'étapes protocolaires dues à notre métier. Cela a commencé avant votre arrivée, lorsque nous avons fait une première demande officielle pour assister à la visite présidentielle, puis une demande pour chaque séquence afin de vous suivre pas à pas.

Une fois sur place il faut attendre. Puis montrer sa pièce d'identité. Puis attendre. Puis récupérer son badge. Et attendre. Attendre encore, passer par l'étape démineurs, par plusieurs portiques de sécurité, attendre toujours.

Pas besoin d'être invité pour informer, vraiment ?

Et quand vous arrivez monsieur le Président, et que nous nous préparons à échanger avec vous - vous savez interroger c'est un peu notre métier quand même - , c'est la désillusion.

Car bien souvent nous sommes "parqués" dans un espace presse réservé. Prenez le forum NxSE par exemple, durant lequel les chefs d'entreprises et investisseurs ont pu allègrement venir vous serrer la main. Nous journalistes devions rester de l'autre côté du cordon de sécurité.

Pas question non plus de partir plus tôt. Les journalistes quitteront l'espace qui leur est dédié quand on leur aura dit de partir.

Prenez aussi votre pique-nique convivial à Grande Anse. Tout le monde a pu vous approcher, absolument tout le monde. Agriculteurs, élus, habitants de Petite île, enfants, seniors… On se bouscule pour obtenir un selfie, pour vous dire bonjour, vous frôler. Et vos gardes du corps laissent passer.

Mais pas nous. Nous en sommes à nous demander à quel point l'honnêteté professionnelle ne nous nuit pas parfois. Finalement ne vaut-il pas mieux venir spontanément, en tenue du dimanche, pour espérer discuter avec vous des vrais sujets et des questions qui nous taraudent ?

Certes, des séquences questions, nous en avons eues. Mais à quel prix…

Il y a d'abord eu ce "micro tendu" annoncé sur le tarmac. Deux heures de retard plus tard, on nous annonce que l'on ne pourra finalement pas vous interroger. Quel dommage.

Et voilà que l'un de nos confrères vous interpelle et que vous venez à notre rencontre. C'est à n'y plus rien comprendre.

A la Mission locale de Saint-Paul, on nous informe que vous allez tenir une conférence – sans question – puis que vous allez vous entretenir avec les demandeurs d'emploi. Ah non finalement ce sera l'inverse. Et finalement il y aura des questions. Et finalement les journalistes peuvent se mettre sur les chaises de devant, après avoir changé trois fois de place.

Ce jour-là nous constaterons d'ailleurs que les journalistes nationaux sont rentrés avant nous dans la salle. Les meilleures places sont prises. On s'adaptera.

Jusqu'à quel point ces informations contradictoires ne sont pas là pour nous égarer volontairement…? Vous en perdriez presque vos conseillers en communication, eux-mêmes un peu perdus de temps en temps…

Alors on nous informe que l'on peut poser quatre questions, deux pour les journalistes locaux, deux pour les journalistes nationaux. Mais alors que vous étiez déjà au pupitre, prêt à parler, la feuille de route change à nouveau : ce sera donc "deux ou trois questions". Pas plus.

Lors de votre troisième et dernier jour de visite, il n'était pas prévu de vous exprimer face à la presse, nous nous y étions préparés. Voilà qu'on nous annonce finalement une conférence improvisée avant de reprendre l'avion. Et puis que ce sera en fait une allocution sans questions. Et finalement si, les questions sont autorisées !

Décidément monsieur le Président, vous êtes un peu farceur…

Et si jamais nous essayons de vous poser des questions en-dehors de ces séquences… c'est la croix et la bannière. Nous voilà rabroués, repoussés par vos gardes du corps. Des contacts physiques parfois, en nous poussant de la main, en nous prenant par le bras. Jamais rien de violent. Mais une pression constante.

"Vous n'avez pas le droit d'être là. Donc vous faites demi-tour ou bien je vous raccompagne" entend-on d'ailleurs une conseillère nous dire fort élégamment durant l'un de nos directs.

Le problème voyez-vous, chez Président, c'est que sur nos images – car malgré tout nous faisons bien notre travail – on vous voit tout sourire, serrer des mains, prendre des bains de foule, parler aux chefs d'entreprises, écouter les demandeurs d'emploi vous raconter leur histoire, manger du pâté créole et jouer du kayamb. Quel beau portrait.

Ce que nos internautes ne voient pas par contre, ce sont les coulisses de ces séquences, durant lesquelles, nous, journalistes avons dû faire des pieds et des mains pour tenter d'avoir ne serait-ce qu'un bout de votre visage dans le viseur de notre caméra…

Ce que nos internautes n'entendent pas, ce sont toutes ces questions que nous avons voulues vous poser, ces interpellations que nous avons tentées pour avoir un brin de conversation avec vous.

Notre seule consolation sera de vous voir sur un plateau de télévision répondre aux deux seuls journalistes qui auront eu la chance de pouvoir vous interroger sur tous les thèmes que nous aurions aimé aborder avec vous.

Cher Emmanuel Macron, nous sommes bien désolés de vous le dire, et vous en serez sûrement très peiné vous aussi. Mais vous avez voulu nous transformer – sans doute malgré vous, bienveillant que vous êtes – en communicants. Or ce n'est pas notre métier.

Nous sommes journalistes, nous posons des questions, qui fâchent parfois. Mais vous filmer en pleine dégustation de plats péi ou en train de serrer des habitants dans vos bras, non, décidément, ce n'est pas la raison pour laquelle nous avons fait ce métier. Car voyez vous cher Président à La Réunion comme en Métropole, cela s'appelle de la communication institutionnelle, pas du journalisme.

La rédaction d'Imaz Press Réunion

guest
13 Commentaires
Ana
Ana
4 ans

Arêtes blablater, du blabla ,taratata = pipopipo . Vous crache sans cesse sur N^

Tristan
Tristan
4 ans

Au pays des citoyens aveugles, les citoyens borgnes sont rois.

, depuis son mobile
, depuis son mobile
4 ans

Que connait-il de la Réunion et de ses habitants ? Ce que ses sbires, Y Girardin en tête, veulent bien lui dire pour le caresser dans le sens du poil, car être à 200 mètres de la population, protégé par son armée de garde du corps, ne permet en aucun cas d'être proche des problèmes.

Citoyen
Citoyen
4 ans

Et du dédain dans votre laconique réponse. Vous déclarez mon commentaire sans intérêt simplement parce qu'il va à l'encontre de vos propos. Mais qui êtes-vous donc pour juger de l'intérêt d'un commentaire ? Si on ne partage pas votre avis alors on est "sans intérêt"? Preuve est faite que la neutralité à laquelle doit se soumettre tout journaliste digne de ce nom ne fait pas partie des valeurs que vous accordez à votre métier. Quel manque criant d'humilité et de professionnalisme ! Si vous avez été privé de couverture de la visite du Président Macron, c'est peut-être de votre côté que la remise en question doit avoir lieu ! (Si vous le dites, cher Citoyen... Merci encore pour vos commentaires éclairés et bonne nuit - Webmaster)

CHABAN
CHABAN
4 ans

Merci pour la réponse. C'est une bonne raison. Reste maintenant à reprendre les annonces et à ne pas se gêner pour dénoncer les mensonges, comme vous le faites déjà.

Femme illetrée
Femme illetrée
4 ans

Je ne suis pas surprise. Ce sont des ARROGANTS qui se sentent supérieurs à Tous. Donc rien à attendre de ce gouvernement. Ils sont LAMENTABLES.QUE DU THÉÃ"TRE JE N'AI AUCUN ESPOIR AVEC CES HAUTS DE CORDÉE. ..LA CORDE EST CASSÉE DEPUIS LONGTEMPS. CONTINUEZ À FAIRE VOTRE BOULOT DE VRAIS JOURNALISTES COMME VOUS LE FAITES...CORDIALEMENT À VOUS ð?'

THOR
THOR
4 ans

Mon Dieu les "journalistes" y sont vexés......bon la seule chose qu'il faut bien leur reconnaître c'est que parfois ils attendent des heures sous la pluie et le soleil et ils ont même pas un ti coup offert lors des garden-partys

charly48
charly48
4 ans

Et vous pensiez quoi !!!!!! C'est lui tout craché Souvenez vous des débats "gilets jaunes" ou il se rendait incognito dans des réunions organisées par ses pairs avec des invités acquis à sa cause.....En métropole ou à La Réunion, c'est le meme dictateur dans un gant de velours ......

Lotus974
Lotus974
4 ans

Je ne peux que comprendre votre propos. Les femmes dans la crise requin ont vu Mme la Ministre il y a un mois. Nous avons fait une demande d'audience officieuse auprès des rg à ce moment là. Puis officielle depuis 15 jours auprès de la Préfecture avec le collectif rend a nou la mer rend a nou la Réunion. La veille, on nous appelle pour nous dire que nous ne serons pas reçus. Puis alors que nous étions à l'aéroport pour l'accueillir, on nous contacte pour nous indiquer que nous serons reçus jeudi matin à la préfecture. Le lendemain nous étions sur la route dans les bouchons lorsqu'on nous indique que c'est annulé. Nous insistons, nous y allons, nous attendons sans résultat... Le lendemain nous faisons un communiqué pour indiquer ce qui s'est passé et nous sommes contraint d'attendre au rond point de grande anse pour essayer de provoquer un échange. Toujours sans résultat. Donc oui tout ces bains de foule sont organisés et ne sont pas réels. Nous ne vivons pas en démocratie.

zavoca marron
zavoca marron
4 ans

Croyez-vous une fraction de seconde qu'il vous lire et ensuite vous répondre ?Donc, je ne crois utile une lettre ouverte pour ce président en fonction...Juste pour mémoire, au premier tour le 23 avril 2017, La Réunion l'a relayé à la 3ème position, et au second on lui donné moins d'avance par rapport à la moyenne nationale.Et, plus sérieusement, entre nous, ce n'est une telle visite qui va nous faire sortir de notre marasme social et économique, quant à la classe politique locale elle devrait se faire un peu de soucis pour les prochaines échéances électorales.

Citoyen
Citoyen
4 ans

Premièrement, quand on se prétend journaliste, on veille a ne pas faire de fautes de conjugaison.Ensuite, il ne suffit pas de détenir une carte de presse pour être un journaliste dans le sens noble du terme.Vous comparez le candidat Macron et le Président Macron, or il s'agit là de deux postures totalement différentes. Un candidat est avide de visibilité et de médiatisation, c'est le principe même d'une campagne. Un président en visite ne vient pas "faire le show" mais bel et bien échanger avec les citoyens, les élus et les responsables locaux. Il y a fort à parier que si notre Président avait passé son temps à chouchouter la presse (comme vous le souhaitiez, preuve de votre ego journalistique inversement proportionnel à votre talent), vous - les journalistes locaux en général - l'auriez taxé de "showman" et lui auriez reproché de faire bonne figure devant la presse plutôt que de faire ce pourquoi il est venu. En clair, vous n'êtes jamais contents et votre lettre n'est que l'expression de votre frustration et de votre vexation de n'avoir pas eu de tapis rouge déroulé à vos pieds. Triste presse locale. (Merci pour ce commentaire d'un fulgurant intérêt. Bonne nuit cher Citoyen

Tristan
Tristan
4 ans

Soutien! Inadmissible. Petit dictateur.

CHABAN
CHABAN
4 ans

Je repose la question à IMAZ, pourquoi avoir continué de couvrir cette visite ? (La question mérite d'être posée Chaban et nous avons débattu de cela au sein de notre rédaction. Nous avons décidé de poursuivre le reportage pour informer sur ce que nous avons pu entendre et voir afin de le commenter ensuite en tout connaissance de cause. Bon week-end à vous)