Son avocat réfute les accusations

Ecole supérieure d'art : un enseignant accusé de harcèlement sexuel

  • Publié le 25 novembre 2020 à 10:55
  • Actualisé le 10 novembre 2023 à 19:32

Alors que l'Ecole supérieure d'art (ESA) de La Réunion serait en butte à "des dysfonctionnements majeurs au sein de l'enseignement", selon plusieurs sources, une ancienne élève accuse l'un des professeurs de viol. Elle a porté plainte en mai 2020, cinq ans après les faits, d'après la FSU. Une accusation que réfute l'avocat de l'enseignant. "Cela m'étonnerait fortement qu'une plaine ait été portée" déclare-t-il (Photo rb/www.ipreunion.com)

Propositions déplacées, harcèlement, accusation de viol… C'est un triste tableau que d'anciennes et d'actuelles élèves de l'ESA dépeignent. L'an dernier déjà, un courrier anonyme avait été envoyé à la direction, au procureur et à la direction des affaires culturelles pour dénoncer des faits de harcèlement sexuel, enclenchant de fait l'ouverture d'une enquête.

Face à cette enquête, la direction avait donc décidé de donner un avertissement au professeur accusé pour "comportement déplacé". Une sanction, que la directrice justifie par des investigations judiciaires encore en cours. "Si les faits devaient être avérés, il y aura bien évidemment des sanctions" a assuré à Imaz Press Patricia de Bolliviers, directrice de l'établissement.

Cette lettre anonyme n'a été suivie d'aucune plainte. L'ancienne étudiante qui accuse l'enseignant de viol serait la seule à avoir porté plainte selon la FSU. Le syndicat affirme toutefois qu'elle n'est qu'une victime parmi d'autres. La FSU ajoute que la Défenseure des droits a été approchées par plusieurs anciennes étudiantes. "La victime est extrêmement fragilisée par cette affaire" déplore Marie-Hélène Dor, secrétaire départementale du syndicat.

Interrogé par Imaz Press, l'avocat de l'enseignant a indiqué ne pas avoir connaissance d'une quelconque plainte portée à l'encontre de son client. "Cela m'étonnerait fortement" qu'une plaine ait été portée" ajoute-t-il en réfutant toutes les mises en cause.

Pas d'action en justice donc mais des accusations reprises par plusieurs jeunes passées par l'ESA. "Tout au long de l'année dernière, il me proposait constamment d'aller boire des verres avec lui" se rappelle Lisa*. Tout commence après une exposition à laquelle elle et une de ses amies vont assister. Le professeur, non-véhiculé, se rend à l'événement dans la voiture de l'une des étudiantes

S'en suit de nombreuses propositions. "C'était vraiment du harcèlement, mais j'avais peur des conséquences si je le repoussais trop violemment, mes études étaient en jeu. J'étais aussi effrayée de parler, je ne voulais pas qu'on me traite de menteuse, bien que ce genre de comportement de sa part ne soit un secret pour personne" raconte la jeune femme.

- Des bruits de couloir qui durent depuis des années -

"Ces comportements déplacés faisaient l'objet de rumeurs, qui se transmettent d'années en années, comme un avertissement" souligne Marie Hélène Dor. "Toutes les filles savent qu'il ne faut pas rester seule avec ce prof, on s'arrange toujours pour être à deux au moins dans une salle avec lui" détaille Sarah*, toujours scolarisée dans l'école.

"Jusqu'à l'an dernier, nous avions le choix entre son cours et un autre, alors la plupart des filles avaient décidé de ne pas suivre le sien. Mais depuis cette année, les deux cours sont obligatoires, on est forcées d'assister à ses cours bien qu'on soit nombreuses à avoir signaler notre refus de l'avoir comme professeur" continue-t-elle. Certaines élèves refuseraient donc de lui adresser la parole.

Un autre étudiant décrit une fête où jeunes et enseignants étaient mêlés. Sur "fond d'alcool et de drogue", l'étudiant témoigne avoir vu l'enseignant embrasser une élève sur la joue, une main sur sa cuisse. Un comportement qui a choqué le témoin. "Il y avait déjà des bruits de couloirs, et finalement on se rend compte que les rumeurs sont fondées, on n'est plus seulement sur des blagues salaces de sa part" explique-t-il. "Ca nous arrive de faire la fête avec les professeurs, mais les relations restent toujours professionnelles, contrairement à cet enseignant qui se mêlent aux étudiants très régulièrement" affirme-t-il.

"J’ai entendu de nombreuses rumeurs assez gênantes le concernant. Pour être honnête, je ne savais pas qui croire dans l’histoire, mais j’ai très vite pris partie après le témoignage de plusieurs victimes contre cet homme, dont deux ont été renvoyées de leur poste à l’école. Me savoir dans sa classe me procure un sentiment de terreur au point d’en trembler et de ne pas oser le regarder dans les yeux lorsqu’il s’adresse à nous" témoigne par ailleurs une autre étudiante actuelle.

"Personnellement, on m'avait déjà conseillée de faire attention à ce professeur avant même que je ne le rencontre. Lors d'une soirée étudiante, il m'a lourdement draguée, me disant qu'on pourrait s'eclipser dans sa voiture si je le souhaitais, c'était extrêmement gênant" confie une autre ancienne élève.

- Plusieurs alertes à la direction -

Si une lettre anonyme a été envoyée l'an dernier à l'initiative de plusieurs étudiants, ce ne serait pas la première fois que la direction a été alertée de la situation. "Un courrier a été envoyé par une ancienne Erasmus qui a été victime de cet enseignant, on a été plusieurs à faire remonter la problématique, sans jamais avoir de réponse" assure Cléa*, désormais diplômée et qui avait participé à l'envoi de la lettre anonyme.

"J'étais amie avec l'une des victimes, à la suite de ça, trois autres filles se sont rapprochées de moi pour m'expliquer qu'elles aussi étaient harcelées par le professeur" explique-t-elle par ailleurs.

Des informations que la direction assure n'avoir jamais reçu. "Il y a eu un problème de transmission de l'information, j'en suis consciente, mais nous avons agi dès que nous avons été mis au courant de la situation" affirme la directrice. Elle indique par ailleurs dans un communiqué de presse qu'une enquête interne a désormais été lancée.

Une déclaration que de nombreux élèves et certains professeurs réfutent totalement. "Elle était parfaitement au courant de la situation, ce n'est qu'une fois au pied du mur qu'elle a décidé de vaguement agir. Elle a par exemple mis en place des cellules d'écoute, mais ces dernières se déroulaient dans un bureau en face du sien, et elle s'est invitée plusieurs fois dans la pièce lorsque j'ai donné mon témoignage par exemple" raconte Lisa.

L'année dernière toujours, une action de collage avait aussi été organisée au sein de l'établissement pour dénoncer les nombreux dysfonctionnements. Une affiche en particulier avait attiré l'attention : "quand la direction de ton école cherche à mettre sous le tapis des problèmes de harcèlement sexuel sans aucune gêne" peut-on lire. Un collage qui aurait valu une menace de dépôt de plainte en diffamation de la part de la direction, affirment des élèves ainsi qu'un professeur.

"Des réunions entre la direction et les étudiants ont permis de préciser le contexte et de répondre aux éventuelles interrogations et inquiétudes de ces derniers. Ces rencontres seront doublées de l’intervention d’un médiateur externe diligenté par la Direction Départementame de la Sécurité Publique qui pourra reposer le cadre et informer les étudiants comme les agents sur les questions du harcèlement, de l’enquête judiciaire et de la présomption d’innocence" souligne de son côté la direction.

- Un professeur toujours en poste -

Alors pourquoi cet enseignant est-il toujours en poste ? L'an dernier, lors d'un conseil d'administration, la suspension de ce dernier aurait été demandée par les représentants d'étudiants, mais aussi par la mairie du Port et la Direction des affaires cultures (DAC), tous deux administrateurs de l'école avec la Région et le ministère de la Culture. La décision finale revenait cependant à la directrice et au président du conseil d'administration, Gérard D'Abbadie, qui n'auraient pas fait suite à cette demande.

"Nous sommes bien évidemment informés de la situation, que nous prenons très au sérieux. Des mesures conservatoires ont été prises, nous attendons désormais les conclusions de l'enquête judiciaire" explique la mairie du Port.

Des anciennes étudiantes dénoncent par ailleurs une omerta au sein de l'établissement. "C'était à la fois quelque chose que tout le monde savait, mais dont on ne parlait pas vraiment, même après la publication de la lettre anonyme" souligne Julie*, diplômée l'an dernier. "Il y a comme une forme de complaisance de la part de la direction" rajoute Antoine*.

- Des étudiant(e)s effrayé(e)s de parler -

Toutes les étudiantes interrogées décrivent finalement une atmosphère pesante, et une peur des représailles vis-à-vis de cet enseignant en cas de prise de parole. "Nos études sont en jeu, toutes les victimes ont eu trop peur de l'influence de cet homme pour parler, il a un réel poid dans le monde de la culture réunionnaise. J'espère que cette plainte fera bouger les choses" indique Cléa, qui avait par ailleurs été appelée à témoigner l'an dernier lors de l'enquête sur la lettre anonyme.

De son côté, la FSU dénonce de graves dysfonctionnements vis-à-vis du personnel : harcèlement moral, chantage, burn-out…Le syndicat travaille désormais sur sept dossiers distincts. Accusations de harcèlement et dégradation des conditions de travail et de la qualité de l'enseignement se mêlent dans ces dossiers.

La Région n'a pas répondu à nos demandes d'interviews.

Dans l'attente des conclusions de l'enquête, l'enseignant mis en cause reste présumé innocent.

* La totalité des prénoms des étudiant(e)s ont été modifiés à leur demande

as / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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