A La Réunion, un sou, c'est un sou !

Economie - Les Réunionnais fidèles au paiement en espèces

  • Publié le 6 juillet 2018 à 09:58
  • Actualisé le 6 juillet 2018 à 10:05

Alors qu'en France la carte bancaire et les nouveaux moyens de paiement sont en forte progression, à La Réunion, la circulation d'argent liquide a encore enregistré un taux de croissance de 5,6% en 2017. Néanmoins, l'Institut d'Emission des Départements d'Outremer (IEDOM) à La Réunion constate depuis deux ans une légère baisse des flux dans la région, une tendance déjà constatée en France depuis 2011. Les nouveaux moyens de paiements conquièrent de timides parts de marché mais ne parviennent pas à détrôner l'argent liquide. Une exception que La Réunion partage avec deux autres territoires d'outre-mer. Panorama d'une tendance locale bien ancrée... mais à contre-courant de la volonté du législateur.

Payer son café, sa baguette de pain ou ses achats courants par carte ou avec son smartphone, ce n’est pas la tendance forte à La Réunion, même si petit à petit le consommateur s’y met. Selon le rapport présenté mercredi 4 juillet par l’IEDOM Réunion, 113,3 millions de billets (soit 3,4 milliards d’euros) ont été mis à la disposition du public en 2017 et 106,8 millions ont été récupérés pour recyclage ou destruction. Pour prendre la mesure de l’importance des flux, il faut savoir que le transfert d’espèces représente une tonne par jour entrant et sortant de la Banque de France… Comme le souligne Stéphane Bouvier-Gaz, directeur par intérim de l’IEDOM de La Réunion, " l’attachement au fiduciaire reste fort sur l’île ce qui génère une activité industrielle soutenue et une logistique complexe pour éditer, distribuer, récupérer, recycler et détruire autant de liquidités ".

Fin 2017, le montant des liquidités par Réunionnais a représenté 5050 euros, un niveau très supérieur à celui de la France (métropole et DOM) dont la moyenne s’établit à 1920 euros par habitant et par an. La moyenne européenne quant à elle est évaluée à 3433 euros.  Les transactions en espèces représentent 22% du PIB à La Réunion contre 5% au niveau national et 12% aux Antilles. Si la Réunion est accro au porte-monnaie, la région n’est pourtant pas championne des DOM en matière de recours aux espèces : quasiment ex-aequo avec Mayotte  (4860 euros par habitant), La Réunion s’incline devant la Guyane (plus 14 000 euros par habitants). En toute logique, le montant moyen retiré au DAB est plus élevé qu’en métropole : 118,4 euros contre 90 euros en métropole. Et le billet de 50 euros est le plus couramment utilisé (56,8% en nombre et 52,9% en valeur contre 17% en France et 42% dans l’Eurosystème). En effet, le " billet moyen " représente ici une valeur de 54,7 euros, soit le double de celui de la métropole (25 euros), ce qui peut surprendre alors que le niveau de vie est considéré comme étant 30% plus faible. Alors pourquoi ce recours aux espèces ?

Des raisons multiples à l’usage des liquidités

Si en Guyane ou à Mayotte, les activités bancaires sont réduites voire parfois inexistantes pour la majorité de la population, ce n’est pas le cas à La Réunion. En 2017, le taux d’équipement en cartes bancaires était quasiment le même ici qu’en métropole, soit 121 cartes pour 100 habitants (122 France entière). Néanmoins, les liquidités restent autant utilisées que les paiements par carte : 5297 euros de retrait annuel par habitant contre 5308 euros d’achats par carte bancaire (chiffres 2016) alors que ces mêmes actions représentent 2436 euros de retrait moyen annuel et 8472 euros de paiements par carte bancaire en France (métropole et DOM).

Pour l’IEDOM, les raisons de cet attachement aux liquidités reposent sur plusieurs facteurs : la nécessité de thésauriser, l’économie informelle, l’illettrisme qui rend compliquées les opérations bancaires dématérialisées, la précarité (chômage, RSA…) qui pousse les allocataires à retirer le montant de leurs indemnités et allocations en début de mois, et l’importance des échanges avec les pays voisins, aux monnaies plus faibles et friands d’euros.

Une évolution lente mais réelle vers les moyens de paiement dématérialisés

Mais petit à petit les habitudes se transforment : selon les résultats d’une enquête effectuée auprès des grandes surfaces à La Réunion, les paiements en espèces ont représenté 35% des transactions en 2017 contre 50% en 2009 et les achats réglés par carte bancaire 50% des transactions  de l’an dernier contre 33% en 2009. Néanmoins, la valeur des achats par carte bancaire par habitant et par an est inférieure d’un tiers à celle relevée en France. 

Et le chèque dans ce décor ? S’il représentait encore 12% des modes de paiements à La Réunion en 2009, il a perdu 4 points depuis soit 8% des transactions en 2017, de nombreux commerçants les refusant désormais en raison de l’encours élevé des chèques sans provision (93 millions d’impayés par an à La Réunion).

Limiter le recours aux espèces, une volonté affirmée qui se heurte aux réalités locales

Dans ce contexte régional où l’argent liquide est roi, la volonté du législateur de favoriser les alternatives aux espèces dans un souci de transparence et de lutte contre le blanchissement se trouve freinée par la culture locale. Mais petit à petit les terminaux IP et nomades se multiplient, notamment sur les marchés forains et chez les petits artisans, ainsi que les paiements sans contact et autres moyens d’échanges dématérialisés. De quoi permettre au législateur, dans un futur assez lointain, à La Réunion du moins, de parvenir à ses fins : limiter au maximum les paiements en espèces pour plus de transparence fiscale. Fin 2018, le billet de 500 euros disparaîtra à La Réunion comme partout en France, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment. Déjà, depuis 2015, le plafond des paiements en espèces autorisés a été revu à la baisse, maximum 1000 euros sauf cas particuliers (jusqu’à 3000 euros la transaction chez un notaire, paiement du salaire en espèces jusqu’à 1500 euros, domicile fiscal à l’étranger…). Des moyens mis en place avec la volonté affichée de venir à bout d’une économie souterraine. Sauf qu’à La Réunion, cette économie poliment baptisée " informelle " est souvent rendue nécessaire par la précarité et le chômage. L’argent liquide, une source qui maintient beaucoup de nos concitoyens juste au niveau de la ligne de flottaison, n’a pas fini de couler à La Réunion comme en attestent les statistiques de l’IEDOM Réunion présentées mercredi .

ml/www.ipreunion.com

Mise en ligne le 06/07/18 à 2h59. Actualisé à 09h59

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