Tribune libre de Nassimah Dindar

Quel Département pour demain ?

  • Publié le 19 mars 2015 à 09:13

La Réunion célèbre aujourd'hui le 69ème anniversaire de sa départementalisation. 19 mars 1946 : une date importante, essentielle, pour notre Histoire. Elle marque l'entrée de La Réunion et des Réunionnais dans la marche vers l'Egalité, marche qui se poursuit encore comme l'a fort justement reconnu le Président Hollande.

Durant toutes ces décennies, le Conseil général fut, bien avant que la Région ne soit créée, l’acteur du développement de La Réunion. C’est lui qui, dans un premier temps, a réalisé, avec l’Etat, les investissements nécessaires en matière d’infrastructures, de soutien à l’activité économique, de lutte contre l’habitat insalubre… Il y eut, au cours de ces années, un véritable saut qualitatif, en tous les domaines, sur le plan de l’éducation, de la santé, du développement économique.

Rappelons nous qu’en 1946, la mortalité infantile est de 180 pour mille, l’espérance de vie atteint péniblement les 48 ans, à peine 10% des cases sont équipées en eau courante et en électricité, près de la moitié de la population est analphabète. En un peu plus d’un demi-siècle, le changement est fulgurant !

Au cours des années et des lois de décentralisation, le Conseil général est devenu le chef de file de l’action sociale, non seulement comme " distributeur " des allocations nationales déléguées par l’Etat, mais aussi comme l’acteur de proximité répondant aux besoins de la population et les anticipant le plus possible.

La décentralisation de cette compétence sociale a coïncidé avec l’essoufflement de la dynamique de rattrapage et une précarisation nouvelle croissante de la population. Elle a ainsi placé le Département en première ligne face à une urgence sociale de plus en plus prégnante. 

Aujourd’hui, où en sommes-nous ?

Institutionnellement, on nous promettait un grand changement via une ambitieuse réforme territoriale. Las ! Après plusieurs tergiversations, changements de cap, et revirements, le projet de loi que viennent d’adopter les députés ne prévoit qu’une seule modification d’importance : la suppression de la clause générale de compétence, qui avait été supprimée sous l’ancienne majorité présidentielle et que le Président Hollande avait rétablie sitôt élu. Que de temps perdu !

Donc statu quo au niveau institutionnel. Mais sur le plan politique et économique, nous sommes bien à un tournant de notre histoire, et nous devons, élus toutes tendances confondues, artistes, sportifs, acteurs culturels et économiques, prendre en main notre destin et notre avenir.

Cette réforme territoriale, nous devons la saisir comme une opportunité pour relever ensemble les défis qui s’offrent à nous. Il est temps que nous partagions tous, Région, Département, Collectivités de communes, Municipalités, et… Etat un même projet de développement pour La Réunion, et son million d’habitants dans à peine 15 ans. Nous connaissons déjà les grandes lignes de ce projet, les atouts sur lesquels La Réunion peut et doit s’appuyer : le tourisme, notamment l’agro tourisme et le tourisme des Hauts ; le hub portuaire cher à Jean-Paul Virapoullé, le logement assorti de la réflexion comment " faire habiter " et pas seulement " loger " ; l’agriculture car il existe encore des potentialités de développement sur le marché intérieur comme sur l’exportation ; les métiers " verts " où notre île est déjà en pointe ; les richesses de l’océan en termes de pêche mais aussi d’énergie renouvelable ou de cosmétique et, bien sûr, la compétence et la formation de la jeunesse.

La Région et le Département peuvent-ils encore s’offrir le luxe de ne pas partager la même vision pour l’avenir de notre île ? Chacun connaît la réponse. Car chacun connaît ce qui doit être la priorité des priorités : l’emploi.

Même s’il relève d’abord de la compétence de l’Etat, l’emploi doit être la première priorité de tous. Pouvons-nous accepter que nos jeunes soient obligés de contourner le système et bénéficier de l’Allocation Parent Isolé, par exemple, afin de pouvoir fonder une famille ? Non ! C’est un autre avenir, un autre horizon que nous devons leur offrir !

Au niveau fiscal, l’Etat doit réellement simplifier l’impôt pour favoriser la prise de risque des créateurs d’emploi, en instituant une taxe unique à 15%, comme proposé par Yves Jégo. Cela se fait déjà dans certains pays, notamment à Maurice.

Chacune des Collectivités doit aussi, dans la limite de ses possibilités, réfléchir aux dispositifs et moyens à mettre en œuvre pour favoriser la création d’emplois. C’est par exemple, ce que nous avons commencé à faire au Conseil général : la valorisation de l’agriculture péi, la mise en œuvre de box pour accueillir des entreprises de proximité, les chantiers d’insertion autour de filières innovantes. Nous devons faire plus, et nous devons faire mieux.

Trop longtemps les yeux tournés uniquement vers la France et l’Europe, nous devons désormais aussi regarder autour de nous, vers les pays de la zone océan Indien, l’Afrique, notamment australe, l’Asie dont les grandes puissances que sont la Chine et l’Inde. Nos racines sont indiaocéaniques ; notre avenir le sera aussi ou il ne sera pas. Sans renier son identité française et européenne : La Réunion peut et doit s’affirmer davantage comme le symbole de cette France diverse, fière de sa diversité, et unie dans les valeurs de la République.

Mais nous devons aussi, nous élus, réfléchir différemment, changer même de paradigme. Dans une certaine tradition de la conception française de l’Etat, nous avons toujours pensé les projets de manière générale, non individualisée. Dans un contexte où les rattrapages étaient nombreux à réaliser, et où les budgets étaient disponibles, cette approche macro-économique d’un Etat-Providence était pertinente. Dans le contexte actuel, ce n’est plus le cas. Un seul exemple le  montre parfaitement : celui de l’habitat insalubre. Aujourd’hui, les grandes poches d’habitat insalubres, que La Réunion connaissait il y a encore 20 ans, ont disparu. Mais en revanche, il reste encore 22.000 logements diffus qui sont considérés comme absolument indignes.

Il est  donc essentiel aujourd’hui que nous " individualisions " les politiques publiques, que nous les adoptions à la réalité et cessions d’espérer que la réalité s’adapte à nos cadres.

Les Hauts de l’île, 5ème microrégion délaissée au cours des années précédentes alors qu’ils constituent nos potentialités de richesse et d’équilibre du territoire, doivent bénéficier d’une attention toute particulière.

Les efforts de simplification doivent aussi être accrus. Nous avons commencé à simplifier les démarches, notamment avec les Maisons départementales qui sont des guichets départementaux uniques. Mais ce ne peut être qu’une étape et les Collectivités doivent entrer dans le 21ème siècle en proposant des applications et des e-services performants, gages de gain de temps et d’efficacité pour les usagers.

Enfin, cette logique doit trouver son prolongement dans une mutualisation avec les autres Collectivités ou/et l’Etat. Le Syndicat Mixte des Transports à la présidence duquel Didier Robert me succède, est une belle preuve que tous, communautés de communes, Département, Région, nous pouvons travailler ensemble au bénéfice de la population. Comme il en est de même avec l’Agile pour les Fonds européens, le Comité d’orientation stratégique pour le Tourisme, ou le récent Secrétariat général des Hauts, trois structures copilotées par l’Etat, la Région et le Département.

Nous pouvons faire mieux encore, notamment avec la création d’un Guichet unique pour les jeunes que j’appelle de mes vœux depuis plusieurs mois.

La Réunion est une terre d’avenir ; les Réunionnais sont porteurs d’avenir. Encore faut-il que nous puissions faire valoir nos potentialités, que nous puissions saisir les opportunités. L’Etat doit aussi partager cette ambition et nous accompagner, notamment en re-centralisant les allocations individuelles de solidarité, comme le lui demande la quasi-totalité des Départements. C’est à cette condition que le Conseil Départemental disposera des marges de manœuvre pour personnaliser davantage les accompagnements qu’il apporte aux individus comme aux territoires et ainsi construire La Réunion de demain. Et c’est ainsi que se tournera la page de l’Etat-Providence pour laisser place au temps du " Citoyen Providence ", c’est-à-dire le citoyen acteur de son présent et de son avenir.

Nassimah Dindar

guest
4 Commentaires
pigeon
pigeon
8 ans

EST IL NÉCESSAIRE D AVOIR DEUX COLLECTIVITÉS POUR ADMINISTRER MOIS D UN MILLION D HABITANTS ET UN SURNOMBRE D ÉLUS ET DE VICE PRÉSIDENTS AFIN DE BÉNÉFICIER D INDEMNITÉS CONSÉQUENTS VOUS APPELEZ PAS CA UN GASPILLAGE D ARGENT PUBLIC POURQUOI NOS ÉLUS NE RÉCLAMENT ILS PAS L ASSEMBLÉE UNIQUE AFIN DE METTRE EN COMMUN TOUS LES MOYENS?

clopinettes
clopinettes
9 ans

Je reviendrai commenter plus tard (faute de temps) mais juste quelques mots qui me viennent
à l'esprit dès que je vois son nom ou son visage :

ARAST, Car Jaune, Terre-Rouge, PSG, subventions, pirouette et cacahuette

bertel
bertel
9 ans

"Au cours des années et des lois de décentralisation, le Conseil général est devenu le chef de file de l’action sociale, non seulement comme " distributeur " des allocations nationales déléguées par l’Etat, mais aussi comme l’acteur de proximité répondant aux besoins de la population et les anticipant le plus possible." (c)

Mme Dindar, s'il vous plaît, A.R.A.S.T avec ce refrain ! Nana enko vilain moune mais do moun kouillon nana de moins en moins !

agnes
agnes
9 ans

Il serait bon de rappeler que la départementalisation on la doit au combat mené par Raymond Vergès et Léon de Lepervanche pour la réunion.