Rien de nouveau (ou presque) sous le soleil

Zone franche d'activités- Un tour de passe-passe à 7% d'imposition

  • Publié le 6 décembre 2018 à 09:56
  • Actualisé le 7 décembre 2018 à 10:22

Lors de son passage sur l'île, Annick Girardin, en plein rush des Gilets Jaunes, a fait un certain nombre d'annonces, dont celle d'une nouvelle zone d'activités, sur toute l'île, avec exonération d'impôts de 80% pour certains secteurs. Le but, ramener l'imposition réelle à 7% seulement, alors que l'Ile Maurice est à 15%, afin d'attirer des investisseurs et créer de nouveaux emplois. Présentée comme la grande opération de sortie de crise Gilets Jaunes, cette opération séduction envers les investisseurs se serait faite de toute façon, même sans les blocages, car elle était déjà inscrite dans la Loi de finances pour l'Outre-mer, présentée le 24 septembre 2018. Qui plus est, le taux de 7% n'a rien d'exceptionnel : il était déjà de mise depuis 2009 dans le cadre des zones franches urbaines. Explications.

Les zones franches, ce n'est pas nouveau à La Réunion. L'île a déjà connu la zone franche totale, avant de revenir à des zones franches urbaines, définies en fonction de la précarité de leur bassin d’emploi. Rebelote en 2019, la zone franche - cette fois-là accompagnée du mot "activité"- s’étend à toute l’île à nouveau. Le nouveau module, en oeuvre dès le 1er janvier 2019, sectorise les domaines d'activité éligibles et comprend aussi un lissage des conditions et des niveaux d’exonération, qui simplifie le process.

Si la zone franche d'activité peut aider les entreprises locales à se développer tout en répondant aux besoins d'emplois d'une population en situation de précarité, sa vocation est surtout d'inciter des entrepreneurs d'ailleurs à traverser les mers pour venir créer de l'activité sur les secteurs éligibles : l'Environnement, le Tourisme, la Recherche et le Développement, l'Economie bleue et verte, l'Economie industrielle et agricole, l'Agroalimentaire et le Numérique.

Les 7% d'imposition étaient déjà là

Mais les 7% d’impôts annoncés comme le Graal par la Ministre n’ont rien de nouveau eux non plus. " Depuis 2009, en zone franche, dans certains secteurs d’activité, vous aviez une exonération de 80% jusqu’à 300 000 euros de chiffre d’affaires, explique Didier Fauchard, président du Médef Réunion. Vous payiez donc des impôts sur 60 000 euros de chiffre d’affaire au taux de 33%, soit environ 21 000 euros d’impôts. Or 21 000 euros, c’est bien 7% de 300 000 euros. "

Nous avons voulu vérifier ce petit calcul auprès du Ministère de l'Outre-mer, qui n'a pas répondu à notre demande. Du coup, nous sommes allés interroger un avocat fiscaliste de Saint Paul, David Séraphin : "Dans les grandes lignes, oui, c'est ça, le taux de 7% existait déjà mais pas pour tout le monde car les anciennes zones franches avaient des taux et des conditions d'exonération très différents selon les secteurs et le taux d'imposition dépend aussi du montant du chiffre d'affaires imposable. Avec la ZFA, sur les secteurs concernés, l'exonération, qui propose moins de paliers, touche plus de monde ".

Incitatives, les zones franches ?

Ces dispositifs sont-ils la clé pour sortir l'île de l'ornière du chômage de masse ? "La défiscalisation c'est bien, mais ça ne correspond pas forcément à La Réunion, estime Didier Fauchard. L’intérêt de cette zone franche d'activité, c'est de faire venir des investisseurs d'ailleurs pour développer des métiers différents des nôtres. Mais quel intérêt peuvent trouver les investisseurs métropolitains ou européens à venir aussi loin alors qu'ils ont l'Europe à portée ?"

Sauf s'il y a une richesse locale à exploiter ici pour développer de nouvelles activités ? Pour Didier Fauchard, c'est bien là l'angle à explorer : "Le secteur de la pharmacopée et de la cosmétologie, grâce à la richesse de la biodiversité végétale réunionnaise, pourraient être un plus pour La Réunion en proposant justement de nouvelles activités non concurrentielles avec l'activité installée".

Autre piste ? Sans hésiter Didier Fauchard propose le désarmement des bateaux : "Cela permettrait de recruter au niveau bac pro. C'est une piste d'emplois intéressante et sécurisante dans le cadre européen, ce qui éviterait qu'on fasse ailleurs n'importe quoi dans un cadre moins réglementé".

Plutôt l'exonération totale de charges

Pour Dominique Vienne, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, la défiscalisation ne correspond pas vraiment aux besoins des entreprises réunionnaises. "96% sont des TPE ou des PME. Elle n'ont pas la capacité fiscale pour dégager des investissements sur fonds propres. Contrairement à ce que dit la ministre, il n'y aura pas de choc économique avec ces mesures. Le vrai choc, c'est que les entreprises paient moins de charges. Une exonération complète de charges pendant cinq ans nous permettrait de solidifier nos fonds propres et de réinvestir par nous-mêmes, car, de toute façon, les crédits bancaires sont difficiles à trouver. "

Or, selon la CPME, on n'en prend pas le chemin : "Les entreprises réunionnaises vont payer plus de charges au 1er janvier 2019 qu'au 31 décembre 2018". En cause selon lui, 47 millions manquants dans le budget de l'Outre-mer, qui seront trouvés par l'augmentation des charges. "Un casse-tête tous les mois pour les chefs d'entreprise", souligne Dominique Vienne.

On le sait, le mouvement social en jaune, s'il avait ses raisons, a laissé des traces douloureuses dans l'économie réunionnaise : "Aujourd'hui, on n'en est pas à se demander si les annonces de la Ministre sont pertinentes pour créer de l'emploi, on en est à se demander comment on va limiter la casse dans nos entreprises et éviter les licenciements et les liquidations judiciaires", nous répond le secrétaire général d'une confédération du bâtiment.

Le coût du chômage et de la déscolarisation

Crise ou pas crise, le coût de la main d'oeuvre, c'est le frein à l'emploi. Sur ce point, le Medef Réunion et la CPME sont unanimes. "Un chômeur coûte 57 000 euros par an, entre les indemnités, tout l'appareil de suivi et les recettes fiscales qui ne rentrent pas", analyse Dominique Vienne. En exonérant totalement de charges l'emploi au lieu de payer tout ce que coûte le chômage, on remettrait les gens en dignité et en situation de travail et on créerait de l'activité, donc de la richesse, et des recettes fiscales".

Même constat sur la déscolarisation auprès de Didier Fauchard : "Un jeune déscolarisé, ça coûte au moins 20 000 euros par an, entre les aides sociales à verser et les recettes fiscales qui ne rentrent pas grâce à l'activité salariée de ce jeune. Aider les entreprises à former ces jeunes et à les embaucher sans charges coûterait moins cher sur la durée et serait bien plus efficace."

Quelle pérennité au-delà de 2019 ?

Et puisqu'on parle de durée... La permanence des propositions, voilà encore un point qui pose question et réunit dans une belle concorde nos interviewés. Sachant que les ZFA sont inclues dans la Loi de finances 2019, quid des Lois de finances 2020, 2021 etc.... "La loi de finances, ce n'est pas la Constitution, reconnait l'avocat fiscaliste David Seraphin. Il arrive dans une année qu'il y ait une loi de finances modificative 1 et une loi modicative 2. Ces lois complètent ou reviennent aussi parfois sur ce qui a été préalablement voté en fonction de la conjoncture."

Même analyse au Médef et à la CPME qui, avant même de redouter des lois modificatives éventuelles, attendent déjà les décrets d'application de la Loi de finances pour l'Outre-mer 2019 : "On a parfois des surprises quand les décrets sortent", conclut Didier Fauchard.

ml/www.ipreunion.com

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