Tribune libre du président du Département

Cyrille Melchior : "fête du 1er mai : faire ensemble !"

  • Publié le 1 mai 2019 à 14:02
  • Actualisé le 1 mai 2019 à 14:09

Le mouvement des " Gilets jaunes " qui s'est développé depuis le 17 novembre dernier a été, par sa soudaineté et son ampleur, le révélateur du profond malaise social que connaît La Réunion depuis de nombreuses années. La célébration de la Fête du Travail doit être l'occasion de nous interroger sur cette crise sans précédent, dont les causes sont bien connues, mais aussi sur les remèdes à lui apporter.

À ce malaise social, qui traduit aussi une crise de confiance dans nos institutions républicaines, s’ajoutent d’autres défis que notre île va devoir relever au cours des prochaines années et qui peuvent être autant de motifs d’inquiétude : comment réussir notre transition écologique et solidaire en vue d’un développement durable ?

Comment faire face au vieillissement accru de notre population, puisque le nombre de personnes âgées passera de 132 000 personnes en 2016 à 225 000 en 2050 et celui des personnes âgées dépendantes devrait doubler pour atteindre 26 700 personnes ?

Quelles perspectives offrir à notre jeunesse, toujours plus nombreuse et de mieux en mieux formée, et qui manque bien souvent de repères en raison notamment de l’affaiblissement du rôle de la famille bien souvent monoparentale ?

Comment, dans le cadre d’une communauté de destin indianocéanique, renforcer l’insertion de notre île dans son environnement régional afin d’offrir davantage d’opportunités à nos jeunes et à nos entreprises en quête de nouveaux horizons ou de nouveaux marchés ? 

Comment faire face à l’afflux de migrants venus du Sri Lanka ?

Comment, dans une Europe que nous souhaitons tous encore plus solidaire, assurer une meilleure prise en considération de nos spécificités de région ultrapériphérique ?

Toutes ces difficultés vécues au quotidien, et qui se sont aggravées au fil des ans, ont conduit bon nombre de nos compatriotes à éprouver légitimement des sentiments croissants de frustration, d’exaspération et d’injustice : leurcolère doit être entendue ! Elles ont également fortement ébranlé notre " vivre ensemble " que beaucoup de pays dans le monde nous envient.

Des réponses à toutes ces difficultés et à tous ces défis existent pourtant. Cela suppose d’abord que soit élaboré un nouveau projet de société, un nouveau " Pacte social ", fondé sur un modèle de développement plus durable, plus juste et plus solidaire, mobilisant nos énergies, nos forces et nos atouts.

Au cours de sa brève mais dense histoire, La Réunion a dû faire face à de nombreuses crises. Mais c’est en faisant d’abord appel à ses propres ressources qu’elle a su les surmonter. Notre île, en effet, n’a jamais été aussi forte quelorsqu’elle a su rassembler ses femmes et ses hommes au service d’une ambition partagée. 

Or, elle dispose de nombreux talents et de nombreux atouts naturels. Il nous appartient de les valoriser davantage encore.
Dès mon élection en décembre 2017 à la présidence du Conseil départemental, et parce que je suis un homme d’ouverture, de dialogue et de convictions, je me suis attaché à fédérer toutes les bonnes volontés au service de l’ensemble des Réunionnais, et notamment des plus défavorisés d’entre eux.

Depuis lors, et dans le cadre d’une démarche partenariale et transversale, notre collectivité a mis en application, dans le respect de ses compétences, un projet de mandature articulé autour de deux axes majeurs : d’une part, renouveler nos politiques de solidarité en donnant davantage de place à la concertation et à l’action de proximité à travers notamment le Pacte de Solidarité conclu avec les 24 communes de l’île, d’autre part, amplifier les actions déjà engagées dans les domaines du développement humain et de l’aménagement du territoire. Deux maîtres-mots guident notre action : la solidarité et l’unité.

C’est dans ce cadre que le Département a engagé des chantiers d’envergure : plan Séniors, plan pauvreté, définition d’une nouvelle stratégie pour l’agriculture " Agri Péi 2030 ", adoption d’une nouvelle politique de coopération régionale visant à développer des partenariats mutuellement avantageux avec les pays qui nous sont historiquement et culturellement proches, projet de création dumusée de l’habitation et de l’esclavage, lancement du projet de la route des Hauts de l’Est...

Par ailleurs, nous avons signé avec l’État un contrat limitant nos dépenses de fonctionnement et nous négocions actuellement avec lui un plan de convergence et de transformation qui sera la déclinaison opérationnelle de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer. Nous avons aussi, et surtout, récemment obtenu de haute lutte l’accord de l’État pour une recentralisation du RSA, ce qui nous permettra de retrouver des marges de manœuvre à partir de 2020.

La tâche qui nous attend est immense, notre volonté d’agir l’est tout autant : il nous faut à la fois répondre à l’urgence sociale et inscrire notre action dans une vision stratégique de l’avenir afin de bâtir La Réunion de demain.

Au lendemain du terrible incendie qui a en partie ravagé la cathédrale de Notre-Dame de Paris, emblème de notre histoire nationale, un formidable élan de solidarité et de générosité s’est manifesté en France, et même au- delà : il aura permis de mobiliser en quelques jours près d’un milliard d’euros. 

Mutatis mutandis ne pourrait-on pas imaginer que soit mobilisée à La Réunion une pareille générosité ? Tel pourrait être, comme je l’ai déjà proposé, le rôle d’une Fondation Réunion. Espace de dialogue et de réflexion composé de représentants de la société civile et indépendant de tout pouvoir politique, la mission de cette instance serait d’abord d’élaborer, dans le cadre d’une confiance restaurée, un nouveau projet de société pour La Réunion, respectueux de notre patrimoine naturel et de notre diversité culturelle, et de mobiliser ensuite la générosité de tous : collectivités, entreprises, mouvement associatif, simples citoyens.

Ces financements seraient destinés en priorité à venir en aide à ceux qui sont les laissés pour compte de notre société. Ils serviraient aussi à financer, en complément des crédits publics déjà mobilisés, mais toujours insuffisants, des actions visant à réduire les difficultés dans de nombreux secteurs : le logement, l’éducation populaire afin de lutter contre l’illettrisme et le décrochage scolaire, les violences faites aux femmes et aux enfants, l’économie circulaire et solidaire qui peut créer des milliers d’emplois…

Les Réunionnais, en effet, ont toujours su se montrer généreux lorsque les circonstances l’exigeaient : aide à une famille en grande détresse, recherche médicale (cas du Téléthon par exemple), aide humanitaire d’urgence en faveur des pays de la zone frappés par une catastrophe naturelle... Depuis plusieurs années, le financement participatif (" crowdfunding " en anglais) s’est également développé dans notre île par le biais des réseaux sociaux (cagnottes communautaires en ligne). N’oublions pas non plus que les Réunionnais ont consacré en 2018 plus de 340 M€ aux jeux de hasard (Française des Jeux et PMU) !

En ce 1er mai, jour de la Fête du Travail, je souhaite d’abord rendre hommage à tous les travailleurs de notre île, et plus particulièrement aux agents de la collectivité départementale, ainsi qu’aux organisations syndicales qui luttent pour la défense de leurs droits. J’ai aussi une pensée pour tous ceux de nos compatriotes qui sont sans emploi, ou qui vivent dans la précarité, voire dans l’exclusion, et qui aspirent à vivre plus dignement.

Parce que la fatalité n’a jamais été une stratégie, nous devons tous œuvrer, individuellement ou collectivement, et avec imagination, afin de faire de notre " vivre ensemble " un " mieux vivre ensemble ". Nous devons aussi apprendre à " mieux faire ensemble ". C’est dans cet esprit que nous pourrons ainsi pleinement faire vivre au quotidien cette devise héritée du siècle des Lumières et inscrite sur le fronton de nos édifices publics : " Liberté, Égalité, Fraternité " .
 
Les Réunionnais doivent devenir les acteurs de leur histoire et du développement de leur île.

Comme le disait Maurice Blondel (1861-1949), qui fut un philosophe de l’action : " L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare "

Telle est l’ambition que je porte avec force et détermination pour tous les Réunionnais.

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