Entretien avec la figure de proue de l'association Oasis Réunion

Bernard Astruc : "aujourd'hui, il est nécessaire de passer à une agriculture 100% biologique"

  • Publié le 18 novembre 2019 à 02:59
  • Actualisé le 18 novembre 2019 à 10:37

Bernard Astruc, de l'association Oasis Réunion, à l'origine de la campagne "Glyphosate Réunion" et du "glyphotest", milite pour une agriculture exclusivement biologique en France métropolitaine comme à La Réunion. Dans un entretien accordé à Imaz Press, il détaille pourquoi l'agro-chimie, utilisée massivement aujourd'hui pour produire notre nourriture, est un fléau aussi bien pour notre santé que pour celles de nos sols. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Pour commencer, qu'est-ce que c'est exactement, le glyphosate ?

Bernard Astruc : On entend souvent à tort que c'est un herbicide : en réalité, c'est une molécule, qui est entré dans le domaine public depuis 2010, et qui est un composant d'herbicides tels que le Round'up. Ce produit est composé de 30 à 40% de glyphosate, et de 20 à 30% de ce qu'on appelle les adjuvants (produit ajouté à un autre pour renforcer ou compléter son action ; ndlr) dont nous ignorons les effets sur la santé, et qui pourraient être encore plus nocifs. D'après certaines études, certains de ces adjuvants pourraient être de 10 à 1000 fois plus nocifs dépendant du type de pesticides.

Aujourd'hui, les pesticides composés de glyphosate sont utilisés massivement à La Réunion...

B.A : C'est vrai, c'est une molécule omniprésente. Et le problème c'est qu'elle est extrêmement volatile : il a été démontré que des parcelles d'agriculture 100% bio étaient tout de mêmes contaminées, à cause de l'utilisation de la molécule dans des champs avoisinants. Après la première campagne de glyphotests en métropole, ce sont 100% des testés qui avaient des traces de l'herbicide, malgré des régimes bios pour certains. Il en est exactement de même dans notre département, deuxième en consommation de glyphosate !

Finalement, c'est irrémédiable de consommer des produits traités aux herbicides chimiques ?

B.A : Si on ne passe pas à une agriculture exclusivement biologique, oui. Le problème, ce n'est pas le glyphosate en soi, mais toutes les molécules chimiques utilisées pour traiter nos champs. Nous avons poussé les agriculteurs à se tourner vers l'agro-chimie, pour des questions de rendement. Nous avions besoin de quantités élevées de nourriture, alors on a arrêté de se préoccuper de bien produire. Aujourd'hui, toutes ces molécules sont présentes dans nos sols.

La production de produits biologiques est beaucoup moins rentable pour les agriculteurs, comment les persuader de faire la transition ?

B.A : En réalité, l'agro-chimie n'est même plus rentable : prenez l'exemple de la canne à sucre, qui ne peut plus survivre sans subvention. L'agro-chimie n'est pas rentable, elle est polluante, et coûte cher à tout le monde. C'est vrai que le prix du bio en magasin semble plus élevé, mais avec le chimique, nous payons en réalité quatre fois : une fois à la caisse, une seconde fois avec les subventions, une troisième au prix de notre santé, et donc une quatrième fois avec la sécurité sociale.

Quel avantage finalement de passer à une agriculture biologique pour un agriculteur ?

B.A : Quand on passe à l'agro-biologie, les sols renaissent. On crée alors de nouveau de la fertilité pour nos sols, qu'on appelle le humus, qui nourrit ensuite les plantes qui poussent. Nous savons pertinemment que ça ne peut pas se faire en un jour, mais nous demandons des objectifs clairs. Si tout le monde passer à l'agro-biologie, il faut aussi se dire que les prix élevés d'aujourd'hui deviendront abordables à tous.

Aujourd'hui, l'agro-chimie représente un milliard d'euros de subventions. La dépollution de l'eau, contaminée par les herbicides, représente, elle, 54 milliards d'euros. Alors au lieu de subventionner l'agro-chimie, pourquoi ne pas accompagner les agriculteurs vers la transition ? Si on ne pollue pas les sols et l'eau, nous n'aurons pas non plus besoin de dépolluer ces derniers.

Certains agriculteurs sont plus que réticents à faire cette transition...

B.A : Nous n'incriminons absolument pas ces agriculteurs, qui sont finalement les premières victimes de l'agro-chimie. Ce sont eux qui sont au contact direct de ces molécules, qui ont été poussés vers ce mode d'agriculture. Aujourd'hui, c'est un suicide d'agriculteur par jour en France, 10 000 exploitations qui ferment par an, c'est inacceptable ! Il faut accompagner ces gens dans leur transition. Actuellement, ils produisent à perte, sont endettés, et ils mettent leur santé en péril.

A noter qu'à La Réunion, ce sont 306 agriculteurs qui exploitent leur terrain en agro-biologie. En terme de surface, cela représente 1069 hectares, soit 2,3% de la surface, contre 7,5% en métropole, ce n'est plus possible. Le gouvernement avait pour objectif pour 2020 d'avoir 15% de la surface agricole consacrée au biologique, comment y arriver ? Quand ? Nous demandons de la transparence. Même son de cloche pour les cantines collectives, où en 2008 le gouvernement avait acté un objectif de 20% de repas biologiques. Nous sommes à 3% aujourd'hui…

Pour conclure, j'insiste sur le fait qu'une agriculture biologique industrielle ne peut pas exister : ce qu'il faut, ce sont de petites parcelles, avec une production à petite échelle, locale, pour favoriser l'économie circulaire. Et qui créera, en plus, des emplois.

as / www.ipreunion.com / www.ipreunion.com

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