Crise sanitaire

Du chikungunya au Covid-19, mêmes causes, mêmes errements politico-sanitaires

  • Publié le 19 juin 2020 à 02:58
  • Actualisé le 19 juin 2020 à 06:40

D'une épidémie à l'autre, il apparaît que l'on ne tire pas vraiment de leçons. La crise sanitaire du chikungunya, qui a rudement affecté La Réunion, n'a pas été mise à profit, au niveau national, pour éviter que se reproduisent les erreurs qui en avaient fait une catastrophe sanitaire. On retrouve pourtant au nombre des personnalités de la santé nationale et internationale, deux stars coqueluche des médias, Antoine Flahaut et Didier Houssin (Photo archives rb/www.ipreunion.com)

En France, outre-mer compris, l’épidémie dite CoviD19 totalisait au 16 juin plus 38 436 victimes. Une comptabilité d’autant plus sinistre qu’elle n’est pas vraiment transparente, un peu comme les chiffres du chômage, parce que saucissonnée entre mortalité en milieu hospitalier, mortalité dans les EHPAD décomptée avec retard, et, mortalité à domicile, non comptabilisée officiellement, mais que le syndicat MG France, s’exprimant pour les médecins de ville, évaluait au 27 avril dernier à 9000 décès.

Des données, on le voit, plus ou moins précises, qui devront être vraisemblablement  réévaluées à la hausse, et recoupées avec d’autres éléments statistiques, tels que la " surmortalité " établie par comparaison, d’une année sur l’autre, par l’Insee. A court terme, l’hypothèse des 40 000 morts ne serait donc pas absurde.

Au-delà de ce flou comptable, difficilement recevable dans un pays développé au système de Santé sophistiqué, le jeu des comparaisons avec d’autres nations européennes s’avère douloureux, en ce sens qu’il montre une mortalité équivalente à celle enregistrée en Italie, en Espagne, au Royaume Uni, soit une moyenne de 580 morts par million d’habitants.

Un score quadruple voire quintuple ce ce qu’ont enregistré le petit Portugal et la grande Allemagne, le double par rapport à la Suisse, pour rester en Europe. Si l’on s’aventurait à oser une comparaison avec le Japon, ou la Corée, ce serait une véritable humiliation pour nos dirigeants, ces pays ayant enregistré des résultats infinitésimaux au regard de ce qui s’est passé en France, 916 personnes décédées au Japon, pour plus de 126 millions d’habitants, 273 décès en Corée du Sud au 8 juin dernier, pour une population de 51,85 millions d’âmes. Et la pyramide des âges ne plaide pas en faveur de ces pays d’Asie, dont les populations se disputent le titre de plus âgées du monde entier.

De quoi se poser des question sur les responsabilités engagées dans cette épidémie.

- Litanie d’experts mis en batterie par les médias nationaux -

C’est précisément ce qui motive l’enquête préliminaire globale, que le parquet de Paris a ouvert le 9 juin dernier, sur des chefs présumés d’homicides involontaires ou de mise en danger de la vie d’autrui ; une procédure extraordinaire en ce sens qu’elle synthétise 46 plaintes différentes émanant d’associations, de syndicats et de justiciables agissant au pénal en nom propre.

Pour rester dans ce domaine, il faut encore citer les commissions d'enquête parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat qui iront fouiller, avec plus ou moins de bonne volonté, selon que l’on se rapproche ou s’éloigne de la majorité présidentielle, dans la gestion de l’épidémie par les pouvoirs publics. Pour faire bon poids, le gouvernement prétend engager sa propre commission d’enquête dans un brûlant souci d’indépendance, d’objectivité, et de collégialité… Il est vrai que selon le procureur général François Molins, cité sur RTL, que "84 plaintes" ont été déjà été déposées contre des membres du gouvernement, auprès de la Cour de justice de la République, instance compétente pour juger des actes commis par des ministres en fonction.

Sur le fond les faits sont relativement simples à comprendre, sans qu’il soit besoin de faire appel à la litanie d’experts mis en batterie par les médias nationaux ces derniers mois…

Il est d’ailleurs "plaisant" pour les Réunionnais, de voir réapparaître dans ce concert, deux personnalités qui s’étaient " distinguées " lors de la crise sanitaire du Chikungunya, une répétition épidémique en vase clos, de ce qui est arrivé à l’échelle nationale avec le fameux coronavirus, il s'agit de l’épidémiologiste Antoine Flahaut, responsable en 2006-2007, d’une cellule de coordination des recherches sur le chikungunya dans l’océan Indien.

Il se gargarise aujourd’hui de cette expérience, sans qu’on sache très bien pourquoi, hormis le fait que ses multiples publications ont probablement contribué  à ce qu’il dirige l'École des hautes études en santé publique (EHESP), en d’autres termes l’ENA des fonctionnaires de la Santé de de 2008 à 2012 ; école qu’il a ensuite abandonnée pour la direction de l’Institut de santé globale de l’université de Genève, occupation qu’il partage avec une compétence de professeur de santé publique et de co-directeur du Centre Virchow-Villermé, à la Faculté de Médecine de l’Université Descartes, Sorbonne Paris Cité, à l’Hôtel-Dieu (APHP).


- La négation même de l’esprit scientifique et médical -

L’épidémie réunionnaise s’est avérée l’exemple type de tout ce qu’il fallait ne pas faire en matière de Santé publique, les grands Mamamouchis persistant à considérer le Chik comme une maladie bénigne - jusqu’en février 2006 -  quand les Réunionnais subissaient une mortalité sévère, alors même que les médecins de ville et leurs collègues de réanimation étaient sommés de se taire et de ne point tenir compte de leur expérience, pourtant confirmée par Pasteur-Lyon… parce que rien de tel ne figurait dans la "littérature".

Pour définir le contexte, les premiers cas graves avaient été signalés cinq mois plus tôt par l’hôpital de Saint-Pierre, le 26 septembre 2005, il s’agissait alors de  suspicions d’encéphalites.Trois cas concernaient des nouveau-nés, trois autres des adultes… Réaction finale en forme d’aveu du Dr. Perrin, directeur régional de l’hospitalisation, quand La Réunion comptait près d’une centaine de décès : “Le chikungunya peut être mortel, mais vous allez affoler la population…”

Cet aveuglement étant la négation même de l’esprit scientifique et médical, il aurait du figurer en bonne place dans les paramètres permettant de caractériser les dysfonctionnements liés à cette épidémie vue sous l’angle d’un épidémiologiste.

Pourtant, Flahaut qui déboule à La Réunion après la confession par  l’ARH de ce que le CHIK ne peut plus être considéré comme une maladie bénigne, traite la problématique, dans son rapport, publié en 2009 dans Les Tribunes de la Santé, d’une manière extrêmement distanciée : " …une cellule interdisciplinaire de chercheurs a été mobilisée sur des questions relativement complexes qui sont difficilement analysables par un représentant d’une seule discipline (épidémiologiste, entomologiste, virologue, immunologiste, clinicien, sociologue).

- 253 morts à La Réunion du chikungunya -

Les questions qui se posaient étaient de nature différente. La première sur laquelle nous eûmes à nous prononcer était de savoir si le chikungunya était une maladie bénigne ou non. François Baroin, ministre de l’outremer à l’époque, avait déclaré que cette maladie était comparable à la grippe. Ces propos ont a l’époque soulevé une forte controverse dans la presse locale de la Réunion.

Le Dr Lee Jong-Wook, ancien directeur général de l’OMS, s’est rendu à l’île Maurice en mars 2006 où les autorités étaient préoccupées par les conséquences qu’auraient cette épidémie et son retentissement médiatique sur le tourisme, qui constitue une part importante du PIB (plus importante qu’à La Réunion où il ne représente que 3% du PIB local). Le Dr Lee Jong-Wook a considéré que la situation était moins alarmante que celle dépeinte dans les médias. L’OMS accréditait donc l’idée que " le chikungunya ne constituait pas un problème de santé publique majeur, contrairement au paludisme, à l’hépatite B ou à l’infection par le VIH… "

Plus exactement, le Dr Lee Jong-Wook avait déclaré sans honte que le chikungunya est "peut-être un problème médical, mais ça n'a rien de spécial (…) Il ne faut pas créer une psychose autour du chikungunya (...) Il ne s'agit pas d'une épidémie. C'est un problème domestique…"

On sait ce qu’il est advenu de ces considérations douteuses y compris en termes d’honnêteté de feu le directeur général de l’OMS.
On a dénombré 743 décès à l’Ile Maurice et au bas mot 253 morts à la Réunion, sans parler d’une litanie d’enfants victimes d’infections materno-fœtales à virus chikungunya, ayant pour conséquences des encéphalites, à l'origine d'un handicap prolongé… Et s’il aujourd’hui  de notoriété publique que la population réunionnaise n'a pas suffisamment été informée des risques de cette maladie sur les enfants, la remarque vaut encore pour nombre des victimes adultes de la maladie si longtemps présentée comme bénigne.

- Didier Houssin, a eu la lumineuse idée de reprendre les stocks de masques de protections pour "libérer des espaces" -

Le Dr.Flahaut, excollaborateur de l’OMS, affirme  dans l’une des nombreuses interview qu’il a donné en ces temps de pandémie médiatique : " l'épidémie de chikungunya m’a beaucoup appris pour cette pandémie du Covid-19… " ; ce qui en soit n’était pas très rassurant, vu que rien n’a vraiment été fait pour contrôler le CHIK, hormis l’emploi de quantités industrielles d’insecticides et un déballage d’âneries métaphoriques passées à la postérité. Le professeur Antoine Flahaut, est un chercheur sachant chercher et surtout manier la langue de bois ; en 2006,  il  a expliqué à La Réunion ébahie qu'il faudrait mettre en place une "météo sanitaire” et pronostiqué que la population pourrait être touchée à 75%, avant de passer à l'épidémie suivante.

Didier Houssin, était un autre acteur de la crise sanitaire du CHIK, es qualité de directeur général de la Santé. Lui aussi a tiré profit de son expérience, il en a fait un bouquin, " Face au risque épidémique ", édité en 2014, sur la jaquette duquel on peut lire : "Le Pr Didier Houssin a été au coeur de cet enchaînement, en particulier au moment de l'épidémie de chikungunya à La Réunion, de la grippe aviaire, puis de la pandémie grippale de 2009. Soucieux d'en tirer les leçons pour la sécurité future des populations, il en retrace ici les temps forts et dresse le bilan des réponses qui ont été apportées (…) elle doit (…) être l'occasion de prolonger l'effort de préparation, dans l'éventualité d'un phénomène épidémique plus grave. " Entre temps, en 2010,  le même Didier Houssin, a eu la lumineuse idée de reprendre les stocks de masques de protections pour " libérer des espaces "…

C’est donc l’homme à l’origine de la pénurie de masques à l’avènement du Covid-19 ; " il n’a pas été possible de gérer les stocks constitués de FFP2, qui arrivaient à péremption en cinq ans. La culture de la stratégie des stocks s’est plantée… " a-t-il déclaré dans le Quotidien du Médecin. Son prédécesseur, le Pr William Dab, porte sur cet épidode un regard différent, dans le même quotidien spécialisé : "l’affaire des masques. On a constitué des stocks en 2009-2010 dont la gestion a été confiée à l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).

Et puis on a jugé que le plan grippe aviaire avait surréagi aux événements et on a dessaisi l’EPRUS pour faire une économie de 280 millions d’euros en donnant au privé le soin de la gestion du stock.

Quel terrible ratage ! Bercy et Matignon ont manifesté une totale insouciance face aux risques. L’économie que l’on a réalisée tient dans l’épaisseur d’un trait du budget de la santé, c’était un dix millième du budget de la santé publique. Après la crise, il faudra que les commissions d’enquête et d’investigation identifient les responsabilités. Ne pas avoir compris que l’investissement en santé publique est hautement rentable, c’était littéralement suicidaire !"

Pour mémoire, l’EPRUS disposait - avant l’opération peau de chagrin contemporaine de l’excellent Monsieur Houssin - de 285 millions de masques de filtration de type FFP2 et 20 millions de boîtes de 50 masques chirurgicaux.  En 2020, Olivier Véran, tout frais émoulu ministre de la Santé, confessera que le stock de l’État se résume à 120 millions de masques chirurgicaux et pas un masque FFP2.

Le fait est que la "bonne" idée du Pr.Houssin a été perpétuée par ses successeurs, sous Hollande et Macron, qui a pourtant tout récemment nié l’évidence de la pénurie de masques, en proférant un énorme mensonge d’État ; il a effectivement déclaré le 18 mai, que la France n'a "jamais été en rupture" de masques.

www.ipreunion.com

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1 Commentaires
Alain
Alain
3 ans

Et les mêmes errements de médecins illuminés...déjà, en 2006, certains proposaient la nivaquine comme solution au Chick....on oublie vite...