Chronique de Mario Serviable et de René-Paul Victoria

L'école de la République, fabrique de la liberté individuelle

  • Publié le 27 septembre 2012 à 11:46

Toute entreprise humaine est traversée par des intelligences contradictoires et des postures paradoxales. Il en est ainsi de l'école. Son rôle est de dispenser les apprentissages et de servir "d'atelier national où s'élabore la France de demain" (Edwy Plenel, La République inachevée, 1987). Comment apprendre la langue, la géographie et l'histoire de France sans énoncer et sans comprendre ? Les débats sur l'identité nationale et la laïcité ont illustré cette posture paradoxale. L'identité nationale serait une évidence donnée, de toute éternité, par on ne sait quel subterfuge de la transmission. Parler de l'identité serait un sujet tabou ou impur, comme hier était la sexualité.

L’axiome est connu de tous ceux qui enseignent ou qui apprennent : le savoir ne se transmet pas ; il se construit car seules les informations sont transmissibles. Tout s’enseigne sans fausse honte, même ce "vertige identitaire" exclu de la compréhension des enfants, et abandonné à l’impudeur des adultes consentants.

A quoi sert l’éducation ? L’éducation sert à chacun pour formuler ses besoins, ses ressentis et ses rêves. Elle sert aussi à mettre une limite raisonnable à ses rêves, à composer avec la réalité, et à partager ces rêves avec d’autres. Quels contenus donner à l’éducation ? Quatre urgences sont identifiées. Il faut éduquer à soi-même, c’est-à-dire à l’estime de soi et à la responsabilisation. Il faut éduquer à l’autre, source de plaisir avant tout, et avec qui on partage sa vie, le temps et l’espace. Il faut éduquer à la société, dans son organisation politique et culturelle comme cadre de la vie humaine. Il faut enfin éduquer au temps, afin de ne pas gaspiller sa vie et pouvoir transformer le temps perdu en temps social partagé, source de plaisir.

L’identité est essence et émotion

L’identité nationale est une adhésion à une histoire et une géographie pensées comme communes ou partagées, transcendant des sociologies dissemblables. En France, le socle de l’héritage est constitué du modèle républicain laïc et d’une culture politique véhiculée par la langue de la République. Tout s’apprend et se cultive : langue partagée, espace et temps communs porteurs de marqueurs culturels. Faut-il tout partager ? Toute la vieillesse de la nation et les secrets de tous les terroirs ? Car toute personne est inscrite dans un espace, dans une histoire et dans un projet national à parachever. Les gens qui n’ont pas la même géographie quotidienne et pas la même histoire dans les souvenirs, c’est-à-dire pas le même rapport à l’espace et au temps qui passe, ne cultivent pas une identité identique.

Ainsi, le temps créole, chronologique et climatique, renvoie à la colonisation, à l’esclavage, aux cyclones et à la couleur dans les croyances et les paysages. Il faut, dans les marges lointaines, faire l’effort supplémentaire de construire l’identité avec des additifs et des avenants. Et on ne peut  chanter partout la même chanson : "Nos ancêtres les …..", car l’identité ne peut  se résumer à la seule ancestration. Goethe affirmait que nous étions tous des êtres collectifs ; nous ne sommes pas des amalgames mais des assemblages, différents selon les époques et les contextes, mais l’essentiel y est.

La différence, que l’on appelle politiquement la diversité, est-elle péril pour l’ensemble ? Entre le "tous-pareils" et le "tous-différents", comment faire une nation qui ne soit pas " brouillée " ? Comment penser et aimer des mondes turbulents et contradictoires coexistant dans le grand ensemble français ? C’est le défi de l’école de la République aujourd’hui.

La fabrication du savoir et de la connaissance

Dans le rapport de l’Unesco publié au sommet de Tunis (Vers les sociétés du savoir, 16-18 novembre 2005), Koïchiro Matsuura abordait la problématique de la finalité éducative. A quoi sert le savoir dans un monde de la libre prolifération de l’information ? Il sert à transformer et à améliorer sa situation sociale et sa condition personnelle ; il sert à lutter contre la pauvreté, les pathologies et l’exclusion dans un itinéraire vers l’autonomie et la compréhension du monde. Matsuura affirme que les nouvelles technologies ont amené une économie de la connaissance, plaçant le savoir au cœur de l’activité humaine et des transformations sociales.

Mais l’information n’est pas savoir et connaissance, c’est-à-dire son acquisition et son assimilation pour pouvoir transformer sa vie ; et la profusion n’est pas un bon indicateur d’une société apprenante et cultivée, la profusion produit parfois de la confusion. La connaissance est un bien public fabriqué par la pédagogie ; le savoir n’est pas souvent accessible faute de cette médiation pédagogique dispensée par l’enseignant. L’école c’est certes du bâti, de l’organisation, du contenu programmatique, mais le visage visible et vivant de l’école c’est l’enseignant.

"Mieux que savoir : comprendre"

Les enseignants n’exercent pas seulement un métier, ils remplissent une fonction confiée par la République. Ils ont le soin d’instruire les élèves pour qu’ils deviennent des citoyens informés et libres d’une part, et de les former pour qu’ils utilisent leurs talents à la création de richesses communes, notamment la tâche toujours inachevée de parfaire la société à transmettre aux générations futures. Les débats sur l’approche pédagogique sont intemporels : l’élève est-il un vase à remplir ou un feu à allumer ? Quels sont les contenus, les rythmes et les vérifications/validations des apprentissages ? Il faut mettre l’école à l’abri des turbulences des réformes politiques ; il faut laisser l’héritage de cette belle aventure séculaire évoluer au rythme interne de la pédagogie et des pédagogues.

L’école est le plus beau cadeau fait à la jeunesse

Quand les jeunes sortent de l’école pour descendre dans la rue, cela signifie que l’école n’est plus perçue comme le lieu de construction de l’avenir et comme lieu de reproduction de réponses pour le bonheur. L’école est le plus beau cadeau qu’une société puisse offrir à sa jeunesse ; ce cadeau coûteux de la solidarité nationale est violenté par ceux-là mêmes qui doivent en tirer bénéfice. Certains jeunes ne sont pas armés pour aborder l’autre dans la douceur tumultueuse des émotions. Ils sont dépourvus de savoirs pour pouvoir être interconnectés à un monde complexe, ou pour démêler les multiples possibilités de socialisation virtuelles ou réelles. Ils sont alors condamnés à rester alvéolés dans un monde vécu en petit : leur quartier, leur rue, leur immeuble, leur personne.

Toute politique de jeunesse doit reposer sur l’éducation. C’est à l’école, c’est-à-dire dans l’apprentissage d’une culture de vie, que l’on tient la mort à distance ; c’est dans cette fabrique de mots et de rites que l’on explore toutes les possibilités pour tirer profit et plaisir de l’existence de l’autre.

Vers les sociétés du savoir : le recours à l’éducation populaire

Mais l’action de l’école académique et républicaine est limitée dans le temps ; l’obligation scolaire va jusqu’à 16 ans. Elle est également limitée par le temps, car les programmes sont de plus en plus lourds dans le calendrier scolaire. On aurait tendance à tout demander à l’école : lire, écrire, compter, penser, bien vivre ensemble, faire la société et en corriger tous les vices ; on voudrait qu’on y enseigne à tous toutes les sciences du monde et l’art de bien se tenir dans le monde, c’est-à-dire la morale (l’étude des rapports qui doivent régir les individus entre eux, et ce en fonction de l’autre) et le civisme (l’étude des rapports que doivent entretenir les individus avec l’Etat, et ce en fonction du seul Etat). On reproche à l’école d’être un sanctuaire coupé du monde, de ne pas éduquer aux sentiments et au plaisir…

Pour pouvoir tout faire, la première école doit être relayée par l’Education populaire qui est la deuxième école de la République, dans un espace-temps long. Cette deuxième école dispense l’éducation tout au long de la vie et aborde le champ de tous les savoirs informels ; elle permet à chacun de préserver et d’augmenter son capital-savoir constitué à l’école.

Comme prolongement de l’école tout au long d’une existence et plus avant dans la nuit, il y a  ces initiatives de bénévoles ou de professionnels dédiés qui veillent pour que tous les enfants grandissent. C’est pour cela que chaque association sportive ou socio-éducative de quartier qui disparaît est un sinistre dangereux. Le soutien aux associations permet de consolider l’action de l’école et de construire la société éducative de demain.

Mario Serviable, géographe

René-Paul Victoria, ancien député de La Réunion

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2 Commentaires
MONDONOVO
MONDONOVO
10 ans

Je m'étonne de voir un intellectuel de gauche (il me semble ! il cite Edwy PLENEL) et un instit UMP ou apparenté, d'accord sur, le sujet de l'éducation qui évolue dangereusement vers un nivellement par le bas,malgré les pédagogues qui depuis PARIS désorganisent l'Ecole de La REPUBLIQUE depuis des décennies.
Quant à l'éducation populaire, je la cherche en vain !

MONDONOVO
MONDONOVO
10 ans

Je m'étonne de voir un intellectuel de gauche (il me semble ! il cite Edwy PLENEL) et un instit UMP ou apparenté, d'accord sur, le sujet de l'éducation qui évolue dangereusement vers un nivellement par le bas,malgré les pédagogues qui depuis PARIS désorganisent l'Ecole de La REPUBLIQUE depuis des décennies.
Quant à l'éducation populaire, je la cherche en vain !