Tribune libre d'Huguette Bello, députée de La Réunion

Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace

  • Publié le 11 juillet 2018 à 14:24
  • Actualisé le 11 juillet 2018 à 14:30

Approfondir la décentralisation en généralisant le droit à la différenciation territoriale est l'une des ambitions de cette révision constitutionnelle. C'est sans doute celle qui a suscité le plus d'attentes. C'est assurément aussi celle dans laquelle se trouve encore une réelle marge d'évolution.

Les trois articles 15, 16 et 17 se situent dans le droit fil de la réforme constitutionnelle de 2003 mais les mesures générales de l’article 15 modifient sensiblement la portée des dispositions relatives à la Corse et aux collectivités d’outre-mer.

Ainsi en ne supprimant pas l’impossibilité pour la Réunion de fixer des normes dans le domaine de la loi, ce projet de révision risque-t-il de provoquer des chevauchements de compétences au lieu de maintenir une échelle de différenciation au sein du titre XII de la Constitution.

À vrai dire, des raisons plus graves convergent pour mettre un terme à cette exception réunionnaise, votée en 2003, en dépit des déclarations volontaristes du président Chirac et des sages mises en garde de son Gouvernement.

Elles sont bien sûr à rechercher dans les multiples défis encore à relever, en premier lieu le chômage, mais aussi dans les nouveaux
enjeux de développement liés notamment aux transitions écologique et numérique ou encore à l’économie bleue. Il y a, à cet égard, quelque chose d’étrange (pour ne pas dire de gênant) à invoquer sans cesse les spécificités de la Réunion et à repousser, parallèlement, les outils qui permettraient de les prendre en compte plus efficacement. Il est pourtant de plus en plus évident que la géographie comme l’histoire, que les évolutions de la norme européenne comme le dynamisme de notre environnement régional, en un mot que tout plaide pour que les Réunionnais aient enfin accès à l’intégralité du champ des habilitations ouvert aux collectivités d’outre-mer.

Ainsi que l’a souhaité le Gouvernement, le consensus parmi les parlementaires réunionnais est désormais acquis. Nous sommes
majoritaires en faveur d’un article 73 sans dérogation territoriale.

Mieux, la Délégation aux Outre-mer de notre assemblée a approuvé notre position à l’unanimité. Mais, comme en 2003, la partie se joue aussi " hors les murs ". Outre qu’elle remet en question le rôle et la responsabilité des parlementaires, cette stratégie favorise les postures et les décisions de circonstances, incompatibles par nature avec les exigences d’une révision constitutionnelle.

Ce constat devient alarmant quand il apparaît que les élus des deux collectivités concernées ont été amenés à s’exprimer sur des motions où les imprécisions et les inexactitudes le disputent aux extrapolations hasardeuses. La seule lecture de ces documents rend urgente, Madame la Ministre, une clarification au plus haut niveau, si l’on ne veut pas que se propage à la Réunion une lecture erronée ou ambiguë de la loi fondamentale et singulièrement des articles 72 et 73.

Plus précisément, trois points méritent d’être clarifiés une fois pour toutes.

Le premier concerne la corrélation abondamment entretenue entre le pouvoir normatif reconnu aux collectivités territoriales et les
évolutions institutionnelles. La Constitution ne laisse place à aucun doute : l’un n’entraîne pas l’autre. L’étanchéité est totale. La
Guadeloupe en est l’illustration parfaite. Elle a reçu l’acte de naissance de la première habilitation normative et n’a pas créé de
collectivité unique. Comme à la Réunion, on y trouve toujours un Conseil régional et un Conseil départemental.

Le deuxième point porte sur les éventuelles évolutions institutionnelles ou statutaires. Elles forment le réceptacle par excellence de toutes les instrumentalisations, de toutes les manipulations, de toutes les vieilles ficelles. Pourtant, qu’il s’agisse de la création d’une collectivité unique, du passage du régime de l’article 73 à de l’article 74 ou vice-versa, un référendum est obligatoire. Rien ne peut se faire sans le consentement des citoyens concernés ainsi que l’ont déjà prouvé neuf consultations. Cette garantie démocratique est
prévue aux articles 72-4 et 73-7. Ils sont aussi limpides que solennels. Ils ne concernent que les Outre-mer.

Le troisième point, plus récent mais non moins grave dans l’échelle des confusions actuelles, concerne les interprétations fantasmées
autour de l’article 72 nouveau. S’il généralise la différenciation à toutes les collectivités de la République, celui-ci n’apporte rien de
plus aux Outre-mer régis par l’article 73, y compris à La Réunion. Le 72 envisagé et le " 73-Réunion " sont des frères jumeaux. Ni l’un ni l’autre n’offre à la Réunion la faculté d’agir, par exemple, sur la fiscalité des entreprises. Et se prévaloir du " 72 nouveau " comme levier du changement, c’est oublier un peu vite qu’à la Réunion, ce levier peut être actionné depuis quinze ans. C’est en outre méconnaître que la procédure de droit commun sera moins souple et plus restrictive. Bref, avec les nouveaux apôtres réunionnais de l’article 72, le statu quo lui-même n’est plus assuré.

Renforcer l’ancrage dans la République, respecter le principe d’identité législative, installer la décentralisation normative, telles sont
les lignes directrices qui ont inspiré, en 2003, la réécriture de l’article 73. Gardons-les à l’esprit. Elles sont toujours à l’œuvre aujourd’hui.

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