Tribune libre de Bruno Bourgeon

La dictature des fantasmes

  • Publié le 4 septembre 2019 à 10:02
  • Actualisé le 4 septembre 2019 à 10:05

Le maire de Langouët, commune de 602 habitants, comparaissait devant le tribunal administratif de Rennes jeudi 22 août pour avoir pris un arrêté interdisant l'usage de pesticides à moins de 150 m des habitations. Cédric Henry, président de la FDSEA d'Ille-et-Vilaine, tient ce discours : " Langouët est devenu depuis quelques temps le symbole d'une résistance et d'une opposition citoyenne à l'utilisation des produits phytosanitaires. Comme Sivens en son temps ou Notre-Dame-des-Landes sur d'autres sujets. " (Photo d'illustration maire de Langouët)

" Ces mouvements contestataires peuvent être utiles et ont parfois le mérite de faire avancer les débats sur des questions de société, des questions primordiales qui nous touchent tous, comme la santé, la biodiversité, la ressources en eau ou la qualité de l’air. "

" Pour autant, je ne peux pas admettre ce qui se passe à Langouët. Nous sommes face à un maire qui outrepasse ses droits. À quel titre, un maire pourrait-il se substituer à un ministre ? La préfète a eu raison de demander le retrait de cet arrêté. Accepter de telles pratiques reviendrait à ouvrir la boîte de pandore, ce serait le retour des barons locaux et du règne des seigneurs sur leurs serfs. "

" En voulant interdire les produits phytosanitaires, on fait croire au citoyen français que la production agricole nationale peut être entièrement bio. Pensez-vous que tous les ménages sont prêts aujourd’hui à manger 100 % bio et français, qui en aurait vraiment les moyens ? Qui a fait aujourd’hui la démonstration que nous pourrions maîtriser nos productions végétales sans aucun produit de synthèse à grande échelle ? Qui a fait cette démonstration en intégrant les coûts de production et la pénurie de main d’œuvre ? Personne. La question de l’utilisation des produits phytosanitaires, comme d’autres d’ailleurs (bien-être animal, contribution de l’agriculture à l’effet de serre, les OGM…), nécessite davantage de réflexion, d’objectivité et d’honnêteté intellectuelle. "

" Imaginez-vous demain un maire prenant un arrêté qui interdit à ses administrés la consommation de médicaments et de contraceptifs au prétexte que des perturbateurs endocriniens se retrouvent dans l’eau du robinet. Même si le prétexte est fondé, la mesure est inappropriée et inacceptable. "

" Et un autre maire qui prend un arrêté interdisant l’épandage de boues de station d’épuration sur sa commune au prétexte qu’elles contiennent des métaux lourds. Là encore, le prétexte est fondé, mais la mesure inappropriée. Que ferait-on des montagnes de boues que les villes et les métropoles envoient vers nos campagnes ? "

" Nous sommes dans une dictature permanente des fantasmes, dans une course à l’échalote pour savoir qui va laver plus blanc que blanc. "

" Nous sommes dans une dictature permanente des fantasmes, dans une course à l’échalote pour savoir qui va laver plus blanc que blanc. Qui sera le plus exemplaire, le plus vert ? La profession agricole propose des solutions, des compromis, des avancées mais ce n’est jamais assez. Nous travaillons avec du vivant, avec le climat, nous prenons des risques pour nourrir des millions de consommateurs. Nous devrions avoir le soutien et l’admiration de tous les élus, sans exception. Au lieu de cela, certains élus cultivent l’exclusion, la stigmatisation en faisant rêver leurs électeurs. Ils promettent la lune, font la promotion de fantasmes et cultivent la peur. "
" Je suis d’accord pour que nous, les professionnels, la recherche, les industriels, les consommateurs, les citoyens et les élus, nous unissions nos intelligences, nos expériences, nos connaissances du terrain pour imaginer et tester de nouvelles solutions qui répondent aux attentes citoyennes tout en garantissant notre revenu. C’est le principe du " contrat de solutions " imaginé par notre syndicat (la FNSEA). Mais je m’opposerai toujours fermement aux injonctions autoritaires et racoleuses d’élus qui dressent leur population contre des paysans qui ont choisi de pratiquer une agriculture conventionnelle et raisonnée. "

Tel est le discours actuel de la FNSEA. On peut tout de même remarquer : Si l’on veut une production entièrement bio, alors la totalité de l’agriculture devra passer au bio. Qui peut croire que la vaporisation sur les arbres fruitiers ne puisse contaminer le champ voisin étiqueté " bio " ?

Quand vous trouvez ces molécules jusqu’en Antarctique, considérez le problème à l’échelon mondial : il n’y a aucune garantie d’avoir du vrai " bio ", la seule garantie étant qu’il n’y ait plus que le bio de légal. Pourtant, le naturel n’est pas non plus garanti comme étant sans risque, mais la Nature nous fournit suffisamment de substances à effet pesticide sans qu’on ait besoin de s’intoxiquer.

Sachant qu’il y’a aussi une révolution à faire concernant la perception de la prédation par les autres êtres vivants : nous ne sommes que l’une des composantes vivantes du système, il est donc légitime, - écologique -, que les autres prélèvent une part de ce que nous produisons puisque nous même prélevons une part de ce qu’ils produisent … C’est aussi le refus de la nécessité de l’équilibre écologique de ces rapports d’échanges qui nous conduit à notre perte.

Les arguments de la FNSEA sont faciles à retourner : on peut aisément imaginer une production entièrement bio, il n’y a guère que la FNSEA pour ne pas le voir ; comment peut-on imaginer qu’on puisse continuer à empoisonner les eaux sans être malade ? Qui peut imaginer qu’on puisse pérenniser une agriculture qui consomme 6 fois plus d’énergie (fossile) qu’elle n’en produit en calories alimentaires, qui a un bilan carbone aussi désastreux ?

Un détail : le glyphosate est peut-être un cancérigène probable mais c'est un neurotoxique et tératogène avéré. Croyez-vous que ce soit par hasard que le discours officiel ne mentionne que la cancérogénicité ?

La FNSEA pose aussi de vraies questions : les réponses ne doivent pas résider pas dans l'acceptation fataliste des pesticides, faisant litière de la santé publique, mais explorer une autre organisation de l'agriculture, lui conférant une place plus importante au sein de nos sociétés : accepter l'augmentation substantielle de la main-d’œuvre dans la production agricole, ce qui fera mécaniquement augmenter le prix des produits et donc le coût de l'alimentation ; assurer la protection de nos exploitations ; si les coûts augmentent, il faut protéger les agriculteurs français de la concurrence des pays recourant aux pesticides ; oui, il ne faut pas avoir peur de parler de protectionnisme, cela ne doit plus être un gros mot, dans l'Europe de la concurrence non libre et faussée ; se préparer à un certain exode urbain par l'inversion du mouvement pluriséculaire de l'exode rural.

Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID

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