Courrier des lecteurs de Michel Roullot

"La crise sanitaire, une opportunité de réforme ?"

  • Publié le 22 juin 2020 à 19:10

A cette question posée dans " Le Quotidien de La Réunion " du mardi 16 juin 2020 par un journaliste de l'édition dans la page consacrée à l'éducation, je serai tenté de répondre : oui.

En analysant plusieurs informations parues dans les médias concernant la mise en place du dispositif " Sport, Santé, Culture et Civisme " (2S2C) à l’école dans le cadre du déconfinement, on y relève quelques indices :

-     Dans " le Quotidien " daté du 30 mai 2020 , suite aux annonces du gouvernement concernant la ré-ouverture des écoles, collèges et lycées, dans la phase II du déconfinement, le recteur de l’Académie de La Réunion argumente sur la possibilité d’accueillir davantage d’élèves par le biais du programme " Sport,Santé, Culture, Civisme (2S2C) avec un encadrement périscolaire, sur le temps scolaire, précisant par ailleurs qu’une enveloppe financière conséquente est mise en place par l’Etat afin d’accompagner sa mise en œuvre (250 millions d’euros selon le Ministre Jean-Michel Blanquer).

-    Dans " Le Quotidien " du 16 juin le même recteur : " il convient de tirer un bilan rapide de cette expérience (comprendre le déroulement de la continuité pédagogique mise en place via internet) pour faire évoluer les pratiques pédagogiques en cours ". Et de proposer de revoir les rythmes et les temps scolaires : les enseignements théoriques le matin, et la pratique d’activités physiques, culturelles et artistiques l’après-midi. Et le recteur d’enfoncer le clou : " L’idée ça serait de faire du périscolaire sur le temps scolaire ".

Cette vision dualiste de l’enseignement, matières " nobles " le matin, matières secondaires voire marginales l’après-midi, sans trop caricaturer, a déjà fait l’objet de nombreux débats dans le milieu de l’éducation. Des tentatives d’externalisation, c'est-à-dire de mise à l’écart de certaines disciplines d’enseignement du service public d’éducation ont déjà  eues lieu dans l’histoire de l’évolution du système éducatif :

-    Fin 69-début 70, avec les tentatives successives d’introduire les animateurs sportifs à l’école et l’instauration des " carrefours sportifs " structure mixte école-club-municipalité ;

-    La circulaire du 9 septembre 71 qui permet de prendre en compte les heures en club d’un sport choisi pour les élèves des lycées ;

-    La circulaire du 1er juillet 72 qui instaure la mise en place des C.A.S. (Centre d’Animation Sportive) sorte de supermarché d’activités sportives en dehors des écoles, lycées et collèges, où le professeur ou  l’instituteur fera un bon contremaître assisté de 10 animateurs dotés d’un brevet de spécialité sportive.

-    La circulaire Bergelin en 1987 qui instaure les " Contrats Bleus " entre l’Etat et les collectivités locales dans le cadre de l’Aménagement des Rythmes Extra-Scolaires (ARES) ; suivront les Aménagements des Rythmes de Vie de l’Enfant (ARES) puis Contrats du Temps de l’Enfant (CATE) puis Contrats Ville-Enfant (CVE) et enfin Contrat d’Aménagement de Vie des Enfants et des Jeunes (CARVEJ) selon les Secrétaires d’Etat ou les Ministres qui se sont succédés jusqu’en 1990.

-    Plus récemment en 2008, le dispositif de l’accompagnement éducatif qui concerne les élèves de l’école élémentaire qui relèvent de l’éducation prioritaire et ceux des collèges, la pratique sportive se faisant en coolaboration avec l’USEP pour l’école élémentaire et avec les clubs sportifs locaux pour les élèves de collège.

A chaque fois  ces tentatives de mise en place de ces différents dispositifs sous des prétextes à priori louables se sont révélées être des voies jamais avouées et insidieuses pour faire des économies sur la formation des enseignants et leur recrutement.

Certaines disciplines, notamment culturelles et artistiques, en ont fait les frais et se sont retrouvées marginalisées, affaiblies et mises sous tutelle de collectivités diverses avec des intervenant extérieurs à l’Education Nationale. Seule l’Education Physique et Sportive (E.P.S.) a résisté non sans mal grâce à de fortes mobilisations des professeurs d’EPS unis derrière leur syndicat, le SNEP (Syndicat National de l’Education Physique).

Il est important dans cette perspective, de rappeler que la formation physique et sportive des jeunes de la maternelle au lycée, est avant tout une mission de service public. Et à ce titre doit être faite par des personnels formés et diplômés sous le contôle de l’Education Nationale.

Or ce projet de réforme propose de créer un " Conseil local des sports " dans chaque municipalité, qui mèlerait le secteur public (professeurs des écoles et professeurs d’EPS), associatif (entraîneurs sportifs des clubs) et privé (structures à but lucratif) pour une offre de pratique physique et sportive territoriale.

A chacun son rôle :

- les enseignants d’EPS et les professeurs des écoles ont un rôle portant à la fois sur le développement moteur des élèves, leur éducation et leur ouverture culturelle. Ils accueillent l’ensemble des enfants de tous horizons et ce à titre obligatoire et gratuit. Ils sont qualifiés pour cela à l’issue d’une formation longue (bac + 5) et enseignent des activités physiques (" savoir nager ", athlétisme, gymnastique, sports de combat, sports collectifs, etc…), artistiques (danse, arts du cirque, etc…), sportives par les rencontres organisées par l’USEP (Union Sportive de l’Enseignement Primaire) et l’UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire), et variées (individuelles, collectives, de pleine nature).

L’Etat en créant le corps des professeurs d’EPS et des professeurs des écoles assure à l’ensemble de la jeunesse un enseignement physique républicain gratuit s’inscrivant dans un projet éducatif soucieux non seulement d’une bonne formation, mais aussi soucieuse d’une gestion à la vie physique future dans un objectif de prévention de la santé.

- les entraîneurs de clubs, spécialisés dans un sport, ont un rôle social et culturel fondamental et s’inscrivent principalement dans une logique de performance basée sur le volontariat des pratiquants, à titre payant et ne concerne qu’une partie de la jeunesse. Le secteur sportif associatif au sein duquel pratique environ 40% des enfants et adolescents de 6 à 18 ans (selon une étude de 2017), assure une formation spécialisée et performante.

Les pratiques en EPS et en clubs sportifs sont donc complémentaires.

Cette réforme veut associer au service public d’éducation et au secteur associatif, des partenaires privés. L’objectif premier de ces structures marchandes vise la rentabilité. Elles ne sont pas tenues par des règles éthiques et éducatives comme dans les clubs sportifs ou en Education Physique.

Considérer uniquement le pratiquant comme un usager risque d’affecter les populations les plus fragiles économiquement et socialement car le caractère obligatoire et gratuit pour tous de cet enseignement pourrait être remis en question.

Renvoyer cet enseignement à des municipalités ou à des partenaires privés, c’est mettre en difficulté l’Egalité républicaine affichée. Que va-t-il se passer dans des municipalités aux idéaux " extrêmes " ? Quelles garanties aura-t-on sur les compétences des intervenants et leurs convictions ? L’Etat perdrait alors son rôle de régulateur et de contrôle de l’enseignement des A.P.S. à l’échelle nationale.

Ce projet est donc néfaste à l’équilibre du système français d’enseignement des activités physiques, sportives et culturelles. Il s’inscrit dans l’ " ubérisation " ambiante en niant les formations initiales des enseignants, les finalités et objectifs de chaque structure (EPS ; sport associatif ; privé) et en laissant cet enseignement physique fondamental à des acteurs dont le but n’est pas l’éducation physique et citoyenne mais le renforcement physique ou l’animation sportive.

L’activité physique n’est pas que du muscle, de la santé, elle véhicule aussi des valeurs que l’Etat se doit d’assurer par une égalité d’enseignement à l’échelle du territoire national.

Selon des informations récentes, la mise en place de ce dispositif serait maintenue malgré le retour de tous les élèves dans les classes : c’est donc bien la preuve que le gouvernement profite de cette crise sanitaire comme oportunité pour faire passer sa réforme.

Michel Roullot, professeur d’EPS à la retraite.
Librement inspiré par le texte de la pétition " Contre un affaiblissement de l’EPS à l’école " du 20 mai 2020. –Tribune Libération.
 

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