Le poste de dépense en carburant reste une des plus grandes inquiétudes des Réunionnais. Les transporteurs ont débuté les démarches visant à importer eux-mêmes leur gasoil pour esquiver les marges de la SRPP (société réunionnaise de produits pétroliers), seule société habilitée aujourd'hui à stocker le carburant. Une initiative qui ne convainc pas les professionnels du secteur mais qui interroge. Des compagnies pétrolières étrangères se sont déjà montrées intéressées pour s'installer dans l'île. Est-ce possible?
Esquiver le système actuel pour proposer aux consommateurs réunionnais un carburant moins cher : personne n'a jamais vraiment essayé. Aujourd'hui, avec l'idée de Joël Mongin, président du syndicat Lo Fer, d'importer du carburant pour les seuls transporteurs, l'horizon s'ouvre, même si finalement, rares sont ceux qui croient à son projet tel qu'il est présenté.Des compagnies pétrolières ont déjà montré de l'intérêt pour l'île mais ont abandonné, en butte à la réglementation complexe et aux normes draconiennes à respecter pour importer du carburant sur le territoire réunionnais. L'industriel Guito Narayanin en témoigne. En 2010, il a été approché par Indian Oil, déjà présente sur l'île Maurice mais qui cherchait un terrain de stockage de son carburant.
L'affaire ne se fait pas mais la compagnie pétrolière indienne témoigne de son intérêt pour s'implanter à la Réunion. Là encore, l'affaire ne se fait pas pour des questions réglementaires. Présent également aux Comores, Guito Narayanin est aussi approché par la compagnie américaine Galena qui souhaite s'installer dans l'archipel. Là encore, c'est un échec. Mais les appétits s'aiguisent.
Des compagnies sont intéressées, " encore faut-il qu'elles aient affaire à des interlocuteurs sérieux ", indique l'homme d'affaires. Selon lui, "il faudrait que toutes les associations des professionnels de la route, les associations de consommateurs et tous ceux qui de près ou de loin ont à faire avec cette filière puissent passer un deal avec des compagnies pétrolières sous la houlette des collectivités et de l'Etat ". Dans ce sens, la démarche de Joël Mongin d'importer du carburant dans le cadre d'une coopérative et au seul usage des transporteurs n'est, selon lui, pas la bonne : " ce travail doit être fait en concertation et pas sous la pression. Les méthodes employées ne sont pas les bonnes ".
En métropole, les grandes surfaces jouent un rôle clé dans l'offre de carburant à prix raisonnable. Pourtant, à la Réunion, les démarches semblent plus compliquées et personne n'envisage de passer à l'action. Aujourd'hui, aucune entreprise de grande distribution n'a de projet en ce sens indique Florence Rataud, porte-parole de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution.
La SRPP assure que le prix proposé aujourd'hui dans les stations services est le plus bas possible et que sa marge a été baissée de 15% en octobre 2010. Composé du coût d'achat du pétrole, de taxes et de marges (pour la SRPP et pour les stations services), ce prix est fixé par arrêté préfectoral. Selon Ahmed Abzizi, directeur général de la SRPP, le gazoil importé par sa société arrive à la Réunion aux alentours de 60 centimes le litre. S'y ajoutent donc les taxes et les différentes marges pour constituer un prix plafond. Ce prix ne constitue pas une limite et ceux qui pourraient proposer un prix moins cher ont tout le loisir de le faire.
Le levier se situe donc au niveau du prix d'achat. A ce propos, la baisse du mois de juin correspond plutôt à un rattrapage sur la sur facturation observée les mois précédents. Car finalement, il reste difficile, même pour la préfecture, de connaître précisément le prix d'achat du gasoil par les importateurs (SRPP, Engen Réunion, Lybia Oil Réunion et Total). Joël Mongin avance un prix de 25 centimes le litre, négocié avec le pétrolier japonnais Toyo et qui transiterait par Singapour. A demi mots, Ahmed Abzizi reste sceptique.
Si certains pays producteurs vendent parfois leur carburant à quelques centimes d'euros, ce type de carburant ne respecte pas les normes européennes fixées à 10 ppm par litre de gasoil (teneur en soufre). Et quand Joël Mongin annonce un tarif final qui s'établit à moins de 1 euros le litre, les 20 centimes de différence sur le prix du litre de gasoil " correspondent à la marge qui rémunère le pétrolier et le réseau de distribution. Si on veut porter atteinte à une profession, je n'ai rien à dire ", poursuit Ahmed Abzizi.
Même son de cloche du côté de Gérard Lebon, président du syndicat des stations service. Selon lui, instaurer la concurrence sonnerait le glas du système de distribution du carburant à la réunionnaise : avec des pompistes et des caissiers. Ce fût notamment le cas en métropole où les stations sont maintenant quasi entièrement automatisées. Or, selon lui, entre 1500 et 1800 personnes ont un emploi grâce à ce système. " Il faut choisir entre la paix sociale et le prix à la pompe ", explique le président du syndicat des stations services. Malgré tout, " si Monsieur Mongin arrive à faire entrer du gasoil moins cher, c'est qu'il y a un problème avec les pétroliers et il devrait en faire profiter tout le monde ".
Mais comment en faire profiter tout le monde sans faire jouer les règles du marché? Noor Olivier Bassand, président de la LCR (Les consommateurs réunionnais), ne croit pas à un système de coopérative et estime que " ce qui permettrait de faire baisser le prix des carburants, serait de faire jouer la concurrence. Mais il ne faut pas rêver, les prix du pétrole vont continuer d'augmenter ", comme le font les cours mondiaux. Et si pour le moment, aucun projet n'est déclaré, " il faut changer nos mentalités : utiliser moins notre voiture et nous mettre au covoiturage ". Et c'est l'usager qui devra s'adapter.
Marine Veith pour
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