Polémique sur l'économe souterraine

Le travail clandestin est "un amortisseur social"

  • Publié le 18 juin 2011 à 06:00

"Il y a certes un chômage très élevé à La Réunion (..), mais à côté de ça on a une économie souterraine très importante". C'est ce qu'a affirmé Valérie Bègue, l'ancienne miss France le 16 juin dernier sur le plateau de l'émission de France 2 Télé Matin consacrée à La Réunion. Cette déclaration a provoqué un véritable tollé sur l'île. "Gaffe", "bourde", "bêtise", "absurdité", "boulette", les mots n'ont pas manqué pour qualifier ses propos. D'autres n'y voient que l'expression de "la stricte vérité", de "la triste réalité". Dans une île frappée par un taux de chômage avoisinant les 30%, le travail clandestin est même qualifié "d'amortisseur social" par des représentants du monde économique et social. Enquête

Pour Philippe Fabing, responsable des études politiques et économiques à Ipsos, "Il n'y a pas davantage de travail clandestin à La Réunion qu'ailleurs". Avis partagé par Philippe Jean-Pierre, économiste et enseignant à l'université. "La Réunion souffre d'une image d'Épinal. Parce que son taux de chômage est important, on affirme que le travail informel y est beaucoup plus développé. C'est faux", explique l'économiste. Il poursuit : "il n'y a pas davantage de travail informel sur l'île que dans les magasins de tissus à Paris ou lors des vendanges dans les provinces métropolitaines".

Jean-Hugues Ratenon, président de l'Alliance des Réunionnais contre la pauvreté, déclare en substance la même chose : "l'économie souterraine existe dans toutes les sociétés". "On ne peut pas dire qu'elle est plus développée sur l'île qu'en Métropole. Dans le bâtiment, la restauration ou l'aide à la personne, les proportions sont plus ou moins les mêmes", commente-t-il.

Bernard Tillon, secrétaire général à la FRBTP (fédération réunionnaise du BTP), acquiesce. "Il n'y a pas plus de travailleurs du BTP non déclarés à La Réunion qu'en France métropolitaine", dit-il. Selon lui, La Réunion fait même figure de "modèle au niveau national" dans la lutte contre le travail clandestin dans le secteur du bâtiment. Cela, grâce à la mise en place des badges pour les salariés du BTP au début des années 2000. Le représentant de la FRBTP estime que ce badge a permis de "faire entrer dans la légalité 3 000 à 4 000 salariés entre 2002 et 2005".

Mais il reste difficile de quantifier le travail non déclaré à La Réunion puisque, par essence, il est caché. l'Insee s'est aventurée dans cette tâche en 2008 dans un dossier intitulé "aux frontières du chômage et de l'emploi". Les termes "travail au noir" et "économie souterraine" sont occultés au profit de la notion de "travail informel". L'étude est par ailleurs basée sur du déclaratif et les résultats ne sont donc pas vérifiables. Elle a tout de même le mérite de donner quelques éléments de réponse à la problématique du travail clandestin à La Réunion.

Dans cette étude dont les chiffres sont à prendre avec beaucoup de précaution, on apprend qu'en 2008, "12 500 personnes déclarent avoir eu recours au travail informel à La Réunion, ce qui représente 5,2% des personnes ayant un emploi. Pour la plupart, il ne s'agit pas de "petits boulots" mais d'une activité régulière à temps plein, qui se révèle transitoire vers l'accès à un emploi déclaré. Les travailleurs informels sont plutôt jeunes et peu diplômés et les hommes sont nettement majoritaires". Les services aux particuliers concentrent la moitié de ces emplois, devant le commerce (environ 18%) et le BTP (environ 10%). Au niveau national, pas de chiffre, mais l'Insee estime que cette économie représente 4% du Produit intérieur brut (PIB), soit près de 60 milliards d'euros.

Avec la grave crise économique qui secoue l'île depuis ces trois dernières années, Philippe Fabing pense que le nombre de travailleurs non déclaré a nécessairement augmenté. Du côté de l'Insee, on refuse de se prononcer, faute de chiffres. Mais on peut effectivement admettre que ce phénomène a pris de l'ampleur tant la crise a été désastreuse sur le plan de l'emploi. Dans le secteur du BTP, plus de 8 000 salariés ont été licenciés en 3 ans. "Si au début, ils pouvaient bénéficier des indemnités chômage, aujourd'hui beaucoup arrivent en fin de droit. Nul doute qu'ils vont se tourner vers le travail clandestin pour pouvoir gagner un peu d'argent, faute d'emploi", explique Bernard Tillon, peu surpris par cette tendance.

En effet, à La Réunion, sans doute plus qu'ailleurs du fait du taux de chômage important, le travail informel joue un rôle "d'amortisseur social" s'accordent à reconnaître l'ensemble des interlocuteurs. "Les autorités sont plutôt tolérantes face à cette pratique car elles savent que si elle n'existait pas, il y aurait une explosion sociale", conclut Jean-Hugues Ratenon.

Mounice Najafaly pour
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