D'après une étude de l'Insee

Le système bancaire réunionnais en difficulté depuis la crise

  • Publié le 4 juillet 2019 à 17:43
  • Actualisé le 4 juillet 2019 à 22:00

La crise financière de 2007 et la récession économique qui suivit ont fortement affecté l'activité bancaire à La Réunion. Elles marquent une rupture dans la distribution du crédit, auparavant très dynamique. Les banques locales ont dû faire face à une importante montée des risques de crédit, engendrant des pertes pour le secteur équivalentes au résultat net dégagé par l'ensemble du système bancaire entre 2004 et 2007. Néanmoins, le secteur bancaire réunionnais a plutôt bien traversé la crise, retrouvant rapidement son niveau de rentabilité antérieur.

Dix ans après, les banques de la place ont absorbé les déséquilibres liés à cette crise. Le produit net bancaire des banques (assimilable à un chiffre d’affaires) se trouve néanmoins sous la contrainte de faibles taux d’intérêt induits par la politique monétaire de la BCE, d’une règlementation bancaire plus stricte et d’une surveillance renforcée de leurs tarifs bancaires.

À l’image des banques nationales, le monde bancaire réunionnais connait de profondes mutations de son modèle de développement. Le système bancaire du département est bousculé par la mise en œuvre de plusieurs plans de restructuration dans des banques et la digitalisation croissante des activités bancaires.

La crise a fortement affecté l’activité bancaire à La Réunion

Lorsqu’en  2007  la  crise  financière  internationale  s’amorce (voir encadré), la croissance annuelle des encours de crédits est encore très forte à La Réunion. Elle concerne à la fois les collectivités  locales  (pour  le  financement  de  la  route  des Tamarins), les entreprises (les promotions immobilières sont en   plein   essor)   et   les   ménages   (la   consommation automobile  explose). 

En  effet,  dès  le  début  des  années 2000, les banques  réunionnaises  ont  fortement  accru  leurs concours  bancaires,  prêtant  largement au-delà  du  niveau d’épargne collectée. Mais  avec  la  crise,  les  banques  doivent  faire  face  à  un relèvement des taux  de  refinancement  interbancaires  et  à un  marché  monétaire  pratiquement  bloqué  en  2008-2009. Elles cherchent  à diminuer leurs principales expositions aux risques pour équilibrer leur bilan

Cette baisse de l’offre de crédits s’accompagne d’une baisse générale  de  la  demande  (baisse  de  la  consommation  des ménages,  baisse  des  investissements,  de  l’emploi,  etc.), quand  la  crise  financière  devient  une  crise  économique  qui touche de plein fouet La Réunion en 2009.

Ce retournement   conjoncturel  est   de   plus   accentué localement   par   la   fin   d’un  cycle  de grands   travaux (notamment  la route des Tamarins) et  par  les  incertitudes qui pèsent sur les dispositifs de défiscalisation (loi Girardin). Ces  incitations  fiscales  spécifiques  à  l’Outre-mer,   à destination  notamment  de  l’investissement  locatif avaient très fortement  dynamisé  la  construction  de  logements dans les  années  2000,  en  décalage parfois avec  les  besoins  du territoire (logements  inaccessibles  pour  une  grande  partie des  ménages). À partir  de  2009, la  loi  Lodeom  met  fin  au dispositif Girardin pour réorienter les aides publiques vers le logement social. La croissance    des    encours    de    crédits    chute    ainsi brutalement. 

Après  une  croissance  annuelle  de  11,3%  en moyenne  sur  2004-2008, l’évolution des encours de crédits tombe à 1,9% par an en moyenne sur la période 2009-2013 (figure 1). Les crédits à la consommation diminuent (-2,0% en moyenne sur 2009-2013 après +5,9% sur 2004-2008) et les crédits aux entreprises stagnent (0,1% en moyenne par an), alors qu’ils progressaient de 11,4% par an en moyenne les années auparavant.

Des prêteurs institutionnels se sont partiellement   substitués   aux   établissements locaux

A partir de 2009-2010,  une substitution partielle s’opère entre les concours  consentis par les prêteurs institutionnels et ceux des banques  locales.  On  désigne par  "prêteurs institutionnels" les trois grands établissements financiers français finançant majoritairement les collectivités publiques: la  Caisse des dépôts et consignations (CDC), l'Agence  française  de  développement  (AFD)  et  Dexia  (ex Crédit  Local  de  France).

Les  financements consentis par les prêteurs institutionnels sont majoritairement à destination du logement social et de l'investissement  des  collectivités locales. Au travers du lancement de marchés publics ou de la construction immobilière, ces financements ont servi de relais pour soutenir l'économie réunionnaise.

La  croissance de leurs  en cours de crédits s’établit ainsi en moyenne à +7,6% par an entre 2009 et 2013, contre 1,1% pour les banques et établissements locaux. Pour ces derniers, la reprise du crédit est plus tardive, les encours de crédits  ne  progressant de nouveau que courant 2015.

La part   des   prêteurs   institutionnels   dans   les   crédits   aux entreprises  passe  ainsi  de  33%  en  2008  à  49%  en  2017. Pour les collectivités    locales, la part des prêteurs institutionnels  augmente  aussi,  passant de 67% en 2008 à 76% en 2017.

De la crise financière à la crise économique

La  crise financière mondiale a débuté  avec  le retournement du marché immobilier américain en 2007 : les valeurs des obligations, dites subprimes, adossées à des crédits immobiliers de  mauvaise qualité s’effondrent.  En aout 2007, lorsque BNP Paribas annonce devoir geler trois de ses fonds monétaires composés  de tels produits à risques, la panique s’empare des marchés.

Le 9 aout 2007, la Banque centrale européenne (BCE), la Federal  Reserve (Fed)  et  la  Banque  centrale  du  Japon décident d’injecter plus de 330 milliards de dollars dans le circuit monétaire  mondial  dans  le  but  d’enrayer  la  panique,  mais  le coup d’envoi de la crise est donné.

Entre 2007 et 2009, c’est l’ensemble du système bancaire mondial qui est touché.  La majeure  partie  des  établissements  financiers afficheront des pertes  importantes  et  certains  disparaitront  comme Lehman Brothersen  en septembre 2008, dont la faillite devient emblématique de la crise bancaire. Face au risque de contagion, les banques cessent de se prêterles unes aux autres. Sur 2008-2009, le marché interbancaire est quasiment bloqué.

La restriction de crédit s’étend aux ménages et aux entreprises: après  une  période  où  les  crédits  coulaient  à  flots,  la  phase  de retournement   est   sévère. Le climat général de   grande incertitude  pèse  également sur le comportement des  acteurs économiques  (consommation,  embauches,  investissement),  ce qui accélère le retournement conjoncturel et plonge nombre de pays dans une crise économique majeure. Le  système  bancaire  réunionnais ne  connaitra  pas  de  faillites d’établissements bancaires, mais les conséquences économiques de  cette  crise  financière sur le  département n’en  seront  pas moins violentes.

La croissance du PIB en volume, qui se situait entre  4%  et  5  %  par  an  sur  les  années  antérieures  à  2008, chute à -4,0 % en 2009, mettant un frein brutal au rattrapage de l’économie réunionnaise (Cf.CEROM-10 ans après la crise,"la  crise  freine  le  rattrapage  économique  réunionnais", juillet 2019).

Dix  ans  après  la  crise, l’activité  de  crédit  a repris

Dix  ans  après  la  crise,  l’activité  de  crédit  a  retrouvé  un rythme dynamique. Avec la reprise économique, les besoins de financement privé sont de nouveau importants. En 2017, les  encours totaux de crédits à l’économie réunionnaise affichent la plus forte progression depuis la crise +6,4 % sur un  an.

Leur croissance  ralentit  en  2018  mais  reste  élevée (+5,0%  en  glissement  annuel  à  fin  décembre  2018).  La croissance   des   financements   est   tirée par les crédits consentis  aux ménages (+6,3 %  en 2018  après +8,8% en 2017),  avec un   dynamisme  notable des crédits à la consommation.

Simultanément, la croissance des encours de crédits  aux entreprises affiche une progression soutenue (+3,2%  en  2018  après  +4,1%  en  2017) portéepar  les crédits d’investissement. Depuis  2016,  ce ne sont plus les prêteurs institutionnels, mais les établissements locaux qui soutiennent la hausse des crédits

Sur  le  marché  de  l’épargne,  les  conséquences de la crise s’illustrent   par des choix de placements différents

Avec la crise financière, les placements sur les  marchés boursiers, en actions ou en fonds communs de placement se sont fortement dépréciés. Néanmoins, l’impact est faible à La   Réunion, du fait de leur moindre poids dans les placements totaux  des  épargnants réunionnais.

L’appétence des  ménages  et  des  entreprises  réunionnaises  pour  les placements à risque avait en effet significativement diminué à  la  suite  de  l’explosion  de  la  bulle  spéculative  sur  les valeurs technologiques en 2000. Ils représentaient ainsi 9% des placements en 2007 contre 13% fin 2000. En 2018, leur part ne s’élève plus qu’à 4% des placements totaux.

Au final, avec la crise économique, l’épargne totale collectée par  les  banques  réunionnaises  a  connu  un  frein  dans  sa progression,  mais  s’est  remise  à  croitre  régulièrement  dès 2010.  En  particulier,  la  collecte  de  dépôts à vue progresse très significativement depuis 2013, tandis que les placements  à  long  terme  (actions,  obligations,  OPCVM  et assurance-vie) ralentissent fortement à partir de 2014, parallèlement à la diminution  des rendements des actifs longs, notamment l’assurance-vie.

Entre  2002  et  2018, le poids des dépôts à vue dans  les placements   financiers   totaux   des   agents   économiques réunionnais progresse ainsi de près de 10 points, passant de 28% en 2002 à 45% fin 2018, au détriment essentiellement des placements indexés sur les taux de marché (dépôts à terme, certificat de dépôts négociables et OPCVM  monétaires), dont le poids est passé de 16% en 2002 à 3% en 2018.

La crise a mis en lumière les risques liés aux activités bancaires, notamment sur l’équilibre entre crédit et épargne

Dans l’euphorie  des années qui ont précédé la crise, les banques réunionnaises avaient fait croitre leurs engagements de crédit beaucoup plus rapidement  que  les ressources collectées auprès de leur clientèle.

Sur l’ensemble du  système bancaire réunionnais (incluant   les   sociétés financières  et  de  crédits), l’écart entre l’épargne et les crédits est ainsi  passé d’un  quasi-équilibre en 2002 à un déficit de près de 3 milliards d’euros en 2008.

Calculé net des placements non transformables (placements boursiers  ou  sous  forme  d’assurance-vie),  ce besoin  de refinancements interbancaires dépasse 6 milliards d’euros en 2008,  soit  près  de  60%  des  ressources  totales  collectées sur la place.

Ce déséquilibre   entre   crédit   et   épargne   a   accru   la vulnérabilité  des  établissements  bancaires  face  à  la  crise, lorsque  leurs  besoins  de  refinancement  interbancaire  ou auprès  de  leur  maison-mère  se sont  trouvés  fortement contraints. La mise en lumière de ce risque a ensuite poussé les  banques  à  accroitre  la  collecte  de  ressources  et  à diminuer les risques pour équilibrer leur bilan.

Dix  ans  après,  le  système  bancaire  local  est  quasiment revenu  à  la  situation  du  début  des  années 2000, avec  un déficit  de  collecte  de  l’ensemble  de  la  place  de  l’ordre  de 0,7 milliard d’euros. Néanmoins, avec 3,5 milliards d’euros de placements non transformables, la place présente encore un  besoin  net  de  refinancement interbancaire  d’environ 4milliards d’euros en 2018.

Les   banques   locales ont fait face àune importante montée des risques pendant la crise

Conséquence directe de la crise, l’économie réunionnaise a connu de  nombreux  sinistres,  tout  particulièrement dans le secteur de la promotion  immobilière et certains  grands groupes. Les encours de crédits douteux des banques et établissements de crédit de la place ont ainsi doublé, passant de 600 millions d’euros en 2007 à 1,2 milliard d’euros en 2012. 

En  2018,  les  créances  douteuses représentent  encore un encours d’environ  900  millions d’euros, malgré les  passages  en perte et les cessions à des cabinets  de  recouvrement.  En pourcentage  des  encours totaux  de  crédits  consentis, la place financière est ainsi passée d’un  taux  de  4,6%  de  créances  douteuses  en décembre 2007 à un maximum de 8,0% en juin 2012. 

Aujourd’hui, les banques et les établissements financiers installés dans le département (hors prêteurs institutionnels) présentent un taux de créances douteuses de l’ordre de 5%, soit le niveau d’avant-crise.

L'impact de la crise sur la rentabilité du système bancaire

Une rentabilité retrouvée,  mais un cout de la crise important pour le secteur bancaire

Même au plus fort de la crise financière,  malgré la forte augmentation du risque, le système bancaire réunionnais n’a pas enregistré de résultats  négatifs. Certes, en 2009,  la Banque de La Réunion enregistre une perte de 58,3 millions d’euros, épisode qui est en partie à l’origine de sa fusion-absorption par la Caisse d’épargne Provence Alpes Corse (Cepac),  mais le système bancaire dans son ensemble dégage un résultat net global agrégé  de 22,5 millions d’euros cette année-là. 

Dès  2012,  il retrouve  un  niveau  de rentabilité globale égal ou supérieur à celui des années 2006-2008,  dégageant  un  résultat  net  après  impôts de +150 millions d’euros chaque année. Le cout de la crise financière pour les banques a néanmoins été important. Les pertes du secteur ou "couts du risque" (essentiellement  la  somme  des  provisions  nettes  et  des créances irrécupérables constatées) s’élèvent en cumulé sur 2008-2012,  à près de  500 millions d’euros,  tous établissements  locaux  confondus. 

Ce montant, qu’on peut associer au cout de la crise financière pour le système bancaire réunionnais, est équivalent à la somme des résultats nets dégagés par l’ensemble du système bancaire entre 2004 et 2007.

Après une période avant-crise vigoureuse,  le produit net bancaire stagne depuis 2011

En forte augmentation jusqu’ici,  le produit net bancaire (PNB) dégagé par l’ensemble du système bancaire local (assimilable pour les établissements  bancaires  à  leur  chiffre d’affaires) ne progresse plus depuis 2011. Sa principale composante, la marge nette sur intérêts se trouve en  effet  contrainte  d’une  part, par la baisse  des  taux d’intérêt  induite par la politique monétaire accommodante de la  BCE pour relancer l’économie à partir de 2011, et d’autre part en raison du fort ralentissement de la demande de crédit observé après la crise.

Parallèlement, les banques réunionnaises font l’objet d’une surveillance renforcée de leurs tarifs, qui se traduit par une diminution de ces tarifs bancaires notamment avec la Loi Lurel 1. Aujourd’hui, les composantes du PNB en progression sont les commissions perçues sur  la commercialisation  des produits d’assurance-vie, automobile et habitat, sur lesquels les banques cherchent à gagner des parts de marché.

Du fait de cette stagnation  du  PNB,  qui  se  conjugue  à  des couts fixes et des charges de personnel qui ont continué de croitre, la  part  des  frais  généraux dans  le PNB  (appelée coefficient  net  d’exploitation  bancaire) s’est accrue  ces dernières  années.  De  50%  en  2007,  elle  atteint 62%  en  2017, illustrant un  effritement  de  la  rentabilité  du secteur

Un monde bancaire en mutation

Les  années 2010  sont  marquées  par  la  digitalisation  de l’économie et la montée  des contraintes  règlementaires  et prudentielles.  Ces  transformations  concernent  également  le réseau bancaire réunionnais.

Un paysage bancaire réunionnais qui évolue

Entre 1998 et 2008, le nombre d’établissements financiers installés à La Réunion a augmenté (de 20 à23), permettant un accroissement de l’offre bancaire, dans un contexte de rattrapage de la bancarisation  du  territoire  vis-à-vis  de  la métropole   et   une   intensification   de   la   concurrence.   Il diminue  légèrement  depuis  (20 établissements  en  2018), avec   notamment   les   disparitions   du   Crédit   maritime   à La Réunion  (fusionné  avec  la  BRED)  et  de  la  Banque  de  La Réunion (fusionnée avec la CEPAC).

La fusion intervenue en 2016 entre la CEPAC et la Banque de La Réunion a modifié le niveau de concentration du marché bancaire réunionnais. Mesuré par l’indice Herfindhal-Hirschmann2(IHH), l’état de la concurrence se dégrade fortement en 2017. Sur le marché de la collecte de ressources, cet indice dépasse notamment le seuil de risques en matière de concentration.

D’autres mouvements impactent le système bancaire du département, en particulier celui de digitalisation croissante des activités bancaires et  la  mise  en œuvre de plans  de restructuration dans certaines banques.

Depuis 2013, le nombre d’agences bancaires implantées à La Réunion  ne  progresse  plus.  En  2018,  il se réduit, suivant  ainsi  le  mouvement  engagé  depuis  déjà  plusieurs années  en  France  métropolitaine.  Jusqu’en  2014,  les effectifs  employés  par  le  système  bancaire  réunionnais  ont régulièrement progressé, jusqu’à la mise en œuvre de plans de  restructuration  dans  deux  établissements  bancaires  du département. En 2018, les effectifs employés ont commencé à décroitre à La Réunion.

Le durcissement de la règlementation bancaire

La  crise financière  de 2007-2009 a fait prendre conscience aux autorités  monétaires de certaines insuffisances de la règlementation prudentielle de l’époque. La règlementation dite de Bâle II,  qui venait d’être négociée  et  mise  en application au  moment de la crise financière, juste avant 2007, a ainsi été remplacée par Bâle III.

Cette évolution de la règlementation bancaire a essentiellement pris la forme d’un renforcement des exigences en fonds propres demandées  aux  établissements de crédit (sous la forme de " coussins " supplémentaires de capital nécessaires), et l’obligation de respect d’un certain nombre de ratios dans le cadre de Bâle III.

Ces réformes ont conduit les établissements bancaires du département à réduire leurs limites individuelles d’exposition aux risques sur les plus grosses  signatures, et à partager le risque  avec d’autres établissements. Elles ont néanmoins peu impacté la rentabilité des banques de La Réunion du fait d’un niveau de fonds propres déjà élevés pour les deux banques ayant leur siège  localement (la  Banque française commerciale océan Indien -BFCOI et la Caisse régionale de Crédit Agricole). De la même manière, les portefeuilles de titres d’État souscrits par ces  établissements  pour  respecter  les  nouveaux  ratios de liquidité ont été peu impactants au final.

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1 Commentaires
gueénec
gueénec
4 ans

Les banque perdent de l'argent stop je ne peut pas rire j' ai les lèvres gercées je pleure