Lettre ouverte du maire du Port aux dirigeants de l'IRT

"Quand la colère te gagne"

  • Publié le 4 décembre 2010 à 09:00

Après le Cran (conseil représentatif des associations noires), Ankraké (une association pour la promotion de la culture réunionnaise), la ligue des droits de l'Homme et le maire de Saint-Denis,Gilbert Annette, c'est au tour du maire du Port, Jean-Yves Langenier de protester contre la phrase "les Cafres du Chaudron et du Port sont agressifs". Émanent d'un touriste, ce jugement est extrait d'une enquête commandée par l'IRT (Île de La Réunion tourisme) et visant à déterminer les points de satisfaction ou d'insatisfaction des touristes à l'issue de leur séjour à La Réunion. L'étude avait été publiée dans son intégralité sur le site de l'IRT. Depuis, ce document a été retiré du portail web. Nous publions ci-après la lettre du maire du Port.

"Dans notre contexte historique, social et culturel à l'équilibre fragile, il s'avère que les responsables du tourisme, dûment conseillés par un bureau d'études " spécialisé " en communication, veulent donner de la société réunionnaise l'image d'une carte postale illusoire et doudouïste. Mais avec ce modèle de " vivre ensemble " idéalisé et susceptible de se muer en produit touristique attractif, il y a eu triaz dann kafé.

Si l'on se réfère au rapport commis par ce bureau d'études, validé par les responsables de l'IRT, mis en ligne sur Internet et retiré dès que le vent a tourné, mieux vaut effectivement ne pas être jeune, cafre, habitant du Port ou du Chaudron si l'on veut figurer en bonne place dans l'élite des " bons Réunionnais " dignes d'accueillir " comme il se doit " les " touristes en peine de c?ur " (paroles de Jacqueline Farreyrol) et leur manne. C'est en tout cas ce qui ressort de ce rapport dont l'objectif était d'évaluer la satisfaction des touristes, rapport commandé par l'IRT, structure présidée depuis peu par Jacqueline Farreyrol, plus prompte à dénigrer la langue réunionnaise qu'à s'insurger contre les attaques dont sont victimes ses compatriotes.

La ville du Port et ses habitants, mais aussi ceux du quartier du Chaudron, ont ainsi été insultés, désignés publiquement comme " agressifs ", mis hors-jeu dans la triste farandole qui s'organise autour du gâteau touristique. Il s'agit bien là de stigmatisation.

Que ce rapport ait été ainsi rédigé est une chose. Mais a-t-il été lu par les commanditaires de l'IRT avant d'être rendu public ? Quelle que soit la réponse à cette question, il n'échappera à personne qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine aurait occasionné moins de dégâts. S'ils l'ont lu et mis en ligne en toute connaissance de cause, leur responsabilité est entière. S'ils ne l'ont pas lu, il faudra ajouter à leur entière responsabilité, une légèreté insoutenable.
L'IRT use donc de l'injure raciste comme d'un outil permettant d'affûter sa politique promotionnelle conformément aux attentes présumées de " visiteurs extérieurs " auxquels on livre une image de " mon île " dont on a pris soin d'exciser " les lourdes pages de l'histoire ".

Ce cercle d'initiés prétend promouvoir La Réunion en distinguant les " bons Réunionnais " et en accusant " les jeunes, les cafres, les habitants du Port et du Chaudron " mais ils ne font que stigmatiser " mon île " dans son intégrité et se rendent coupables d'une atteinte caractérisée à la dignité de tous les Réunionnais. Car, attaquer une des composantes de la société réunionnaise, stigmatiser un groupe par rapport à son origine, au lieu où il habite ou en fonction de son âge, désigner publiquement une ville ou un quartier, c'est s'en prendre à tous les Réunionnais, c'est s'en prendre à La Réunion toute entière.

Il n'est pas inutile de rappeler aux responsables de l'IRT quelques paroles d'une célèbre chanson qui dit : " Mon île, tu n'es pas l'île enchanteresse que l'on fait miroiter dans la presse aux riches des riches pays, (...) tu as réuni dans ton c?ur des gens de toutes les couleurs comme un défi au monde entier (...) ".
Cette même chanson nous offre la possibilité de trouver un premier titre pour cette lettre ouverte : " Quand la colère te gagne ", mais on lui préfèrera les paroles d'une autre chanson d'un Ti Frère mauricien qui disait : "Koman la kolèr pran moin"".

Jean-Yves Langenier
Maire du Port
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