Situation sanitaire de l'élevage bovin à La Réunion

Les élus demandent des comptes, les vaches continuent de crever

  • Publié le 6 décembre 2014 à 08:20

Ce vendredi 5 décembre 2014, à l'occasion de l'assemblée plénière de la Chambre d'agriculture vouée au vote du budget 2015 de l'institution, alors que l'on venait d'apprendre que dans la semaine 25 vaches des hauts de l'Ouest étaient mortes pour avoir, paraît-il, mangé de la terre et des galets, les élus ont adopté une motion historique portant sur la situation sanitaire de l'élevage bovin à La Réunion. Historique, car la chambre consulaire prend aujourd'hui fait et cause pour les éleveurs de bovins dont le cheptel est depuis plus de 10 ans victime d'une litanie de maladies qui met en péril la viabilité sanitaire et économique de la filière.

Le texte de la motion, fatalement bien documenté, fait état depuis 2004, d'une stagnation voire d'une baisse des productions, de lait et de viande, parallèle à la perte de 20% du cheptel, soit 7000 têtes et 60% des éleveurs. Dans le seul secteur laitier, le nombre d'éleveurs adhérents à la coopérative Sicalait est tombé de 151 en 2000, à 73 en 2013… une hécatombe ou presque, plus de 50% des éleveurs disparus ou ruinés, voire les deux. Des chiffres qui ne disent rien de la réalité humaine et sociale qui découle de ces vies saccagées, de ces carrières détruites, de ces familles désespérées.

Les élus de la Chambre d'agriculture, considérant que l'évidente surmortalité qui sévit dans le cheptel réunionnais met en cause la viabilité économique des élevages, s'inquiètent de l'avenir d'une filière supposée doubler ses capacités de production à moyen terme. Ils estiment qu'immobilisme et attentisme, attitudes adoptées pendant une décennie par les pouvoirs publics et les acteurs industriels de la filière, sont aujourd'hui insupportables.

De fait, ils demandent que soit réactivée la procédure d'autopsie des ruminants, abandonnée depuis des lustres, de façon à disposer d'une vision réelle sur les causes de la surmortalité endémique des ruminants réunionnais. Dans la même optique, ils désirent que soit lancé un plan départemental d'étude épidémiologique qui permette de définir les conditions de régulation des maladies du bétail. Ils souhaitent encore que soit mis en œuvre, à destination des éleveurs survivants, un programme de formation technique sur les aspects sanitaires de la conduite des élevages. Enfin, ils entendent qu'une réflexion soit conduite sur le modèle d'élevage qui doit être pratiqué à La Réunion.

On ne sait pas, selon lui, mais on saurait quand même…

Olivier Degenmann, numéro deux de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de La Réunion, a manifesté quelque crainte à l'idée de voir appliquer les préconisation de cette motion, par peur du scandale public, de la désaffection des consommateurs dégoûtés par la découverte d'une telle quantité de maladies du bétail, et peut-être aussi par décalage d'avec la réalité du terrain - il ne faudrait pas surestimer le risque sanitaire face à des maladies très administrativement encadrées.

Quand bien même, s'agissant de la leucose bovine enzootique, l'administration et les cadres de la filière se sont - sauvagement - dispensés d'appliquer les réglementations nationales et européennes, par simple courrier dérogatoire, au mépris du droit commun sans doute, et du bon sens à coup sûr. Car selon M. Degenmann, on ne sait pas exactement de quoi il retourne, faute de disposer de données précises depuis 2007, époque à laquelle le cheptel laitier était touché à 70%, le cheptel à viande l'étant à 30%.

On ne sait pas, selon lui, mais on saurait quand même que la leucose serait, au niveau économique, un paramètre "faible soit négligeable, pas très important, sans quoi on n'aurait pas demandé à déroger au contexte national…" On est là dans l'antithèse absolue du principe de précaution, pire dans l'illégalité tranquille.

Or donc, en 2015 la DAAF de La Réunion va demander à mettre en place un protocole pour évaluer la situation sanitaire du cheptel, de façon à disposer d'une photographie de la situation réelle de 2015 et non pas rester sur des suppositions qui dataient de 2007. Après quoi, on verra. Il est vrai que la fièvre catarrhale ovine est présente à hauteur de 24 des 25 sérotypes… "Il faut proportionner l'action au regard du risque et avoir conscience de l'impact et de la faisabilité ou pas. S'agissant de la leucose, si l'on applique strictement la règle nationale, c'est l'abattage dans les six mois de l'animal positif. Si la prévalence est à 70% dans l'élevage laitier, dans les six mois, c'est l'abattage de 70% du cheptel. C'est la mort de la filière laitière…"

La filière doit donc faire sa révolution

L'attitude de M. Degenmann n'a pas franchement agréé les élus de la Chambre d'agriculture qui ne le lui ont pas fait dire. Tout un chacun, dans la profession, a bien compris que si la leucose bovine enzootique n'est pas à elle seule responsable de la surmortalité du cheptel et des avortements, sa prévalence fait le lit de nombre d'autres affections - chlamydiose, fièvre Q, IBR, FCO, entre autres - qui ruinent la santé des bêtes et la santé financière des éleveurs, sans parler de la confiance des consommateurs réunionnais, lesquels n'apprécient que fort modérément de manger de la vache malade. La filière doit donc faire sa révolution et les éleveurs reprendre en main leur destin.

Reste qu'il leur faudra se montrer très persuasifs, car à la question posée dernièrement par Mme Bello, à l'Assemblée, "sur l’inquiétante surmortalité enregistrée dans les cheptels laitiers de La Réunion", Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, qui n'a peut-être jamais vu une vache de sa vie, répondait : "Je peux comprendre l’inquiétude des exploitants quant à la viabilité sur l’île de ce secteur qui, pourtant, permettait de couvrir les besoins alimentaires d’une grande partie des Réunionnais. Parmi les difficultés dont vous avez parlé figure la leucose bovine, maladie très contagieuse mais qui, en effet, est sans incidence sur l’homme. Plusieurs études et expertises scientifiques ont été menées (…) elles ont conclu que la surmortalité observée n’est pas uniquement imputable à cette maladie et ont recommandé un meilleur encadrement technique des éleveurs dans le domaine des bonnes pratiques d’élevage. Par conséquent cette maladie, dont la prévalence est mal connue à La Réunion, n’est visiblement pas à l’origine de l’ensemble des problèmes sanitaires que connaissent les éleveurs…"

Fort heureusement, le directeur général de l’alimentation, Patrick Dehaumont, s'est rendu à La Réunion le 6 novembre dernier, et il a pu, de façon relativement impromptue, être directement informé de la réalité d'une situation que l'on s'était ingénié à étouffer pendant dix ans.

Philippe Le Claire pour www.ipreunion.com

guest
3 Commentaires
reynal
reynal
9 ans

J'invite les pouvoirs publics à prendre en consideration la lutte contre les Stomoxes (Stomoxys nigra et calcitrans : mouches boeuf) qui representent le principal fléau sanitaire de l'ïle. Elles sont les vecteurs des ces maladies souvent pour la plupart mortelles. De plus, il faut que la DSV nous informe pourquoi elle a mis un terme au contrôle sanitaire des taureaux destinés à la monte publique qui est obligatopire en Metropole. Les investigations biologiques et sérologiques contre ces maladies transmissibles sont sollicitées pour obtenir l'agrement.

Capitaine Had Hoc
Capitaine Had Hoc
9 ans

Ben, à La Réunion c'est surtout la filière lait qui est dans un état catastrophique, enfin, les éleveurs, parce que le système semble très bien tourner sans eux, ce qui est pour le moins paradoxal. Avec moitié moins de producteurs, on a quasiment la même quantité de lait qui sort des chiffres péi. A croire que les vaches de Sicachose produisent spontanément du lait en poudre. ces mecs là ont inventé l'import-substitution à l'envers...

jl Hoarau
jl Hoarau
9 ans

consommation d'eau, soja OGM, cereales importées, surfaces agricoles mobilisées importantes, le bilan ecologique de la viande rouge est mauvais en plus des mefaits pour la santé. Alors autant laisser tomber cette filiere pour produire des protéines animales mieux et de meilleure qualité.