Le secteur horticole en difficulté

Les plantes et les fleurs péi menacées par l'importation

  • Publié le 9 août 2019 à 08:23
  • Actualisé le 9 août 2019 à 08:24

Le salon des plantes et des fleurs a commencé ce mercredi 7 août et se déroule jusqu'au dimanche 11 août 2019 à la Halle des manifestations du Port. Flore et Halle est plus que jamais un événement capital pour les horticulteurs de La Réunion. Aujourd'hui, la filière souffre d'une forte concurrence à cause de l'importation, mais aussi de méthodes déloyales pendant les grands événements "fleuris" de l'année tels que la fête des mères. En 10 ans, le secteur a perdu une centaine d'horticulteurs. (Photos d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Au milieu des fleurs de toutes les couleurs et toutes les senteurs, des plantes aromatiques et bien sûr aquatiques - le thème de cette année tournant autour des bassins et des carpes koï - il y a ces exposants. Le coeur du salon. Plus de 130 stands avec l'espoir de tirer, à la fin de l'événement, un beau chiffre de ventes.

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Flore et Halle, poumon de l'économie fleurie

Julie Avril est horticultrice dans le Sud. Alors monter au Port pour présenter ses multiples plantes, c'est très important pour elle. Sans pouvoir estimer avec précision le poids du salon dans son chiffre d'affaires annuel, elle avoue qu'elle ne louperait l'événement "pour rien au monde". "Ça nous permet aussi de toucher une clientèle différente", ajoute-t-elle.

A quelques pas d'elle, les exposants s'affairent, font sentir les fleurs, présentent leurs dernières nouveautés, comme Yannick Lauret. Son stand est rempli d'orchidées, sa spécialité, mais il n'hésite pas à couper notre interview pour proposer un prix plus attractif à une dame semblant hésiter sur une plante étrange : "la Crassula, c'est à 20 euros... allez, on peut aller jusqu'à 18 euros ! Sachez que c'est une plante qui n'est pas très courante" Peu de temps après l'ouverture du salon, c'était déjà l'heure de négocier.

Comme tout salon, il y a des réductions, des offres en tout genre... jusqu'à instaurer une nouveauté sur l'ensemble de l'événement cette année. Pour tous ceux qui achètent pour plus de 50 euros de fleurs ou de plantes, le ticket d'entrée - à 3 euros - est remboursé. Plutôt rentable comme affaire. Une offre qui n'est pas là par hasard, le message est clair : sauvons les plantes péi.

Le label "Plant'Péi" fait d'ailleurs partie du paysage durant ces 5 jours de salon. Il met en avant le développement social et économique des horticulteurs péi en valorisant les végétaux cultivés dans l’exploitation, et permet de montrer "un engagement de qualité, une culture responsable, des végétaux et des fleurs cultivées et adaptées à notre territoire, des plants fruités sains et des végétaux vigoureux et homogènes, une fraîcheur maîtrisée pour les fleurs coupées et une identification claire et précise des produits sur le marché", détaille l'UHPR (Union des horticulteurs et pépiniéristes de La Réunion).

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Horticulteurs oubliés ?

Sur 10 ans, la filière horticole réunionnaise a perdu une centaine de professionnels. Patrice Fages, président de l'UHPR - syndicat qui comprend aujourd'hui près de 70% de la production de l'île - paraît presque désolé de nous dresser un bilan aussi peu enviable. "On était 350 environ il y a 10 ans, et aujourd'hui on estime être 220, pour à peu près 1000 emplois directs." Et un chiffre d'affaires de 45 millions d'euros tout de même.

Réuni aux côtés des représentants de la Chambre d'Agriculture et de la Chambre des métiers lors de la présentation officielle de Flore et Halle, il n'avait pas hésité à exprimer son ressenti : "Nous horticulteurs, estimons que jusqu'ici nous avons été un peu oubliés. Mais aujourd'hui on sent un vrai engouement, une dynamique nouvelle, et ça nous rassure."

Un reproche qu'a bien entendu le vice-président de la Chambre d'Agriculture Bruno Robert : "On défend une agriculture multifonctionnelle et la filière horticole en fait entièrement partie." Il se défend d'avoir "oublié" les horticulteurs. "Les fleurs, on le sait bien, sont d'autant plus importantes qu'elles sont vecteur de lien social. On en retrouve dans toutes les fêtes, tous les événements importants dans la vie d'une personne."

La menace de l'importation

Si les horticulteurs sont moins nombreux aujourd'hui, c'est surtout lié à la forte concurrence liée aux produits importés. "En déclin depuis une trentaine d'années, les importations ne cessent de progresser de manière générale notamment dans le secteur des fleurs coupées" communique la DAAF (Direction de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt de La Réunion). "On a tout ici pour bien faire. Donc il faut se prendre en main, et réclamer des aides pour développer les serres, pour pouvoir employer... c'est un gros dossier", estime Patrice Fages.

Jean-Luc Caro, directeur de la Halle des manifestations, qui abrite Flore et Halle jusqu'à ce dimanche 11 août, n'a d'ailleurs pas hésité à le rappeler lors de l'inauguration du salon. D'abord sur le ton de l'humour, puis une seconde fois plus sérieusement, il a profité de la venue d'élus de taille - vice-président de la Région, députée, représentants de la Chambre d'Agriculture, du Port et du TCO - pour lancer un appel clair aux subventions.

L'importation représente environ un quart du volume total de ventes. "On ne s'oppose pas à l'importation, mais à une mauvaise importation", nuance Patrice Fages. Comprendre par là : une importation qui écraserait le marché local, ou pourrait même avoir un impact en terme de santé.

En effet, la DAAF mène un travail minutieux et important afin de suivre les plantes importées pour vérifier qu'elles ne transportent pas avec elles de virus sur l'île. "On travaille sur du vivant, il ne faut pas l'oublier", précise Bruno Robert.

Pour lutter contre le poids de la concurrence, deux choses. Il faut commencer par "rappeler aux gens qu'acheter des fleurs plus cher, parfois ça vaut le coup pour préserver des emplois", explique le vice-président de la Chambre d'Agriculture. "Et c'est l'innovation qui nous sauvera, cela permet de nous distinguer." D'où le thème novateur cette année : plantes aquatiques, et carpes koï pour égayer un bassin.

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Concurrence déloyale

Mais il n'y a pas que l'importation directe, il y a aussi les "méthodes déloyales de ceux qui vendent des fleurs dans la rue sans être déclarés" précise Patrice Fages. Ce fut particulièrement le cas pendant la Fête des mères. "C'était encore plus évident cette année : de nombreuses personnes vendent des plantes devant chez eux, et viennent concurrencer les fleuristes qui eux déclarent leurs charges et payent leurs taxes."

Chaque année c'est le même problème et les professionnels du secteur s'agacent. "On ne veut pas non plus tomber dans la répression mais il faut respecter le travail des horticulteurs", ajoute Patrice Fages. "Cela se fait au détriment de la production réunionnaise et donc de l'économie locale." D'autant plus que les plantes vendues "sauvagement" sont bien souvent importées. Elles viennent principalement d'Asie, notamment de Thaïlande, mais aussi des Pays-Bas ou du Kenya. "Déjà, le bilan carbone n'est pas top, mais en plus ce sont souvent des productions qu'on a à La Réunion." Pour certaines fleurs comme les orchidées, difficiles à produire sur l'île, cela semble compliqué de se passer de l'importation. Mais pour d'autres ce n'est pas nécessaire.

"C'est simple, pour lutter contre cette forme de concurrence déloyale, il faut déjà sensibiliser les gens et leur apprendre la vraie réglementation", ajoute Patrice Fages. "Il faut faire passer un message clair : vendre des plantes sur le bord de la route, ça casse le marché."

mm/www.ipreunion.com

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