Le pourquoi du comment

Eruptions volcaniques : on répond aux questions que vous vous posez tout le temps

  • Publié le 16 février 2020 à 03:00

Bientôt une semaine que la première éruption de l'année 2020 a commencé et les mêmes questions reviennent dans toutes les bouches. Combien de temps va durer l'éruption ? Peut-prévoir où la lave va sortir ? Comment expliquer que certaines éruptions soient beaucoup plus intenses que d'autres ? C'est quoi le "trémor volcanique" ? Avec les équipes de l'Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise (OVPF), nous avons fait le point sur ces interrogations que vous vous posez régulièrement. (Photos d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Imaz Press : Comment fonctionne une crise sismique et pourquoi ces crises varient-elles autant d'une éruption à une autre ?

Aline Peltier, directrice de l'OVPF : Si une crise sismique est plus ou moins longue, c'est surtout lié à la distance que va prendre le magma avant de sortir en surface. En août par exemple, la crise a duré plus de 9 heures et le magma est sorti très loin, à 5 km de la chambre magmatique. Pour cette éruption en cours, la crise a été courte car le milieu où ça se déroule est déjà très fracturé. Le magma suit le même chemin qu'en février et juin dernier.

Nicolas Villeneuve, chercheur à l'OVPF : Il est vrai que la durée de la crise sismique peut aller de 20 minutes, la plus courte que l'on connaisse, à plusieurs jours. On sait par exemple que si la crise sismique est courte ça va se passer très proche du sommet.

La sismicité c'est en fait le magma qui bouge, qui cherche à monter. On parle de "fracturation" du sol, avec des mouvements qui entraînent des vibrations. Quand vous mettez un coup de couteau dans un mille-feuilles, vous cassez les différentes feuilles et l'intrusion du couteau pousse ce qu'il y a à l'intérieur de la pâtisserie, ça fait bouger tout le mille-feuilles. C'est pareil avec le volcan.

Quand on observe des signaux sismiques répétés, plusieurs par minute, alors la sismologue de l'observatoire atteste que c'est le début officiel de la crise sismique.

Aline Peltier : Concernant le nombre de séismes c'est comme pour la durée de la crise, si milieu est déjà ouvert, le magma n'a pas besoin de se frayer un chemin. Quand il est nécessaire de créer un nouveau chemin à travers la roche, là on peut avoir beaucoup de séismes.

Imaz Press : Une crise sismique signifie-t-elle systématiquement qu'une éruption peut avoir lieu ?

N. V. : Le magma va monter et il peut que dans cette ascension, le magma s'arrête. Une crise sismique ne s'accompagne pas toujours d'une éruption. Tout est une question d'énergie il arrive que ce ne soit pas suffisant.

Imaz Press : D'où part le magma ?

N. V. : Ça peut être très profond, jusqu'à 15 à 17 km sous la surface (voir type Chismy, ci-dessous). Dans ce cas c'est du magma de réalimentation, qui vient nourrir des poches. Celui-ci réside entre 8 à 15 km de profondeur. Quand il sort il occasionne des éruptions plus puissantes, les fontaines sont plus grandes et plus épaisses, mais c'est très rare. Sinon le magma réside à environ 2 km sous la surface, au niveau de la mer.

Et entre 8 et 2 km de profondeur, que se passe-t-il ? Ça occupe pas mal de chercheurs. Le magma transite comme sur une route et va normalement alimenter la petite poche.

Imaz Press : Quelle est la différence entre sismicité et trémor ?

A. P. : Ce sont deux signaux sismiques, mais différents. Un séisme c'est la rupture d'une roche, très rapide, c'est vraiment un tremblement de terre. Le trémor c'est une vibration continue, qui symbolise l'arrivée du magma en surface.

N. V. : Vous l'avez vu, à chaque éruption on attend d'avoir une confirmation visuelle. C'est tout simplement parce que l'annonce du trémor ne suffit pas, il peut s'agir uniquement de gaz.

Imaz Press : Peut-on prévoir où va avoir lieu exactement l'éruption ?

A. P. : Le lieu exact au centimètre près, non. Mais on sait à peu près quel secteur va être impacté. Dès le début de la crise pour l'éruption en cours, on savait que ce serait le flanc est. Des outils existent via données satellites, mais ce n'est que tous les 4 à 6 jours, et pas du temps réel. Il faudrait un satellite stationnaire au-dessus du volcan, mais ça semble difficile !

Donc on peut prévoir quelques heures avant pour le secteur, mais pas 3 mois avant bien sûr. Tout simplement parce que tant que le magma n'a pas quitté la chambre magmatique, on ne peut pas deviner quelle direction il prendre.

N. V. : On observe en tout cas, à l'échelle de l'édifice, des axes récurrents que l'on appelle des "rift zones". C'est toujours plus simple d'emprunter un chemin déjà tracé par une ancienne coulée.

On dénombre trois zones d'ascension préférentielles : l'une nord-est, du sommet jusqu'à Piton Sainte-Rose, une deuxième sud-est du sommet vers Saint-Philippe, et la dernière appelée nord 120 (pour 120 degrés au nord, ndlr) qui traverse le sommet, s'étend sur les pentes et fait la liaison entre le Piton de la Fournaise et le Piton des Neiges.

Imaz Press : Une éruption peut-elle avoir lieu hors enclos ?

A. P. : Techniquement ça peut toujours sortir en-dehors de l'enclos. Des précédentes éruptions ont commencé par des fissures à l'intérieur de l'enclos, et se sont étendues vers l'extérieur. Ce risque il existe. Et des fissures à l'extérieur ça a déjà eu lieu. Dans ce cas les éruptions sont beaucoup plus importantes en termes de volume.

N. V. : Le rôle même de l'observatoire c'est protéger la population et surveiller ça. Il y a en effet deux types d'éruption hors enclos. Soit le type 77, très connu, avec une fissure à l'intérieur qui se propage. Ça s'est passé en 1986 et 1998 par exemple.

Et puis il y a le type Chismy avec un magma qui vient de très profond et monte vite en surface. Dans ce cas on a de grandes fontaines de lave et de grands écoulements. Dans ce cas oui ce type d'éruption peut avoir lieu n'importe où sur le massif. Mais la dernière en date remonte à environ 1000 ans…

Imaz Press : Peut-on anticiper la durée de l'éruption ?

A. P. : Une éruption stable comme celle que nous avons maintenant, en deux secondes ça peut s'arrêter. Dans ce cas on parle de déflation et le conduit se ferme d'un coup. Mais ça peut reprendre s'il reste encore du magma dans le réservoir. Après, que cela se fasse en une seule éruption qui dure, ou en plusieurs éruptions rapprochées, tout est possible ça on ne peut pas savoir.

N. V. : Imaginez une voiture, s'il n'y a pas assez carburant, ça ne marche plus. Certaines éruptions se "rechargent" comme en 1998 : un magma plus récent et plus profond a fait en entrée, au bout de 3 semaines d'éruption.

Aujourd'hui on tend à faire de l'analyse statistique, des probabilités avec des arbres de décision. Pour l'instant on ne peut pas répondre, mais on espère un jour pouvoir dire : dans 80% des cas ça se passe comme ça donc voilà ce qui peut arriver.

Imaz Press Réunion : Comment le volcan peut-il évoluer dans le temps ?

N. V. :  Ce qui est sûr c'est que sur les 5.000 dernières années - le volcan a 530.000 ans - il s'est déplacé depuis l'ouest vers l'est. Avant le centre était au milieu de la Plaine des sables. Évidemment on parle d'échelles de temps extrêmement longues.

A la fin de chaque fin de cycle, le volcan s'effondre un peu sur lui-même. Désormais, il est verrouillé à l'ouest par le Piton des Neiges, il est poussé vers l'est. Si on empile des classeurs, ça finit par glisser. Eh bien c'est pareil, à force de rajouter de la pente et de la pression, le volcan glisse vers l'est et donc vers la mer.

A. P. :  Dans les siècles à venir, il faut s'attendre à de nouvelles situations d'effondrement. Dans plusieurs millions d'années le Piton de la Fournaise sera éteint, l'île toute entière se sera déplacée vers l'est, on sera à la place de Maurice. Et une autre île sera à notre place avec un nouveau volcan.

mm / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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1 Commentaires
Mayaqui, depuis son mobile
Mayaqui, depuis son mobile
4 ans

Merci beaucoup pour ces précisions que l'on n a pas toujours en tête ou que l on oublie ..... ?ª
En complément , J aurais aimé avoir une carte géographique du volcan jusqu aux remparts , pour bien situer les chemins empruntés par la lave. (Souvent on voit l éruption du pas de belle combe , ou de la route, mais on n a pas la totalité du site )