Olivier Véran et Eric Woerth élus grâce à une fraude au vote électronique ? Une tricherie impossible

  • Publié le 23 juin 2022 à 16:08

Des députés de la majorité présidentielle élus grâce à une fraude au vote électronique ? Depuis dimanche et l'annonce des résultats, plusieurs tweets jettent le doute sur les victoires du ministre délégué chargé des relations avec le Parlement Olivier Véran et du député Ensemble Eric Woerth.Sauf qu'aucune des deux circonscriptions remportées par les deux hommes politiques n'est équipée en machine à voter, comme l'ont indiqué les préfectures de l'Oise et d'Isère, départements où ont été élus les deux hommes politiques.

Alors que les machines à voter suscitent une certaine défiance chez certains électeurs depuis plusieurs mois, une rumeur de fraude électorale est réapparue au cours du dernier scrutin des législatives tenu dimanche 19 juin.

Dès le 20 juin, de nombreux internautes ont en effet soupçonné les députés Olivier Véran et Eric Woerth d'avoir bénéficié d'une éventuelle fraude au vote électronique pour remporter l'élection. "Dans les circos (sic) où Woerth et Véran paraissaient battus à 75% du dépouillement ils repassent subitement en tête et élus après le comptages des machines à voter...sans commentaires", a déclaré un internaute sur Twitter, dont les propos ont été partagés plusieurs milliers de fois.

"Il me semble qu'il y avait des machines à voter dans 2 ou 3 villes en Isère ou Véran a été 'élu'", a aussi affirmé un autre internaute sur Twitter, à propos de l'ancien ministre de la Santé, élu dans la 1re circonscription de l'Isère. Mêmes propos concernant Eric Woerth, pour sa part devenu député dans la 4e circonscription de l'Oise.

Le député de l'Isère Olivier Véran (LREM) ( AFP / Thomas COEX)
Le député de l'Oise Eric Woerth (LREM) ( AFP / Geoffroy VAN DER HASSELT)

 

 

Aucune machine à voter dans les circonscriptions des deux députés

Il est toutefois impossible que ces deux députés aient bénéficié d'une telle fraude, pour une raison simple : les deux circonscriptions dans lesquelles Olivier Véran et Eric Woerth ont été élus ne sont pas équipées en machines à voter.

En France, seules 63 communes sont dotées de machines à voter, et aucune ne se situe dans la 1re circonscription de l'Isère ou dans la 4e circonscription de l'Oise. Contactées par l'AFP le 22 juin, les préfectures de l'Oise et de l'Isère ont confirmé que ces circonscriptions ne disposaient d'aucune machine à voter.

"Aucune irrégularité n'a été relevée en Isère, dans aucune circonscription", a par ailleurs souligné la préfecture de l'Isère auprès de l'AFP. Même son de cloche du côté de la préfecture de l'Oise, qui n'a eu à faire à aucun recours concernant les deux scrutins des législatives.

Dans chacun de ces deux départements, une seule ville est dotée de machines à voter : Voiron dans la 9e circonscription de l'Isère et Noyon dans la 6e circonscription de l'Oise. Si la majorité présidentielle l'a emporté dans la circonscription de Voiron, c'est le candidat du Rassemblement national Michel Guiniot qui s'est imposé dans la 6e circonscription de l'Oise.

Autorisé depuis 1969, le vote électronique en France est désormais très limité géographiquement depuis 2008. A la suite de "controverses" liées à l'utilisation des appareils de vote électronique en 2007, un moratoire avait restreint "l'utilisation des machines à voter aux seules communes qui avaient opté pour cette modalité à cette date".

Depuis cette date, seules les communes équipées de machines à voter avant 2008 sont désormais autorisées à en utiliser. Pour les scrutins de 2022, 63 communes françaises sont ainsi équipées de ces machines à voter, pour un total "1,3 million d'électeurs", comme l'a déclaré le Ministère de l'Intérieur à l'AFP en avril dernier. A l'époque, le ministère de l'Intérieur avait aussi fourni la liste complète de ces communes (à retrouver ci-dessous).

Des soupçons de fraude au vote électronique déjà présents lors de la présidentielle

Ce n'est pas la première fois que des soupçons de fraude au vote électronique entourent les résultats du scrutin. Lors de l'élection présidentielle d'avril dernier, la victoire d'Emmanuel Macron avait été entachée par des accusations concernant ces machines à voter.

Certains internautes avaient notamment affirmé que l'ensemble de ces machines avaient donné le Président de la République gagnant. Des affirmations depuis vérifiées par l'AFP, qui avait calculé que son adversaire Marine Le Pen avait été gagnante dans 9 des 63 communes dotées de ces machines.

Le Conseil constitutionnel, l'institution chargée de recenser les résultats et d'examiner les réclamations, avait pour sa part écarté tout soupçon de fraude aux machines électorales lors de la présidentielle en avril. L'institution avait par ailleurs souligné le "bon fonctionnement des opérations électorales" et n'avait relevé aucun recours ou infraction lié aux machines à voter pour les deux tours de l'élection.

Pour les législatives, l'instance a fait état au 23 juin 2022 d'une dizaine de recours, concernant notamment la mauvaise tenue du scrutin. Un exemple parmi d'autres : dans l'Ariège, un délégué départemental du RN, éliminé au premier tour à huit voix près, a déposé un recours pour cause de bulletins inversés avec une candidate RN d'une autre circonscription.

Une machine à voter lors du 2nd tour de l'élection présidentielle en France ( AFP / Sameer Al-DOUMY)

Le vote électronique : stop ou encore ?

Plus de dix ans après le moratoire sur le vote électronique, le débat sur l'utilité des machines à voter demeure. En février 2021, Le Monde a publié la tribune d'un collectif de 38 élus, appelant le gouvernement à étendre le recours au vote électronique face aux inquiétudes posées par le Covid-19. La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) avait par la suite aussi recommandé, dans un avis publié en novembre 2021, la levée du moratoire de 2008, afin de "faciliter la participation [des électeurs] aux processus électoraux".

Néanmoins, certains spécialistes ont fait part de leur inquiétude face à l'utilisation de ce type de vote. Plusieurs chercheurs, comme Chantal Enguehard, maîtresse de conférences au département d'informatique à l'université de Nantes, ont notamment critiqué un processus jugé trop opaque.

"Avec le vote à l'urne, on sait que le bulletin qui sera compté le soir sera celui qui a été mis dans l'urne transparente dans la journée, puisque celle-ci aura été constamment surveillée. Avec les ordinateurs de vote, rien ne permet de prouver que les choix des électeurs n'ont pas été modifiés lors des traitements informatiques", avait-t-elle regretté auprès de l'AFP en mai 2021.

Véronique Cortier, chercheuse au Loria (Laboratoire lorrain de Recherche en Informatique et ses Applications) estimait pour sa part ne pas voir "l'intérêt les machines à voter en France : on perd en sécurité, et on gagne en pas grand chose", dans un entretien à l'AFP le 25 mars dernier.

"Aujourd'hui, les gens votent de moins en moins. Si on veut qu'ils votent plus, il faut les inciter à venir participer à l'organisation des élections et à contrôler le processus électoral pour que les gens aient confiance dans les résultats", estimait Mme Enguehard.

Le coût des machines à voter, leur vétusté, ainsi que la défiance grandissante vis-à-vis du processus électoral ont aussi poussé certaines municipalités, à l'image de celle de Castanet-Tolosan (Haute-Garonne), à abandonner cette méthode pour revenir au dépouillement classique en 2022.

Evolution du nombre de sièges obtenus par les principales forces politiques à l'Assemblée entre 2012 et 2022 ( AFP / Valentin RAKOVSKY, Laurence SAUBADU)


Nathan GALLO, AFP France
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