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Australie: 16 ans après, Riz Wakil se sent toujours un réfugié

  • Publié le 21 septembre 2015 à 10:25

Riz Wakil a débarqué il y a seize ans d'un bateau de fortune en Australie et refait sa vie.

Mais cet Afghan qui a tout connu des galères des réfugiés ressent encore aujourd'hui le traumatisme du déracinement.
Aujourd'hui, ce père de deux enfants a "réussi" : à 34 ans, il gère désormais plusieurs affaires dans la région de Sydney et est conscient de ce qu'il doit à son pays d'accueil.
Mais au moment où les télévisions retransmettent en boucle le calvaire de milliers de Syriens et d'Irakiens, Riz Wakil assure que le temps n'efface jamais le sentiment d'être un réfugié.
"Les difficultés du passé, la souffrance de ma famille en Afghanistan, tout cela ne disparaît jamais", a-t-il expliqué à l'AFP à Auburn, une banlieue métissée de l'ouest de Sydney.
"Dès que je vois ou lis quelque chose lié à cela - que cela soit en Afghanistan, au Sri Lanka, en Syrie, en Irak ou dans n'importe quel autre coin du monde où des gens sont obligés de partir et de prendre la décision que mes parents ont prise pour moi -, cela me glace le sang."
Face à l'émotion mondiale suscitée par le sort des migrants du Proche-Orient, l'Australie a annoncé qu'elle accueillerait à titre exceptionnel 12.000 Syriens et Irakiens.
Critiquée pour la violence de sa politique de refoulement des bateaux de migrants, l'Australie est dans le même temps saluée par l'ONU pour son programme très efficace d'accueil et d'intégration des réfugiés acceptés au titre de l'asile.
Riz Wakil était, lui, un clandestin. Il a tout connu des multiples défis auxquels sont confrontés les migrants d'aujourd'hui.
A l'époque, c'est sa famille qui a obligé ce membre de la minorité hazara à partir de la province de Ghazni, dans le centre de l'Afghanistan, déjà à cause des taliban.
Il a posé le pied sur l'île-continent au terme de 11 jours d'une traversée éprouvante sur un bateau qui transportait 76 autres migrants.
- 'Retrouver une stabilité' -
Son premier titre de séjour, il l'a obtenu après huit mois de rétention administrative. Un titre temporaire qui le faisait se sentir comme "un citoyen de second rang".
En plus de devoir de faire le deuil de son pays d'origine, ce rural a dû tout réapprendre, à commencer par appuyer sur le bouton du feu rouge pour traverser la route.
"La priorité pour les gens est de retrouver une forme de stabilité, et trouver un toit est bien sûr essentiel à cet égard", explique à l'AFP Tim O'Connor, du Conseil des réfugiés en Australie (RCOA).
"Mais au-delà, il y a les choses plus délicates", poursuit-il. "L'expérience de la guerre, les traumatismes potentiels associés à des décès dans l'entourage ou plus simplement le choc d'avoir dû renoncer à ce qu'on a bâti en une vie... Tout cela est très dur à digérer."
Au-delà des besoins matériels ou psychologiques, il y a l'apprentissage de la langue du pays d'accueil. En Australie, une bonne maîtrise de l'anglais peut être décisive pour une intégration rapide.
"La plupart des réfugiés qui arrivent sont très talentueux (...) mais n'ont pas nécessairement de papiers ou de diplômes le prouvant et, en raison de leur âge, de la barrière de la langue, peuvent avoir du mal à trouver un emploi dans leur domaine", observe Yamamah Agha, responsable de Settlement Services International, une organisation qui vient chaque année en aide à des milliers de réfugiés dans l'Etat de Nouvelle-Galles du Sud.
"C'est souvent un des grands défis pour les réfugiés de changer de métier, et souvent une grande frustration de devoir accepter un métier moins qualifié".
Mais pour Riz Wakil, trouver sa place dans la société est aussi une gageure.
Après la foulée des attentats du 11-Septembre, dit-il, certains Afghans préféraient se présenter dans la rue comme des Sud-Américains.
S'il n'a pas été en mesure de faire venir sa famille élargie, qui vit aujourd'hui au Pakistan, Riz Wakil ne regrette pas une seconde d'avoir quitté l'Afghanistan.
"Tous les matins, je dis à ma femme que nous n'avions jamais rêvé en Afghanistan ou au Pakistan de la vie que nos enfants vivent aujourd'hui."

Par Veronique DUPONT avec Elodie CUZIN à Washington - © 2015 AFP
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