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Pour les Palestiniens, cuisiner c'est déjà résister

  • Publié le 23 septembre 2015 à 11:24

"Certains font la guerre, mais il y a de plus belles façons de défendre le pays". Dans la Vieille ville de Naplouse où elle a vécu les pires heures de l'Intifada, Fatima cuisine les courgettes farcies et la purée de pois chiche pour soutenir la cause palestinienne.

"Le conflit sur la culture, sur notre présence, sur notre existence, c'est là la racine du conflit avec les Israéliens", explique cette Palestinienne dans la petite cuisine aménagée dans sa Bait al-Karama, "La maison de la dignité" en arabe, un centre qu'elle a fondé pour les femmes à Naplouse en Cisjordanie occupée.
En 2008, Fatima Kadumy a "une idée folle": utiliser la cuisine traditionnelle pour sensibiliser le monde à la cause d'un peuple qui attend son Etat depuis près de 70 ans. Le succès est au rendez-vous. Plus de 1.200 visiteurs venus "de Chine, d'Australie, de Scandinavie, d'Allemagne, des Etats-Unis et d'ailleurs" sont passés depuis par sa cuisine.
Ici, les étrangers mettent la main à la pâte. Rex et sa femme, venus de Washington, apprennent à réaliser une spécialité de Naplouse, les courges et les feuilles farcies. L'exercice est difficile et tout le monde n'a pas la dextérité de Nidal, le chef du jour, mère de famille timide à la ville mais meneuse de troupe dans la cuisine.
Rex n'en retient qu'une chose: "l'hospitalité" et le bonheur de "partager le quotidien des habitants" de Naplouse, ville symbole de l'Intifada, le soulèvement qui a ensanglanté Israël et les Territoires occupés de 2000 à 2005.

- 'Derrière la cuisine, la résistance' -

"Malgré l'occupation, on aime recevoir, on aime cuisiner, se régaler", glisse Nidal, qui explique ensuite à ses marmitons comment évider les courges à farcir.
Avant de se mettre en cuisine, les visiteurs ont suivi Fatima dans les échoppes de la Vieille ville. Certaines y sont "installées depuis un siècle", souligne Fatima, mère de famille élancée, lunettes de soleil élégamment disposées sur sa tête recouverte d'un voile bleu et or.
Ici, on achète "uniquement des produits palestiniens", dit la fondatrice de Bait al-Karama qui boycotte les produits israéliens inondant le marché palestinien.
"Derrière la cuisine, il y a la politique et la résistance. On montre notre ville et notre vie à travers nos yeux, les étrangers pourront ensuite juger les Palestiniens de l'intérieur", dit-elle à l'AFP. "Et autour d'un repas, on discute toujours plus calmement, plus facilement".
Bait al-Karama a rejoint "Slow Food", le mouvement international qui, par opposition au "fast food" (la restauration rapide), promeut une cuisine traditionnelle et locale. Elle amène tous les deux ans ses petits plats au Salon du goût de Turin, rendez-vous du "Slow Food". "Trop longtemps, nous avons laissé les Israéliens parler. Maintenant, il y a le stand Israël mais aussi le stand Palestine", se félicite Fatima.
Palestiniens et Israéliens ne se disputent pas seulement la terre, mais aussi la paternité de nombreux plats. C'est le cas de l'emblématique houmous, la purée de pois chiche, qui ne se mange jamais sans falafels, les petits beignets de pois chiche frits.
Le maître du houmous dans la Vieille ville de Jérusalem, c'est Abou Choukri. Ce petit restaurant est une étape obligée, pas un guide ne l'oublie et les circuits touristiques prévoient tout autant les visites des lieux saints qu'un détour chez Abou Choukri.

- La paix par le houmous ? -

Yasser Taha a hérité de ce lieu ouvert par son père en 1948, l'année de la création d'Israël. "Les Israéliens ont appris à faire le houmous avec nous. En venant nous occuper, ils ont découvert ce qu'était le houmous", explique ce Palestinien de 67 ans qui s'affaire en cuisine. "Et maintenant ils disent qu'ils l'ont inventé", dit-il en souriant.
Plusieurs Israéliens sont attablés au milieu des touristes. Eldad, 52 ans, est venu avec sa fille. "Regardez nos assiettes: vides !", dit-il, après avoir avalé la dernière bouchée de pain trempée dans la purée de pois chiche, un dégradé d'ocre et de jaune parsemé du vert des feuilles de persil et du rouge des graines de sumac moulues. "On adore venir ici, c'est délicieux !".
Neta, qui a fait une demi-heure de route pour manger dans la Vieille ville, a de plus grandes ambitions pour le houmous. "Tout le monde aime le houmous. C'est quelque chose que nous avons en commun, ça pourrait nous réunir et apporter la paix", veut croire cette Israélienne, alors que les négociations de paix sont allées d'échec en échec.
Une vision qui est cependant loin d'être partagée par tous. Si les clients des échoppes du quartier juif peuvent envoyer de leurs vacances hiérosolymites des clichés de falafels surmontés du drapeau israélien, de l'autre côté en revanche, c'est le drapeau vert, noir, rouge et blanc des Palestiniens qui flotte au-dessus du plat traditionnel...

AFP

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