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Un nouvel opéra plonge dans le quotidien des trafiquants d'êtres humains

  • Publié le 9 janvier 2016 à 12:05

Les victimes du trafic d'êtres humains sont rarement entendues, contraintes au silence, mais un nouvel opéra a décidé de s'intéresser à un autre groupe de personnes que l'on entend encore moins s'exprimer: les trafiquants.


L'opéra "Angel's Bone", dont la première représentation a eu lieu mercredi, en ouverture du festival "Prototype", rencontre annuelle d'opéra expérimental à New York, cherche à comprendre ce qui peut bien pousser des gens comme les autres à perpétrer ces crimes qui frappent entre 600.000 et 800.000 personnes chaque année.
Cet opéra en un acte s'ouvre sur un couple d'Américains moyens, "M. et Mme X.E.", en train de discuter des difficultés que rencontre leur mariage et de leurs problèmes financiers croissants.
Deux anges arrivent par hasard dans leur demeure et y sont chaleureusement accueillis. Mais le couple comprend vite qu'il lui sera facile de réduire en esclavage les nouveaux arrivants et le vocabulaire du trafic d'êtres humains se retrouve peu à peu mêlé aux métaphores religieuses.
C'est la mezzo-soprano Abigail Fischer qui interprète, tout en vivacité, le rôle de Mme X.E., cette femme qui passe de l'ennui au désir affamé puis à la vengeance belliqueuse.
Du Yun, la compositrice chinoise de cette ?uvre, a imaginé ce concept après s'être renseignée sur la traite d'êtres humains. Elle explique avoir été fascinée par le fonctionnement de ce trafic et par l'affection que peuvent éprouver certaines victimes envers leurs ravisseurs.
"Cette question est plus complexe qu'il n'y paraît", explique-t-elle.
L'opéra est joué dans un contexte politique particulier: l'Europe connait un afflux massif de réfugiés et l'immigration est de plus en plus critiquée dans les pays occidentaux.
Du Yun, qui a émigré légalement aux Etats-Unis pour faire de la musique, se dit choquée de voir à quel point la difficulté des migrants à commencer une nouvelle vie n'est pas comprise dans les pays d'accueil.
"Quand les gens parlent des migrants, ils imaginent des choses terribles, ils ne veulent pas les laisser entrer: +il faut construire un mur+ ou +ils n'ont qu'à avoir des papiers+", dit-elle.
Avec cet opéra poignant, elle espère montrer que même les habitants des pays occidentaux peuvent parfois céder à la tentation et commettre des actes qu'ils n'auraient jamais imaginé faire.
"En tant qu'artiste, c'est la part d'ombre des êtres humains qui m'intéresse", explique-t-elle.
- Du rock à l'opéra -
La relation entre les anges et leurs ravisseurs se traduit dans la conception scénographique, qui montre les anges, plongés dans un bain ensanglanté, au fond de la scène alors que le couple compte l'argent amassé grâce à leur nouvelle activité de proxénètes.
La scène où l'ange femme, attachée, se fait violer alors qu'elle raconte les pulsions frénétiques de son agresseur reste le moment le plus marquant de "Angel's Bone".
C'est Jennifer Charles, chanteuse du groupe de rock alternatif Elysian Fields, qui joue l'ange femme. A la différence des trois autres chanteurs, qui viennent du milieu de l'opéra, elle utilise son expérience pour lancer des hurlements que l'on croirait sortis d'un morceau de punk.
Un rythme électronique assourdissant vient par moment accompagner l'orchestre de chambre et le choeur de l'église Trinity Church de Wall Street.
"Je n'ai pas volontairement cherché à rendre l'opéra plus accessible, mais pour moi, si vous voulez parler d'une histoire réaliste, il faut trouver le ton adéquat", explique Du Yun.
Pour Royce Vavrek, l'auteur canadien du livret de l'opéra, le couple que forment M. et Mme X.E. représente une facette de l'Amérique.
"Ils montrent que, parfois, la rêve américain peut provoquer la cupidité", explique-t-il.
Royce Vavrek est l'auteur des livrets de plusieurs célèbres opéras modernes, notamment "Dog Days", qui raconte la vie d'une famille de la classe ouvrière dans une Amérique dévastée par la guerre.
La compositrice Du Yun espère que son oeuvre interpellera plus les spectateurs qu'un simple article de presse et pourra ainsi créer le débat.
"L'art ne résout pas les problèmes. Mais au moins, il offre un lieu où l'on peut parler de ces problèmes", explique-t-elle.

Par Shaun TANDON - © 2016 AFP
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