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Ferveur chrétienne sur la route des primaires républicaines

  • Publié le 26 février 2016 à 20:59

L'Agence France-Presse diffuse chaque semaine un blog multimédia consacré aux échos et coulisses de l'élection présidentielle américaine.

Voici la cinquième livraison de la série, réalisée en Caroline du Sud, où s'est déroulée la première primaire républicaine du sud des Etats-Unis.
"Si mon peuple sur qui est invoqué mon nom s'humilie, prie...", a lancé Ted Cruz, l'un des candidats à l'investiture républicaine pour devenir président des Etats-Unis. Dans la salle, ils sont des douzaines, peut-être même des centaines à finir, de mémoire, le verset 14 du chapitre 7 du Second Livre des Chroniques dans l'Ancien Testament: "... et cherche ma face, et s'il se détourne de ses mauvaises voies, - je l'exaucerai des cieux, je lui pardonnerai son péché, et je guérirai son pays".
Bienvenue dans la Bible Belt! Dans cette "ceinture de la Bible", qui enserre un gros quart sud-est des Etats-Unis, le protestantisme rigoriste domine et la religion chrétienne est omniprésente dans tous les aspects de la vie quotidienne.
C'est une source permanente d'étonnement, y compris pour moi qui suis pourtant américain. Un Américain un peu atypique il est vrai. J'ai vécu 20 ans à l'étranger et je ne suis pas chrétien.
Pendant ce meeting à Anderson, entre l'appel à la prière et les "amens" qui ponctuaient le message du candidat, dont le ton et la voix font naturellement penser à un prêche, j'avais bien plus l'impression d'être dans un lieu de culte un dimanche que dans une réunion politique.
Si la foi chrétienne est toujours présente aux Etats-Unis -- chaque billet vert porte la devise "In God we trust" ("Nous avons confiance en Dieu") et tout discours officiel se termine immanquablement par un retentissant "God bless America!" ("Que Dieu bénisse l'Amérique!") --, elle joue un rôle encore plus important dans la campagne électorale, en raison du poids des électeurs évangéliques, dans cette première phase des primaires pour l'investiture républicaine.
- Homme de Dieu -
Lors d'un périple d'une semaine à travers la Caroline du Sud, j'ai vu bon nombre de réunions politiques commencer par une prière.
Presque trois électeurs républicains sur quatre dans cet Etat se présentent comme évangéliques et ils n'hésitent pas à reconnaître que la foi d'un candidat joue un rôle important dans leur décision de le soutenir ou pas.
"Il est un homme de Dieu et ça c'est très important", me confie Chance Corbin, 21 ans, premier dans la queue de gens qui sont venus écouter Ted Cruz, le sénateur du Texas, lors d'un meeting à Charleston.
Cruz a lancé sa campagne pour tenter de décrocher l'investiture du grand amphithéâtre de Liberty University. Ce n'est pas un hasard. Liberty s'autoproclame "plus grande université chrétienne du monde" et se veut le fer de lance d'un évangélisme pur et dur, auquel elle forme une jeune élite militante.
Le passage -- obligé -- de Donald Trump dans ce temple du conservatisme protestant ne s'était pas très bien passé. Si le flamboyant milliardaire domine la course à l'investiture pour le moment, il semble moins bien maîtriser les Ecritures, bien qu'il affirme que la Bible est son livre préféré. Il s'est emmêlé les pinceaux en évoquant la Deuxième épître aux Corinthiens et les électeurs n'ont pas tous pardonné.
"Quand il a parlé de 'Corinthiens 2', j'ai évidemment tout de suite compris qu'il n'avait jamais lu la Bible ou même seulement jeté un coup d'oeil", fulmine Chance Corbin.
"C'est ma foi qui influe le plus sur ma vie", lance le jeune sénateur de Floride, Marco Rubio, à une foule qui acquiesce bruyamment.
Le cas de Rubio est un peu particulier: il est catholique, mais il a compris que ce qui compte en Caroline du Sud, c'est de porter haut et fort sa foi chrétienne plus que la dénomination à laquelle on appartient.
"Nos valeurs judéo-chrétiennes nous demandent de nous entraider. Je suis convaincu que ceux qui ignorent ce précepte ne comprennent rien à ce pays", a-t-il lancé lors d'un meeting.
Et le message porte. "Cela pourrait bien changer les choses", reconnaît Susan Brant, une évangélique qui s'est jointe sans l'ombre d'une hésitation à l'ovation debout, venue saluer la déclaration du candidat.
Elle était persuadée de voter pour Cruz, comme elle un évangélique, mais après la profession de foi --littéralement -- de Rubio, elle a changé d'avis.
Cette omniprésence de la religion chrétienne fait tiquer bon nombre de mes collègues de la presse internationale, en particulier européenne, peu habitués à des démonstrations aussi publiques des convictions religieuses.
Et ces collègues ont été gâtés au-delà de tout ce qu'ils pouvaient espérer.
- 'La Bible et le fusil' -
J'étais au balcon d'un théâtre de l'Université de Charleston, juste avant la primaire, quand Phil Robertson, l'improbable patriarche d'une famille dont les appeaux à canard lui ont rapporté millions de dollars et émission de téléréalité, est apparu.
Longue barbe, vêtements camouflage-étang- automnal et Bible sous le bras, Robertson était venu apporter son soutien à Ted Cruz.
"Je suis pour Cruz, parce que...vous voyez ça dans ma main ?", a lancé le fervent chrétien, à la ville comme à l'écran, et de poursuivre: "Des Bibles et des armes nous ont menés jusque là et des Bibles et des armes nous permettront d'y rester. Et cet homme, il a les deux !". La salle applaudit à tout rompre et pour un bon moment.
Moi-même un peu interloqué par le spectacle, j'ai jeté un oeil vers certains de mes collègues. Leurs yeux écarquillés trahissaient leur étonnement, pour dire le moins.
"Votez avec votre foi", ordonne Robertson, "il n'y a pas d'autre voie".
Mais ma semaine en Caroline du Sud aurait été somme toute assez banale pour un reporter habitué à couvrir les campagnes électorales américaines si, pour ajouter au surréalisme religieux ambiant, il n'y avait eu la querelle entre Donald Trump et... le pape.
François, après une visite au Mexique qui, si Trump devait l'emporter, devra payer pour construire "le très beau mur" --destiné à empêcher les immigrés illégaux de rentrer aux Etats-Unis-- a mis en doute la foi du magnat de l'immobilier et des casinos.
"Une personne qui veut construire des murs et non des ponts n'est pas chrétienne", a-t-il déclaré, tout en se demandant si c'était bien ce qu'avait proposé Donald Trump.
Trump étant Trump, même face au guide spirituel de plus d'un milliard de fidèles, il a contre-attaqué.
"Qu'un leader religieux mette en doute la foi d'une personne est honteux", a d'abord répliqué le milliardaire dans un communiqué qu'il a ensuite lu dans un meeting.
L'affaire a pris assez d'ampleur pour que nous abandonnions à la hâte la couverture initialement prévue pour retrouver la campagne de Trump.
Mais l'homme d'affaires a vite fait de mettre de l'eau dans son vin et pardonné en affirmant que le pape était "un type formidable".

Par Alba TOBELLA - © 2016 AFP
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