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Sex, drugs & Mozart: un Don Giovanni désespéré fonce vers l'enfer à Nantes

  • Publié le 5 mars 2016 à 16:16

Il se précipite vers l'autodestruction à grand renfort de meurtre, de viols, d'alcool et de drogue: Angers Nantes Opéra livre une version résolument tragique du Don Giovanni de Mozart, sous les traits d'un paumé décidé à en finir avec une vie vide de sens.


Aux antipodes du séducteur triomphant incarné par exemple par Ruggero Raimondi dans le film de Joseph Losey (1979), le baryton américain John Chest, 30 ans, fait de Don Juan un jeune homme fragile qui n'arrive même plus à combler son désespoir existentiel par la possession des femmes.
Aux commandes de cette création très applaudie lors de sa première vendredi soir à Nantes, le duo de metteurs en scène franco-belge Patrice Caurier et Moshe Leiser, qui ont transposé l??uvre à l'époque moderne pour mieux souligner l'actualité du mythe de Don Juan.
"Don Giovanni n'est pas une histoire séduisante, c'est une histoire terrible, une expérience forte, violente", résume Patrice Caurier lors d'une conférence de presse donnée avant le spectacle. D'où le refus des metteurs en scène d'habiller leurs chanteurs en costumes du XVIIIe siècle: "des choses trop séduisantes détourneraient du propos", expliquent les deux metteurs en scène, qui ont assuré en décembre l'ouverture de la saison lyrique à la Scala de Milan, avec la "Jeanne d'Arc" de Verdi.
L'ouverture, composée par Wolfgang Amadeus Mozart en une nuit juste avant la création de son opéra à Prague en 1787, démarre sur un sinistre accord de ré mineur, rappelle Moshe Leiser. "On est tout de suite dans la damnation. Il est clair que pour Mozart, Don Giovanni, c'est le rapport à la mort, à la vie, au désir", explique-t-il.
- Une minuterie jusqu'à la mort -
Dans les trois minutes qui suivent le lever de rideau, Don Giovanni viole Donna Anna puis tue son père, le commandeur, accouru pour la défendre. "Cet homme devient un assassin, sa dépendance aux femmes l'entraîne vers le crime", observe le metteur en scène belge; "Il y a une minuterie qui se déclenche, Don Giovanni sait qu'il ne terminera pas la nuit: c'est une fuite en avant, une fuite vers la mort".
Rejeté par tous, obligé de fuir, le héros en est réduit à tenter de séduire une femme de chambre de Donna Elvira. Mais personne n'apparaît au balcon de cette célèbre scène de la sérénade ("Deh vieni alla finestra") que John Chest achève en larmes comme un clochard assis par terre à un coin de rue.
"On assiste aux 12 dernières heures d'un personnage qui a besoin des femmes pour remplir un mal-être. On comprend qu'il cherche à remplir une vie vide de sens", analyse Moshe Leiser.
Face au suicide programmé du héros, son valet Leporello, interprété par le baryton suisse Ruben Drole, très applaudi pour sa voix chaude et puissante, laisse libre cours à sa passion amoureuse pour son maître, qu'il cherche désespérément à arracher aux griffes du commandeur revenu d'outre-tombe pour punir son assassin, lors du "festin de pierre" final.
Mais Don Giovanni n'en a cure. "Il est décidé à mettre en scène sa propre mort, c'est la seule lâcheté qu'il n'a pas", observe Moshe Leiser.
John Chest a été choisi pour son jeu tout en retenue, qui fait qu'on ne se dit jamais "il joue à l'opéra", selon Moshe Leiser. "C'est tellement petit que c'est grandiose: il raconte à l'intérieur un ouragan d'émotion".
Les deux metteurs en scène, qui signent depuis plus de 30 ans une belle carrière internationale, n'avaient encore jamais monté un des trois opéras de la collaboration Mozart - Da Ponte. Ils comptent poursuivre l'an prochain avec "Les Noces de Figaro", également à Angers Nantes, mais "Cosi fan tutte", plus compliqué à mettre en scène, risque d'attendre, confie Patrice Caurier.
(A Nantes les 6, 8, 10 et 12 mars et à Angers les 4, 6 et 8 mai. www.angers-nantes-opera.com)

Par Sarah BRETHES et Julian COLLING - © 2016 AFP
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