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L'Etat et les musulmans relancent la longue marche vers "l'islam de France"

  • Publié le 29 août 2016 à 15:42

Une fondation laïque et une association cultuelle garanties sans financements étrangers: l'Etat et les représentants musulmans ont relancé lundi le chantier de construction d'un "islam de France", dans un climat rendu électrique par les attentats et les polémiques.


La séquence et la photo étaient attendues après un été marqué par les attaques jihadistes de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, sans parler du feuilleton sur le burkini qui agite la rentrée politique à huit mois de la présidentielle. Le bureau élargi du Conseil français du culte musulman (CFCM) était là au grand complet, avec de nombreuses personnalités politiques, culturelles et du monde de l'entreprise conviées au ministère de l'Intérieur pour une "journée de consultations sur l'islam de France".
Trois sujets étaient au menu, portant sur les financements de projets culturels ou religieux, mais aussi le renforcement de la formation des imams.
Comme prévu, une fondation d'utilité publique, laïque, sera créée à l'automne et présidée par l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, 77 ans. A ses côtés siègeront notamment le Prix Goncourt Tahar Ben Jelloun, l'islamologue réformateur Ghaleb Bencheikh, le recteur de la mosquée de Lyon Kamel Kabtane, un acteur de terrain reconnu, et l'entrepreneure Najoua Arduini-Elatfani, figure de la société civile musulmane.
"C'est une oeuvre de longue haleine", a prévenu Jean-Pierre Chevènement à son arrivée à l'hôtel de Beauvau, en rappelant qu'il avait travaillé à la construction d'un "islam de France" dès 1997.
Cette fondation doit permettre de lever des financements pour des projets en matière profane (thèses de recherche sur l'islam, bourses d'études...). Laïcité oblige, le volet religieux de la recherche de financements (formation théologique des imams, construction de mosquées...) sera entre les mains d'une association cultuelle (loi de 1905) administrée par des représentants musulmans, et dans laquelle l'Etat ne sera pas partie prenante.
Ni la fondation laïque ni l'association cultuelle qui lui sera adossée ne seront autorisées à recevoir des financements étrangers (hors Union européenne), souvent critiqués même s'ils sont minoritaires (environ 15%, selon l'Intérieur) car jugés peu transparents et difficilement compatibles avec le projet d'un islam républicain. "Cette interdiction sera inscrite dans leurs statuts", a-t-on souligné place Beauvau.
- Contribution sur le halal -
Des financements étrangers, ne transitant pas par ces deux structures, seront toujours possibles - pas question par exemple de se priver des deux millions d'euros alloués par l'Algérie chaque année à la grande mosquée de Paris -, mais l'Intérieur parie sur leur recul global à la faveur de la mise en place de ce meccano complexe. "En suscitant de nouvelles ressources en France, on doit avoir un effet sur le tarissement des financements étrangers", prédit-t-on dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve.
Un groupe de travail doit être mis en place prochainement pour déterminer les statuts et la composition de l'association cultuelle. Ce groupe devra aussi engager une négociation avec la filière halal pour établir une "contribution volontaire" sur ce marché juteux - estimé par certaines sources professionnelles à cinq milliards d'euros par an -, et dont les représentants musulmans espèrent faire une source de financement durable.
En outre, l'Intérieur veut avancer sur la formation des imams, en créant une formation complète en islamologie dans une ou plusieurs universités françaises, avec à la clé un statut d'étudiant qui n'existe pas, actuellement, dans les instituts de théologie privés. Une mission a été confiée en ce sens à un spécialiste de la laïcité, un théologien et un juriste qui remettront un rapport en décembre.
Mais pourquoi la nouvelle fondation réussirait là où la "fondation des oeuvres de l'islam de France" qu'elle va remplacer, mort-née en 2005 en raison de dissensions internes, a échoué?
"A l'époque, le CFCM avait à peine deux ans, les différentes composantes de l'islam apprenaient encore à se connaître. Aujourd'hui nous avons acquis la maturité, et la gravité des défis nous commande de travailler dans l'unité", assure le président du Conseil du culte, Anouar Kbibech, qui sera membre de droit du conseil d'administration de la fondation.

Par Stanislas TOUCHOT, Philippe GRELARD - © 2016 AFP
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