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A bord d'un sous-marin nucléaire: à mille lieues sous les mers, le silence est d'or

  • Publié le 21 octobre 2016 à 17:38

Ils viennent de plonger pour 70 jours dans les profondeurs de l'océan.

Leur mission : délivrer l'arme nucléaire si le président en donne l'ordre. Leur règle d'or : le silence.
Pour les 110 membres d'équipage du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) Le Vigilant, la vie à bord commence quand la longue silhouette du cétacé noir quitte son port d'attache de l'Ile Longue, dans la rade de Brest (ouest).
Le bâtiment de guerre déploie derrière lui sa longue antenne linéaire bourrée de senseurs, l'équipage procède aux ultimes tests puis vient le moment de vérité, l'immersion.
"Bâtiment paré à plonger !", annonce un officier au commandement rassemblé dans le Central opérations, entre périscope et écrans sonar. La concentration est maximale, l'ambiance presque tendue. "Alerte 23 mètres... début de plongée!".
Le barreur appuie sur son manche, tel un pilote, l'écume de la mer claque une dernière fois sur la coque. Le submersible, livré au ressac en surface, plonge fermement et sûrement, avec ses 16 missiles stratégiques, soit 1.000 fois Hiroshima.
"Bâtiment étanche à 38 mètres (...) Hissez le mât optoradar !". Le sous-marin a passé l'épreuve de l'eau, la patrouille commence, par plus de 300 mètres. A quelle profondeur exactement ? Secret Défense. Tout comme l'identité des membres d'équipage.
Le Vigilant doit rester invisible, imperceptible, indétectable pendant 70 jours. Plus question de communiquer avec l'extérieur ou de remonter à la surface, sauf urgence médicale extrême.
- "Et si un jour on devait tirer ?" -
"On se dilue dans l'océan. Personne ne doit savoir où on est", résume le commandant, le capitaine de vaisseau Cyril de Jaurias, 45 ans et plus de 20.000 heures de plongée derrière lui.
Dissuasion oblige, la France doit pouvoir engager à chaque instant le feu nucléaire si ses intérêts vitaux sont engagés. Elle dispose pour cela en permanence d'un SNLE à la mer, qui a une vocation suprême, rester invulnérable.
"Mon autorité, je la reçois du président de la République et de lui seul. Il peut donner un ordre à moi et à moi seulement, c'est singulier", relève le commandant. Celui qu'on appelle le pacha est le seul détenteur avec son second du code présidentiel de mise à feu.
Dans le poste de conduite des missiles, les simulations de tir s'enchaînent, d'une semaine à l'autre. Sur les écrans, chaque ouverture de tube, chaque départ de charge est matérialisé. Pour l'oeil non averti, tout porte à croire, à cet instant précis, que le pire est en train de se produire.
"Il faut que chacun se pose la question +et si un jour on devait tirer?+. Quelqu'un qui répondrait +non+ n'a rien à faire ici. Si je ne suis pas capable d'aller au bout, j'arrêterai", tranche le premier maître William, chef "armes stratégiques".
Au quotidien, les hommes du Vigilant - les premières femmes ne seront admises qu'en 2017 à bord des sous-marins - doivent aussi apprendre à vivre en autarcie complète, sans nouvelles des leurs, ou presque.
- "Quand tu n'entends plus parler de moi..."-
Ils ont droit à un message familial par semaine, 40 mots tout au plus, toute mauvaise nouvelle est bannie. "C'est lu et relu avant de nous arriver", confirme le second maître Thomas, 35 ans.
Les marins ne peuvent rien écrire ni communiquer en retour. Silence radio complet. "Je dis à ma femme +quand tu n'entends plus parler de moi, tu comptes 70 jours, la fin de la mission ça devrait être par là+", explique le commandant en second, le capitaine de frégate Philippe.
Au coeur du SNLE, les espaces de travail et de vie sont plutôt généreux. Rien à voir avec la promiscuité de leurs frères "chasseurs", les sous-marins d'attaque (SNA).
Pour éviter de laisser la moindre trace acoustique, véritable signature d'un sous-marin au fond de l'eau, chaque bruit est traqué, gommé, neutralisé.
"Ne pas claquer la porte". La consigne résonne sèchement sur les affiches. Pour amortir les vibrations, le "berceau machines", avec ses 700 tonnes de turbines, pompes et autres équipements ronronnants, est suspendu sur plots.
Le rituel des poubelles est tout aussi réglé. Tout ce qui est biodégradable est rejeté dans la mer, via un sas spécial. "Il faut tourner tout doucement la manivelle. Souvent je leur dis de tourner moins vite", raconte le second du Vigilant.
Pendant 70 jours, l'équipage a une seule obsession: rester indétectable, tapi dans l'ombre des profondeurs, ne pas "commettre d'indiscrétions" sonores.

Par Sarah BRETHES et Eve SZEFTEL - © 2016 AFP
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