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En Irak, les charniers de l'EI n'ont pas livré tous leurs secrets

  • Publié le 20 décembre 2016 à 16:19

Dans l'étendue parsemée de bâtiments détruits par les combats, trois hommes dressent un grillage puis déroulent un ruban jaune et noir digne d'une scène de crime: cette zone qu'ils délimitent est un charnier laissé par les jihadistes du groupe État islamique.


"C'est vraiment une scène de crime. Entre 80 et 120 cadavres se trouvent ici, dont ceux d'enfants et de femmes comme en témoignent des jouets et des sous-vêtements féminins mis au jour", affirme à l'AFP Fawaz Abdulabbas, numéro deux de la Commission internationale des disparus en Irak.
Parmi ces corps pourrait se trouver celui d'Imed Dhaer, un policier enlevé par l'EI et qui laisse dix orphelins et deux veuves, indique son frère cadet Fouad.
Au début, Imed, comme certains membres des forces de sécurité, n'était pas particulièrement inquiété même si l'EI contrôlait la région. Mais la donne a brutalement changé mi-octobre, quand les troupes irakiennes ont lancé une offensive pour reprendre Mossoul, la grande ville du nord irakien où l'EI a proclamé son "califat" en 2014.
"Les jihadistes sont venus chercher tous les membres des forces de sécurité", dont Imed, 33 ans, raconte Fouad à l'AFP. "C'était des gens du coin, ils connaissaient les maisons et les professions de tous ceux qu'ils ont embarqués".
Il n'a plus jamais eu de nouvelles de son frère. Des habitants de Hamam al-Alil, le gros bourg en périphérie duquel se trouve le charnier, lui ont ensuite rapporté avoir "entendu des tirs puis des bulldozers retournant la terre" dans cet ancien champ de tir des forces irakiennes.
- 'Enterrements du déshonneur' -
"Pendant trois jours, de 19 heures à 23 heures, ils ont exécuté" les personnes raflées et "ont jeté leurs corps avant de les recouvrir en partie de terre mêlée d'ordures, procédant à ce qu'ils appellent +des enterrements du déshonneur+", explique à l'AFP Dargham Kamil.
Ce responsable de la Fondation des martyrs, une instance dépendant du bureau du Premier ministre irakien, tente, depuis la découverte du charnier il y a plus d'un mois, de retracer le cours des événements.
Aujourd'hui, Fouad ne veut plus qu'une chose: voir le corps de son frère. "Il n'y a que comme cela que nous pourrons apaiser nos coeurs".
Avant d'en arriver là, les équipes irakiennes et internationales vont devoir identifier les restes, procéder à des tests ADN une fois des proches retrouvés et fouiller encore "pour voir s'il n'y a pas d'autres couches plus profondes et donc plus de corps", explique Dhia Karim, chargé de la question des charniers au sein de la Fondation des martyrs.
Des cadavres qui viendraient s'ajouter aux centaines déjà découverts dans plusieurs charniers au gré de l'avancée des troupes irakiennes qui a chassé les jihadistes de larges pans de l'Irak qu'ils tenaient depuis 2014.
Rien que dans la région de Sinjar, la zone entre Mossoul et la frontière syrienne où est concentrée la minorité kurdophone yézidie, 29 charniers et au moins 1.600 corps ont été mis au jour depuis l'an dernier, affirmait récemment un responsable local à l'AFP.
- 'Réconciliation nationale' -
Et "de nombreux charniers n'ont pas encore été découverts ou fouillés", assure M. Abdulabbas. Quant au nombre exact de disparus dans le tumulte de l'occupation de l'EI, des combats entre troupes irakiennes et jihadistes, des exécutions sommaires et des exactions qui endeuillent l'Irak depuis des années, il est "extrêmement difficile à établir", affirme M. Karim.
Avec ses équipes, il s'est lancé dans un travail de fourmi: recueillir les récits de témoins et de proches. "Il va falloir rassembler tout cela dans une base de données unique, c'est un travail de très longue haleine", assure M. Abdulabbas.
Ensuite, il faudra "rassembler les preuves pour monter des dossiers et les présenter à la justice", déjà débordée par de telles affaires en Irak où l'on dénombrait au moins un million de disparus à la chute de Saddam Hussein en 2003.
Ce processus juridique est de la plus haute importance "pour la réconciliation nationale", plaide M. Abdulabbas. "Comme ceux qui ont été exécutés, beaucoup de gens de l'EI sont d'ici", et "les liens tribaux et familiaux (...) pourraient mener à des vengeances ou des vendettas entre familles".

Par Sarah BENHAIDA - © 2016 AFP
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