France

En Bretagne, la Vallée des saints, un terrain de jeu unique pour les sculpteurs

  • Publié le 9 septembre 2017 à 12:44

Le bruit strident des disqueuses qui découpent les énormes blocs de granit trouble la quiétude champêtre de la Vallée des saints, une "île de Pâques" moderne au c?ur de la Bretagne où des sculpteurs de tous horizons trouvent un terrain d'expression sans pareil.


Cachés sous d'amples cirés, le visage couvert de poussière, ils sont quatre, aidés de trois assistants, à donner vie depuis fin août à Saint Fiakr, Saint Enogad, Saint Alour et Saint Tangi, quatre géants de pierre qui rejoindront d'ici quelques semaines les 90 déjà clairsemés sur les flancs d'une ancienne motte féodale dominant le village de Carnoët (Côtes-d'Armor). Tailleur de pierre de métier, Vincent Lemaçon, Français installé au Québec depuis une vingtaine d'années, a entendu parler par une amie bretonne de ce "projet délirant" dont il a immédiatement "voulu faire partie".

"Il se dégage d'ici une énergie spéciale, une émulation collective qu'on ne retrouve pas habituellement dans nos ateliers, témoigne le nouveau venu avant d'attaquer sa pause déjeuner sous un ciel menaçant. Le granit est particulièrement difficile à travailler, c'est une pierre à la fois dure et fragile." Issus de différentes carrières de la région, les blocs de granit, tantôt roses ou gris, sont d'abord dégrossis à l'aide de perforateurs et de coins de fendage, avant que disqueuses thermiques, ciseaux et bouchardes ne servent au travail de finition, suivant un cahier des charges assez souple.

En concertation avec les mécènes -particuliers, entreprises, communes- qui financent ces "statues-menhirs" à hauteur de 15.000 ? la pièce, les sculpteurs doivent cocher trois cases pendant leur mois de résidence: une hauteur comprise entre 3 et 5 mètres, un visage et un attribut rappelant la légende du saint. Le reste est laissé à leur libre appréciation.

"Ils sont en général sensibles à la composante spirituelle de cette aventure et se définissent eux-mêmes comme des moines sculpteurs. Ils font revivre cette tradition des picoteurs du Moyen âge, qui sculptaient les statues érigées autrefois sur les églises et les cathédrales", raconte l'un des initiateurs du projet né en 2008, Philippe Abjean, professeur de philosophie de formation.

- Ecole de sculpture monumentale -

Chacun de la vingtaine de sculpteurs passés depuis par Carnoët a apporté à l'ensemble sa propre sensibilité. Parmi eux: une majorité de Bretons forcément, mais aussi une Portugaise, Inès Ferreira, un Syrien, Bilal Hassan, et un Indien, Seenu Shanmugam, un des pionniers de ce "paradis de la sculpture".

"On ne trouve pas des sculptures monumentales partout", explique-t-il devant l'ébauche de sa quatorzième réalisation, Saint Enogad, qui commence à prendre forme, en plein air, sous l'?il curieux des visiteurs.

Deux couples bretons et creusois, venus y puiser des "bribes d'histoire", disent apprécier "la variété des styles" de la Vallée des saints, dont l'accès est entièrement gratuit. "Des choses plaisent, d'autres moins, mais ça vaut le détour", jugent-ils, amusés par la ressemblance de l'effigie de Saint Elouan avec John Lennon.

L'île de Pâques bretonne, qui devrait accueillir cette année autour de 290.000 personnes, est à la fois pour les sculpteurs une vitrine salutaire et un formidable "terrain de jeu", selon le Finistérien Patrice Le Guen, de l'aventure depuis les débuts.

Le caractère aussi trempé que le granit qu'il travaille, l'artiste, à bientôt 70 ans, a senti le besoin de transmettre sa passion et son savoir-faire à la prochaine génération: "On veut s'inscrire sur le long terme".

Alors que ses fondateurs rêvent de voir s'élever un jour un millier de statues dans la Vallée des saints, la première école européenne de sculpture monumentale y ouvrira officiellement en 2019. "Des visiteurs pourront même venir s'entraîner sur le granit", souligne Sébastien Minguy, le directeur du site, où s'élèvera l'an prochain un bâtiment d'accueil pour remplacer les préfabriqués actuels.
La Vallée des saints fêtera dans le même temps son dixième anniversaire en faisant venir d'outre-Manche, sur un vieux gréement, sa centième statue, Saint Piran, patron des Cornouailles britanniques.
 

AFP

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