De Santiago à Tijuana

Les "petits Haïti" d'Amérique latine

  • Publié le 9 mai 2018 à 14:00
  • Actualisé le 9 mai 2018 à 14:36

A son arrivée au Chili, il y a quelques années, impossible de trouver de la musique ou des spécialités du pays.

A présent, les Haïtiens se sentent "comme chez eux", assure le patron de ce restaurant de Quilicura, près de Santiago. "Les gens débarquaient et s'ennuyaient. Aujourd'hui, c'est différent, ils se sentent comme chez eux. Ils peuvent acheter leurs plats (typiques) et les Chiliens peuvent goûter notre cuisine", déclare à l'AFP celui qui se fait appeler Sun-G M.O.B. Ce restaurateur-rappeur tient l'établissement "M.O.B Gang Family", point de ralliement de ses compatriotes dans ce quartier.

A une demi-heure du centre de la capitale du Chili, parmi les plus riches de la région, Quilicura est devenu un des "petits Haïti" d'Amérique latine. Coiffeurs afro, restaurants et boutiques de spécialités haïtiennes ont vu le jour dans ce quartier à la mauvaise réputation. Jusqu'ici attirés par l'absence de visa pour entrer au Chili et la bonne situation économique de ce pays coincé entre les Andes et le Pacifique, plus de 100.000 Haïtiens sont arrivés ces trois dernières années, passant de 1.649 personnes en 2014 à 73.098 en 2017.

Mais le président conservateur Sebastian Piñera, qui a succédé à la socialiste Michelle Bachelet début mars, a décidé début avril de "remettre de l'ordre dans cette maison". Il a signé un décret mettant en place un visa pour les Haïtiens afin de décourager d'éventuels nouveaux arrivants. Osnel Pierre Louis est arrivé il y a trois ans et se sent désormais "comme à la maison". Après avoir travaillé comme serveur dans des sites touristiques, grâce à sa connaissance du français, de l'anglais et du portugais, il vient à 27 ans de monter un garage pour réparer des motos et un mini-marché.

Quelques rues plus loin, Leconte termine de couper les cheveux à un de ses compatriotes. "Le froid est difficile, mais j'aime le Chili. On se sent en sécurité et c'est facile d'y travailler", raconte ce coiffeur de 30 ans, qui, comme les autres, a fui la misère de son pays.

La barrière de la langue

Si certains ont réussi à se faire une place dans la société chilienne, la plupart des Haïtiens sont exploités et s'entassent dans des logements insalubres aux loyers exorbitants. Au Chili, "tout ce qui brille n'est pas or", prévient dans une de ses chansons sur YouTube Wesly Lotog, autre rappeur, tel un avertissement à ses compatriotes tentés par l'aventure. Dans ses textes en créole, il décrit les "discriminations et les humiliations" subies en arrivant dans ce pays, faute de pouvoir se rendre aux Etats-Unis.

Au centre de Santiago, une paroisse du quartier de Yungay a été un des premiers lieux à dispenser des cours d'espagnol. Dans cette même zone, la fondation Fre donne désormais des cours chaque semaine à des centaines de migrants. La langue, c'est ce qui "fut le plus difficile", confie Bitan, arrivée il y a un an et sept mois pour rejoindre son mari, et une véritable barrière pour trouver du travail. A plusieurs milliers de kilomètres au nord, le regard tourné vers les Etats-Unis, nombre d'Haïtiens ont choisi le Mexique pour émigrer.

Un autre "petit Haïti" a récemment vu le jour à Tijuana, ville collée à la frontière. "Je ne sais pas combien de temps je vais continuer à pouvoir vivre ici. Actuellement, je me sens bien au côté de tous les Mexicains", raconte dans son espagnol limité Matthelié, qui vend des épis de maïs avec un petit chariot à deux pas de la frontière. Les Haïtiens ont commencé à arriver à Tijuana à la mi-2016, attirés "par le mythe selon lequel il était plus facile de passer aux Etats-Unis par ici, et parce qu'ils croyaient que c'était plus sûr que Ciudad Juarez" autre ville-frontière, explique à l'AFP Zoraya Vazquez, de l'ONG Espacio Migrante.

Selon elle, la communauté haïtienne de cette ville, qui s'est élevée un temps à 16.000 personnes, compte désormais quelque 3.000 membres.

- © 2018 AFP

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