Secoué depuis plus d'un mois

Le Nicaragua enterre ses morts, les manifestations continuent

  • Publié le 2 juin 2018 à 07:34
  • Actualisé le 2 juin 2018 à 08:43

Secoué depuis plus d'un mois par des manifestations meurtrières, le Nicaragua enterre vendredi les 16 dernières victimes de cette vague de contestation, tandis que semble s'éloigner la possibilité d'un dialogue entre le gouvernement et l'opposition.

"Mon Dieu, apaise mon coeur (...) jamais je n'aurais imaginé cela", sanglotait Yadira Cordoba, la mère d'Orlando, 14 ans, décédé d'une balle dans la poitrine à Managua durant une marche de soutien aux mères dont les enfants ont été tués dans les manifestations précédentes.

Au milieu des pleurs et des prières, la dépouille du jeune a été recouverte d'un foulard bleu et blanc où l'on pouvait lire "la patrie libre". Son maillot de football, signé par ses co-équipiers, a également été déposé dans le cercueil. Armando Reyes, ancien guérillero sandiniste et actuel officier de police, a également perdu son fils Francisco, 34 ans, abattu d'une balle dans la tête durant cette manifestation.

"Il a été tué impunément, ce sont des assassins", a dénoncé en pleurs sa mère, Guillermina Zapata, 63 ans. "Ce n'est pas un chien qui a été abattu", a lâché de son côté son père, qui a présenté sa démission à la police. Les scènes de douleur se répétaient aux funérailles de 15 autres familles à travers le pays. Ces personnes ont été victimes de ce que l'Alliance civique, qui regroupe l'opposition, a qualifié de "pire massacre" depuis le début des protestations antigouvernementales le 18 avril.

Outre ces morts, les heurts de mercredi et jeudi entre partisans et adversaires du président Daniel Ortega, un ex-guérillero de 72 ans, ont fait 88 blessés, selon le Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh). Il s'agit d'un des affrontements de rue les plus violents depuis la mi-avril, assure cette ONG, qui accuse les hommes de main à la solde du pouvoir d'être les "agresseurs".

Le Cenidh a dénombré 16 morts, la police 15, un bilan qui porte à une centaine le nombre de tués depuis avril."On n'entendait plus que les tirs, c'était la panique, on se serait cru en guerre", raconte, encore terrifiée, Julieth Hernandez, une habitante de Managua.

Selon les témoignages recueillis, les dizaines de milliers de Nicaraguayens qui participaient mercredi à la marche de soutien ont été pris sous les tirs de francs-tireurs, tandis que d'autres tentaient de les disperser en tirant au sol.

"On arrivait en marchant avec la manifestation quand ils ont commencé à tirer depuis les hauteurs. Les gens se sont mis à courir, à chercher à se mettre à l'abri. J'ai cru qu'on allait tous mourir", a raconté à l'AFP Andrés Donato, un agriculteur qui a couru jusqu'à la cathédrale où il s'est réfugié toute la nuit, comme un millier d'autres cultivateurs venus prêter main forte aux manifestants.

Demande de protection

D'autres villes du pays ont vécu des violences similaires, comme Masaya, Leon, Matagalpa et Chinandega, toutes d'anciens bastions sandinistes qui demandent maintenant un changement démocratique.

Des pillages de commerces et d'au moins une banque ont lieu vendredi matin à Masaya, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, selon les médias locaux. Vendredi, la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a demandé une protection rapprochée pour l'évêque adjoint de Managua, Silvio Baez, très critique du gouvernement.

"L'intégrité personnelle de Silvio Baez et de sa famille court un grand danger", selon le communiqué de cette instance dépendant de l'Organisation des Etats américains (OEA). La CIDH a effectué en mai une mission au Nicaragua pour enquêter sur les morts de manifestants. Héros de la révolution sandiniste qui avait renversé la dictature en 1979, Daniel Ortega voit le vent tourner contre lui depuis la mi-avril.

Il est confronté à une vague de contestation sans précédent, déclenchée par une réforme des retraites abandonnée depuis, mais qui a vite tourné à un mouvement général de rejet du chef de l'Etat, accusé de confisquer le pouvoir --il dirige le Nicaragua depuis 2007, après un premier passage de 1979 à 1990-- et de brider les libertés.

La Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN), qui s'était proposée comme médiatrice entre gouvernement et opposition, a prévenu jeudi que le dialogue ne reprendrait pas tant que la répression ne cesserait pas. Les milieux d'affaires, alliés traditionnels du président, ont publiquement pris leurs distances cette semaine.

De plus en plus de voix s'élèvent à l'étranger pour condamner la situation dans ce pays. Après le Parlement européen, la France et l'Organisation des Etats américains (OEA), jeudi, c'est la Commission des droits de l'homme des Nations unies qui s'est dite vendredi "consternée par les violences au Nicaragua".

L'OEA a annoncé vendredi qu'un accord avait été conclu entre l'organisation panaméricaine et le gouvernement du Nicaragua sur le calendrier d'une réforme électorale dans ce pays.

Une mission de coopération technique de l'OEA aura dimanche à Managua une première réunion à cet effet avec des représentants du gouvernement, a indiqué l'organisation dans un communiqué publié à Washington.

- © 2018 AFP

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