Milo Rau

Le théâtre de la controverse à Avignon

  • Publié le 8 juillet 2018 à 17:44
  • Actualisé le 8 juillet 2018 à 18:00

Une de ses pièces sur l'affaire Dutroux avec des enfants sur scène avait fait scandale, une autre sur les "Pussy Riot" a été interrompue à Moscou: à Avignon, Milo Rau pourrait flirter de nouveau avec la polémique.

Pour sa nouvelle pièce présentée ce weekend, "La reprise, - Histoire(s) du théâtre (I)", le metteur en scène suisse a choisi un fait divers: le meurtre brutal d'un jeune homosexuel, Ihsane Jarfi, en 2012 à Liège en Belgique.

Le ton est donné par le Festival d'Avignon qui précise que "certaines scènes de ce spectacle sont susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes". "Je pars d'incidents très durs comme ce meurtre pour me demander comment représenter sur scène un acte aussi horrible et quelles sont les limites du supportable", explique à l'AFP Milo Rau.

La controverse a marqué les pièces de l'artiste de 41 ans, salué par la presse européenne comme l'un des metteurs en scène les plus avant-gardistes du continent. Depuis "Les procès de Moscou" (2013) sur le groupe Pussy Riot, "je n'ai plus obtenu de visa en Russie", confie le metteur en scène dont la pièce a été interrompue en pleine représentation à Moscou par les autorités.

"La réalité est une provocation"

Ses autres oeuvres lui ont valu de nombreux procès et des interdictions de jouer dans plusieurs pays. En mars, c'était la polémique de trop: le théâtre belge NTGent dont il est le nouveau directeur s'excuse après avoir fait publier une annonce pour recruter, dans le cadre d'un des spectacles de Rau en septembre ... des jihadistes ayant combattu pour le groupe Etat islamique (EI).

Bien qu'assumant le caractère transgressif de son travail, Milo Rau se défend de chercher la polémique. Avec les guerres et les meurtres, "c'est la réalité qui est une provocation, donc l'art peut l'être aussi s'il veut être réaliste et engagé", dit-il. "Mais mes oeuvres sont plus complexes et pas de simples provocations".

Ainsi "Five Easy pieces", la pièce sur le pédophile belge Marc Dutroux avec des enfants racontant le déroulé de l'enquête, a fait grincer les dents mais a été saluée par la critique comme une oeuvre poétique. "Je ne me dis pas +ah non, ça c'est trop direct, je ne vais pas le faire. Je cherche le geste vrai pour atteindre le but émotionnel du théâtre", explique Milo Ray.

Que ce soit "Le tribunal sur le Congo" - décrite par le Guardian britannique comme "l'une des plus ambitieuses pièces du théâtre politique jamais mises en scène" -, les "Derniers jours de Ceaucescu" ou "Hate radio" sur le génocide rwandais, il est considéré comme le représentant d'un "théâtre témoignage" ancré dans l'actualité.

Les limites ? "Oui, il y a des limites légales", reconnaît-il. Pour son spectacle de septembre inspiré de "L'Agneau mystique" - célèbre peinture flamande du XVe siècle -, l'idée était de tuer un agneau sur scène. "C'est une métaphore pour Jésus mais bien sûr, c'est interdit et je comprends ça, car cela veut dire la fermeture du théâtre".

Besoin de "nouveaux Molières"

Ancien élève du sociologue français Pierre Bourdieu, Rau se dit "idéologiquement imprégné" de cette discipline. "Bourdieu m'a dit +si tu veux parler" de la boxe, il faut devenir boxeur. Je fais un travail de journaliste, de sociologue quand je recrée quelque chose au théâtre", précise-t-il.

Résolument contemporain, il appelle à un renouveau théâtral. "On dit toujours qu'il y a beaucoup de choses dans Molière qui vous parlent. Ce n'est pas vrai, nous avons besoin de nouveaux textes, de nouveaux Molières", martèle-t-il. "Pour moi, le processus créatif implique table rase, pas des textes de 500 ans ou une actualisation de Molière avec des costumes de jihadistes par exemple".

La tradition, comme la Bible, reste paradoxalement pour lui une source d'inspiration. En 2109, il compte réaliser un film sur Jésus qui fera sans doute couler beaucoup d'encre.

- © 2018 AFP

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