Attaque frontale

Accusations d'un prélat contre le pape: l'hypothèse d'un complot ultra-conservateur

  • Publié le 27 août 2018 à 20:02
  • Actualisé le 27 août 2018 à 20:32

L'attaque frontale contre le pape par un ancien ambassadeur du Vatican l'accusant d'avoir couvert un cardinal américain homosexuel soupçonné d'abus sexuels, a réveillé lundi l'hypothèse d'un nouveau complot des ultra-conservateurs, selon certains observateurs.

"Pas d'erreur: ceci est une attaque coordonnée visant le pape François", juge par exemple une tribune publiée sur le site du National Catholic Reporter, un hebdomadaire américain progressiste. "Un putsch est en branle et si les évêques américains ne défendent pas en bloc le Saint-Père dans les prochaines vingt-quatre heures, nous glisserons vers un schisme aux Etats-Unis", s'alarme l'éditorialiste Michael Sean Winters. "Les ennemis de François ont déclaré la guerre", analyse-t-il.
Nicolas Senèze, vaticaniste du quotidien français La Croix, relève de son côté "une évidente volonté d'attaquer François". "On est passé à un stade supérieur: les gens qui pensent que François est dangereux pour l'Eglise n'ont plus de limites", commente-t-il à l'AFP.

En Italie, le site spécialisé Il Sismografo, qui réalise une revue de presse mondiale sur l'actualité de l'Eglise, est sorti de ses gonds. "L'opération a été montée" par l'ex-ambassadeur du Vatican à Washington Carlo Maria Vigano, "un personnage obscur, menteur, ambitieux et intrigant", assène-t-il. Mgr Vigano est surtout "un ex-employé aigri" du Vatican, qui se venge faute d'avoir eu la carrière dont il rêvait, juge encore le National Catholic Reporter.

La violente attaque est en tout cas tombée à point nommé, en pleine visite déjà très acrobatique du pape François en Irlande, pays meurtri dans le passé par des abus du clergé et d'institutions religieuses.

L'archevêque conservateur Carlo Maria Vigano, l'accuse dans une lettre ouverte de onze pages publiée samedi d'avoir sciemment ignoré durant son pontificat les signalements sur les agissements du cardinal américain Theodore McCarrick, présenté comme un prédateur sexuel notoire jetant son dévolu sur des jeunes séminaristes et prêtres. Il va même dans ce pamphlet jusqu'à réclamer la démission du pape François.

Le cardinal McCarrick a finalement été démis par le pape argentin de toutes ses fonctions en juillet à la suite d'une enquête sur des accusations d'abus commis il y a plusieurs décennies sur un adolescent de 16 ans.

Les Etats-Unis sont l'un des pays les plus touchés par les scandales d'abus sexuels du clergé, qui ont aussi défrayé la chronique ces derniers mois en Australie et au Chili.
En 2015, le pape François avait déjà accepté la démission de deux évêques américains accusés d'avoir fermé les yeux sur des abus: l'archevêque de Saint Paul et Minneapolis (Minnesota), Mgr John Clayton Nienstedt, et son adjoint, Mgr Lee Anthony Piché.

- Pas un inconnu -

Mgr Vigano n'est pas un inconnu. Il fut secrétaire général du gouvernorat -sorte de maire gérant l'Etat du Vatican- une position dans laquelle il avait découvert et dénoncé la corruption en vigueur dans l'administration vaticane. Ses alertes l'avaient toutefois conduit, à son grande déception, a être nommé loin de Rome au poste de nonce apostolique (ambassadeur) à Washington. Le prélat de 77 ans, y est resté entre 2011 et 2016 avant de prendre sa retraite.

En janvier 2012, deux quotidiens italiens avaient fait scandale en publiant des extraits de ses lettres internes révélant la rivalité et la corruption à l'intérieur du Vatican (scandale "Vatileaks").

Dans sa lettre au vitriol, Vigano avance que le pape Benoît XVI avait fini par sanctionner tardivement le cardinal Theodore McCarrick, vers 2009-2010, en lui interdisant notamment toute apparition publique et en lui demandant de quitter le séminaire où il vivait. Aucun document public ne fait toutefois état de cette sanction.
Il accuse le pape François d'avoir de facto annulé cette sanction, malgré ses propres avertissements émis en juin 2013 peu après le début de son pontificat.
Le cardinal américain a-t-il été discrètement sanctionné par un pape, puis réhabilité par son successeur ? La réponse à cette question est cruciale pour le pape jésuite, régulièrement l'objet des attaques de la frange la plus conservatrice au sein de l'Eglise catholique.

L'éditeur de la revue jésuite America, Matt Malone, a publié de son côté une troublante série de photos sur son compte Twitter montrant des apparitions conviviales entre le pape Benoît XVI et le cardinal McCarrick, qui jettent un doute sur les sanctions prises selon Mgr Vigano par Joseph Ratzinger à l'encontre du cardinal américain.

La lettre de l'ex-nonce s'attaque également avec violence au "courant homosexuel" qui domine selon lui la haute hiérarchie de l'Eglise, mettant sur la table une longue liste de noms. Il s'en prend aussi à ceux dans l'Eglise qui ne mettent pas sur un même plan homosexualité et pédophilie.

Certains sites catholiques ultra-conservateurs américains dépeignent le pape comme un dangereux progressiste, car il prône l'accueil des gays dans les paroisses.
Dans l'avion qui le ramenait dimanche d'Irlande, le pape argentin a recommandé le recours à la psychiatrie lorsque des parents constatent des penchants homosexuels dès l'enfance chez leur progéniture. Le mot "psychiatrie" a été retiré du verbatim publié lundi par le service de presse du Vatican.

Depuis le début de son pontificat, le pape argentin a essuyé plusieurs attaques violentes de la part de certains cardinaux, souvent orchestrées par l'Américain Raymond Burke, outré qu'il ait proposé aux évêques d'accepter au cas par cas la communion de divorcés remariés.

AFP

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