Squelettes d'arbres morts

Au pays du cèdre, le réchauffement climatique menace l'emblème du Liban

  • Publié le 9 décembre 2018 à 12:59
  • Actualisé le 9 décembre 2018 à 13:39

Parmi les cèdres pluricentenaires de la forêt de Tannourine, dans le nord du Liban, se dressent des squelettes gris d'arbres morts. Ici, ce n'est pas le feu qui tue l'emblème du pays, mais le réchauffement climatique. La hausse des températures et la baisse des chutes de pluie et de neige a fait proliférer depuis la fin des années 1990 un insecte qui ronge les aiguilles des "cèdres de Dieu", comme on les appelle parfois au Liban, semant chaque année la mort parmi les arbres les plus jeunes.

Le Cephalcia tannourinensis fait des ravages dans cette cédraie située à 1.800 mètres d'altitude, comme dans plusieurs autres forêts du nord libanais.
"C'est comme si un feu avait balayé la forêt", lâche Nabil Nemer, entomologiste forestier, membre du comité de gestion de Tannourine. "En 2017, 170 arbres se sont totalement desséchés", déplore-t-il.
Il suffit de creuser quelques centimètres au pied d'un tronc pour voir grouiller dans la terre humide les minuscules larves vertes à l'origine du mal.
Elles menacent désormais l'arbre symbole du pays, ce cèdre arboré sur la monnaie et le drapeau libanais et auquel le Français Lamartine avait rendu hommage dans un poème.
Le problème n'est pas nouveau: durant l'Antiquité, des forêts entières avaient ainsi été décimées. A l'époque, les Pharaons d'Egypte l'importaient pour fabriquer des navires et il aurait servi à la construction du temple du roi Salomon à Jérusalem.

"Dérangé dans son micro-habitat"

Mais si l'insecte ennemi du cèdre existe depuis des milliers d'années, le réchauffement du climat, particulièrement fort dans le bassin méditerranéen, l'a rendu plus dangereux.
Dans ce bassin auquel le Liban appartient, "le changement climatique est plus intense" que la moyenne mondiale, relève Wolfgang Cramer, scientifique membre du réseau d'experts méditerranéens sur l'environnement et le changement climatique (MedECC).
En temps normal, cette espèce d'insecte qui aime le froid et l'humidité de ces zones montagneuses peut dormir sous terre dans "une petite loge" entre trois et quatre ans, avant d'émerger et de s'attaquer aux bourgeons.
Mais "avec la sécheresse, cette larve est dérangée dans son micro-habitat", explique M. Nemer, précisant que la température a augmenté de deux degrés à Tannourine en l'espace de trente ans.
Les insectes sont plus nombreux, sortent plus rapidement de terre et foncent pour se nourrir sur une proie idéale: les cèdres âgés de 20 à 100 ans, considérés comme "jeunes" dans l'échelle temporelle des arbres.

Insecticide bio et champignons

Pour lutter contre ce phénomène, les autorités ont avec succès utilisé dès 1999 des insecticides propagés par hélicoptère. Mais depuis quatre ans, les larves sont de nouveau en croissance, et ce type d'intervention est désormais interdit au profit d'insecticides biologiques.
Dès 2016, un traitement à base de champignons a été appliqué, mais il est moins efficace et nécessite surtout plus de financements, une main-d'oeuvre plus importante et des laboratoires spécialisés, lesquels font cruellement défaut.
Les autorités doivent s'impliquer davantage, plaide M. Nemer, qui espère la création d'un département chargé de "la santé des forêts".
Au Liban, la surface forestière, déjà rongée par l'urbanisation croissante et les incendies, recouvre près de 140.000 hectares, soit 13% du territoire, selon le ministère de l'Agriculture. On y trouve principalement des chênes, des pins, des genévriers mais aussi des cèdres et des sapins.
Et pour ces forêts, la situation risque d'empirer. D'ici 2050, le pays s'attend à une hausse de la température comprise entre un et deux degrés. Selon un article publié dans la revue Nature par le MedECC, le "futur réchauffement en Méditerranée pourrait être supérieur de 25% aux taux mondiaux".

"Ne pas perdre espoir"

Pour lutter contre ces menaces, le ministère de l'Agriculture libanais a lancé fin 2012 un ambitieux programme de plantation de 40 millions d'arbres, "tous natifs du Liban", sur 70.000 hectares, insiste Chadi Mohanna, un haut responsable du ministère.
Jusque-là "entre deux et trois millions d'arbres" ont déjà été plantés, dit-il. L'initiative, qui devait prendre fin en 2030, accuse du retard.
M. Mohanna se veut néanmoins optimiste: "On va commencer à apercevoir un changement dans les vingt ou trente prochaines années, avec plus d'humidité, et quelques degrés en moins en période de canicule", soutient-il.
Les campagnes de reforestation se font en collaboration avec des ONG et le grand public.
En un dimanche ensoleillé de novembre, sur le flanc escarpé du Mont-Liban, des dizaines de scouts étaient au rendez-vous pour planter 300 jeunes cèdres à la réserve naturelle de Jaj.
Ici, les arbres vieux de 500 ans, voire parfois millénaires, s'élancent majestueusement au milieu d'un paysage rocailleux.
L'initiative, organisée par l'association Jouzour Loubnan ("les racines du Liban", en arabe) en partenariat avec l'armée, marquait le 75e anniversaire de l'indépendance du Liban.
Garçons et filles ont mis en terre des cèdres hauts de quelques centimètres seulement, avant de les coiffer d'un cône métallique entouré de pierres pour les protéger de la neige et des troupeaux venus paitre.

Depuis sa création en 2008, Jouzour Loubnan a planté 300.000 arbres à travers le pays.
"Le cèdre a traversé des millions d'années, il est capable de faire face au changement climatique et de s'y adapter", promet Magda Bou Dagher Kharrat, cofondatrice de l'association. "On n'a pas le droit de perdre espoir, mais on doit l'aider".

AFP

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