Proche-Orient

En Syrie, les survivants abandonnent le "califat" moribond de l'EI

  • Publié le 7 mars 2019 à 14:53
  • Actualisé le 7 mars 2019 à 16:01

Claudiquant sur des béquilles, croulant sous de lourds baluchons, des survivants fuient l'ultime poche du groupe Etat islamique (EI) dans l'est de la Syrie, où des forces soutenues par Washington attendent jeudi de repartir à l'offensive contre le dernier lambeau du "califat".

L'exode semble sans fin. Jour après jour, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, sortent du bout de territoire encore tenu par les jihadistes dans le village de Baghouz, aux confins orientaux de la Syrie. Certains sont originaires de Syrie et d'Irak, d'autres d'Europe, du Maghreb et d'autres pays étrangers.

L'afflux a même pris de court les Forces démocratiques syriennes (FDS), l'alliance arabo-kurde engagée contre l'EI avec le soutien de la coalition internationale antijihadistes emmenée par Washington. Les opérations militaires ont dû être ralenties pour permettre ces évacuations, mais les FDS ont progressé lentement sur le terrain, reprenant il y a quelques jours une portion du secteur jihadiste, qui ne couvre plus que des champs et un campement informel de "tentes" sur les bords du fleuve Euphrate.

Mercredi encore, des camions des FDS ont déversé à une position près de Baghouz des centaines de femmes, d'hommes et d'enfants sortis de la poche de l'EI. Hagards, ces derniers racontent le chaos. "On creuse des tunnels sous terre et on les recouvre de draps, c'est ça les tentes", a expliqué à l'AFP Abou Mariam, 28 ans.

Après des tirs d'artillerie et les raids aériens de la coalition, les blessés sont nombreux. Les hommes, mais aussi des enfants, fuient juchés sur des béquilles. Certains tiennent à la main des perfusions de sang, d'autre ont la tête et les jambes enroulées dans des bandages. Ils semblent physiquement brisés, ont constaté les équipes de l'AFP. Pour identifier les jihadistes, qui seront arrêtés, les combattants des FDS et les forces de la coalition internationale au sol les soumettent à des fouilles et des interrogatoires poussés.

Recul vers le fleuve

Trainant des valises sur lesquelles est juchée leur progéniture, croulant sous le poids de gros sacs à dos et de baluchons, les femmes en niqab noir sont soumises à des procédures semblables. Jeudi une source des FDS a affirmé que les jihadistes et leurs familles encore présents dans le réduit ont reculé dans des secteurs près du fleuve. Après une montée en puissance fulgurante en 2014, l'EI avait proclamé en juin de la même année un "califat" sur de vastes régions en Syrie et en Irak. Les jihadistes s'étaient même emparés de grandes villes comme Mossoul en Irak et Raqa en Syrie.

Des milliers d'étrangers, dont des Européens, avaient alors rallié les jihadistes. Mais face à plusieurs offensives ces deux dernières années, le territoire de l'organisation ultraradicale s'est réduit comme peau de chagrin. Jamais les journalistes couvrant les grandes batailles contre l'EI n'ont pu assister de la sorte à la capitulation des jihadistes et à la mise en déroute d'une organisation qui a semé la terreur avec des attentats meurtriers au Moyen-Orient, mais aussi en Europe et dans d'autres régions du monde.

Près de 58.000 personnes, principalement des familles de jihadistes, ont déjà quitté Baghouz depuis début décembre, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Parmi elles, plus de 6.000 jihadistes ont été arrêtés, d'après cette source.

"Très affaiblis"

Les civils évacués, dont les épouses et les enfants de jihadistes étrangers, sont transférés vers des camps de déplacés du nord-est de la Syrie. Notamment celui d'Al-Hol, où des dizaines de milliers de personnes s'entassent dans des conditions difficiles, dénoncées par des ONG.
Jeudi, un correspondant de l'AFP a pu voir dix camions-remorques quitter la région de Baghouz, en route vers les camps.
La veille déjà, environ 4.000 personnes étaient arrivées à Al-Hol, "pratiquement que des femmes et de jeunes enfants", selon une ONG, le Comité international de secours (IRC).

"De nombreuses personnes sont très affaiblies ou ont des blessures qui affecteront leur vie à jamais", déplore l'ONG, soulignant la vulnérabilité "des très nombreuses femmes enceintes et mamans de nouveaux-nés". La perte de Baghouz pour l'EI signerait la fin territoriale du "califat" en Syrie, après la défaite en Irak en 2017.

Mais le groupe a déjà entamé sa mue en organisation clandestine. Il a des combattants disséminés dans le vaste désert du centre de la Syrie et ses cellules dormantes mènent des attentats meurtriers dans les territoires perdus. La bataille contre l'EI représente aujourd'hui le principal front de la guerre en Syrie qui a fait plus de 360.000 morts depuis 2011, au moment où le régime, soutenu par la Russie et l'Iran, a repris le contrôle de près des deux-tiers du pays.

AFP

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